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Jeu de paume : roi des sports et sport des rois

 

Le tennis tel que nous le connaissons est né en 1874 avec la publication du premier règlement rédigé par le Gallois Walter Clopton Wingfield, officier britannique. Ce sport devient vite l’un des divertissements favoris des aristocrates anglais. Mais les origines du tennis remontent au Moyen-Âge et son ancêtre, le jeu de paume, est français !

Jeu de paume au XVIème siècle
Jeu de paume au XVIème siècle

 

Évolutions

Dans la France des XIIème et XIIIème siècles, les règles du jeu sont cependant bien différentes. Les raquettes n’ont pas encore été inventées, on y joue avec la main (d’où le terme « paume ») ou en utilisant des gants pour ne pas se blesser. « Tennis » est dérivé du terme « tenez », mot que dit le joueur à son partenaire lorsqu’il lance le service.

Les parties se disputaient en plein air, avec comme terrain un pré, une rue, une place, la cour d’un palais ou encore le fossé d’un château. Les deux camps étaient séparés par une simple ligne, de part et d’autre de laquelle les joueurs s’affrontaient en simple, ou, plus communément, en double ou en équipe.

Au XIVème siècle, l’engouement qui saisit toute la France entraîne un encadrement plus strict de la pratique du jeu de paume. En 1397, les autorités de Paris interdisent aux artisans de jouer la semaine : ils n’y sont autorisés que le dimanche, sous peine de tâter de la prison ! En 1485, un concile ecclésiastique interdit aux prêtres de pratiquer ce sport, par égard pour la dignité qu’exige leur état. Seuls les aristocrates et les rois peuvent le pratiquer en toute liberté.

C’est entre le XVème et le XVIème siècle que se répand l’utilisation de la raquette. Certaines sont faites en parchemin, mais les plus courantes sont élaborées avec des cordes de chanvre ou de boyaux et pourvues d’une armature en bois.

Portrait d'un garçon tenant une raquette et une balle (cercle d'Anguissola, 1555 environ)
Portrait d’un garçon tenant une raquette et une balle (cercle d’Anguissola, 1555 environ)

À la même époque le jeu se codifie et certaines règles ont survécu dans le tennis moderne. Les points se comptent par 15, 30, 45, puis on obtient un « avantage », on égalise « à deux » (d’où vient le terme anglais actuel « deuce »), chaque manche compte six jeux… La balle doit passer au-dessus d’une corde qui sépare les deux équipes et à laquelle on accroche des clochettes qui sonnent et préviennent les joueurs si la balle passe dessous. Puis le filet remplace progressivement la corde.

La paume reste un jeu de compétition, où l’on s’emporte facilement. Certains règlements demandent aux joueurs de s’engager à ne pas jurer ni blasphémer le nom de Dieu ! On mise de l’argent et l’on fait des paris : les pièces sont déposées sous le filet.

À la même époque, riche en évolutions, naît le jeu court. Le terme jeu de paume englobe en effet deux activités différentes. Le jeu de « longue paume » pratiqué en extérieur et le jeu de « courte paume » pratiqué en intérieur. Pratiquer le jeu court signifie que l’on autorise la balle à rebondir sur les murs. Une galerie est aménagée pour les spectateurs et l’espace couvert d’un toit. Ces salles fleurissent dans toute l’Europe. En France on les appelle « jeu de paume » ou « tripot » du verbe triper, rebondir.

Apogée du jeu de paume

Tandis qu’aux XVIème et XVIIème siècles, à Londres, le jeu de paume entame un timide essor, en France il connaît un véritable âge d’or. Les étrangers sont les premiers surpris de cet engouement qui touche toutes les couches de la population, et même les femmes et les enfants.

« Les Français aiment beaucoup ce jeu et ils s’y exercent avec une grâce et une légèreté merveilleuses » rapporte un ambassadeur de Venise. Quant à l’Anglais sir Robert Dallington qui séjourne en France sous le règne d’Henri IV, il affirme que les Français naissent « une raquette à la main » et déclare qu’il y a plus de joueurs de paume en France que d’ivrognes en Angleterre… C’est dire !

Francesco Gregory d’Ierni, qui accompagne le légat du pape en 1596, constate qu’il se trouve à Paris « deux cent cinquante jeux de paume très beaux et très bien installés ». En 1657, l’ambassadeur de Hollande compte encore 114 salles de jeu de paume à Paris, en 1780, il n’y en aura plus que 10, et en 1839, plus que deux !

Les balles de fabrication française sont célèbres dans toute l’Europe et les princes étrangers ne manquent pas une occasion de s’en faire apporter par leurs amis de France. Il est même conseillé, au XVIIème siècle, de jouer à la Paume pour prévenir les rhumatismes, mais aussi pour entretenir son esprit :

Une partie de jeu de paume réchauffe le corps et les extrémités, elle purge les états d’âme superflus, fortifie les facultés naturelles, allège et souhaite la bienvenue à l’esprit ; si bien que l’homme qui sait choisir un jeu d’exercice honnête et en use sagement améliorera sa santé physique aussi bien que la vivacité de son esprit.

Le jeu de paume à l'époque Louis XIII
Le jeu de paume à l’époque Louis XIII

Le sport favori des monarques athlétiques

Les souverains des XVIème et XVIIème siècles sont les plus férus du jeu de paume. François Ier est habile joueur, talent qu’il transmet à son fils Henri II.

Ce dernier « jouait à la paume et très bien. Il se plaisait fort quand la Reine sa femme, madame sa sœur et les dames le venaient voir jouer ». Au lieu de mener le jeu, il choisit toujours les positions de second ou de tiers, les deux places les plus difficiles et dangereuses. Brantôme affirme qu’il était le meilleur tiers (joueur placé près de la corde) de tout le royaume !

L’un de ses fils, Charles IX « aime passionnément le jeu de paume et l’exercice du cheval » selon l’ambassadeur de Venise en 1561.

Henri IV est constamment « fourré à la salle de paume ». Dès le lendemain de son entrée dans Paris le 15 septembre 1594, on le trouve au jeu de la Sphère. Sa maîtresse Gabrielle d’Estrées vient souvent l’y voir jouer, et les courtisans peuvent admirer leur souverain suant dans une chemise déchirée, tant il met de l’ardeur dans son jeu !

L'intérieur d'un jeu de paume
L’intérieur d’un jeu de paume

Son fils Louis XIII s’adonne volontiers au jeu de paume qu’il pratique depuis l’enfance. En 1630, il se fait construire une salle à côté de Versailles, son pavillon de chasse préféré. Haut sous plafond d’une dizaine de mètres, pavé de dalles de calcaire, le bâtiment est pourvu de grandes baies qui laissent passer la lumière. Des galeries sont érigées pour permettre aux courtisans de venir observer le jeu du roi.

Ce sport fait des adeptes dans l’entourage direct des souverains. L’un des plus célèbres est Jacques de Savoie, duc de Nemours (1531 – 1585). Parfait gentilhomme, très beau prince réputé pour son charme et son élégance, il excelle dans tous les exercices physiques et particulièrement à la paume, à tel point que « les revers de Monsieur de Nemours » deviennent célèbres à la Cour ! Les femmes quittent l’Église la messe à moitié dite pour venir l’admirer jouer… Le souvenir de son talent légendaire inspire Mme de La Fayette qui, sans l’avoir jamais connu, en fait son héros (M. de Nemours) dans le roman « La princesse de Clèves » : elle le décrit souvent en train de jouer à la paume avec adresse !

Décadence sous Louis XIV

Louis XIV possède son paumier-raquettier (fabricant de balles et de raquettes) en titre. Le jeu de paume fait toujours partie intégrante de l’éducation des princes, pour ses vertus aussi bien physiques que stratégiques, voire morales. Le maître de paume, qui donne des leçons au fils et aux petits-fils du monarque, est aussi « porte-raquette du roi ». Le Roi-Soleil possède en outre « un jeu de paume dans chacune des ses maisons royales, à Versailles, à Fontainebleau, à Saint-Germain, à Compiègne »

Néanmoins, Louis XIV ne joue pas, ou très peu. Il préfère le billard, inventé sous son règne, un sport qui fait moins transpirer et lui permet de conserver toute la dignité royale ! La majorité des courtisans suit l’exemple du souverain et abandonne progressivement le jeu de paume. Les salles inutilisées sont investies par des troupes de théâtre et le spectacle prend le pas sur le sport.

Cependant, si la noblesse joue de moins en moins, elle aime regarder. Lors des voyages annuels à Fontainebleau ou à Compiègne, on laisse la place aux maîtres-paumiers parisiens qui viennent jouer ou effectuer des démonstrations devant le roi et sa Cour, leur offrant un divertissement.

Jeu de longue paume à Liancourt (1655, estampe)
Jeu de longue paume à Liancourt (1655, estampe)

Seuls quelques seigneurs passionnés continuent à s’adonner au jeu de paume. L’excentrique marquis de Rivarole, lieutenant-général dans les armées de Louis XIV, fait des prouesses à la paume. Il s’y adonne quotidiennement et bat tous les plus habiles joueurs malgré sa jambe de bois. On sait aussi que, contrairement à son père, Monseigneur le Grand Dauphin est un amateur de jeu de paume et joue plusieurs fois par semaine, parfois en compagnie de ses enfants. Certains courtisans aiment encore s’adonner à la longue paume dans les allées sablées de Versailles.

La paume devient un art

Au siècle des Lumières, le jeu de paume est devenu l’apanage d’un petit nombre d’aristocrates. Les parties de démonstration des maîtres-paumiers font encore fureur à la Cour, et de nouvelles règles sont établies pour pimenter le jeu. Ainsi, « une chouette » est une partie opposant un seul joueur contre deux !

Plus tard, sous Louis XVI, les frères du monarque, surtout le comte d’Artois, jouent à la paume régulièrement. Les familles de maîtres-paumiers gardent jalousement les secrets d’un jeu devenu un art. Les principales techniques seront réemployées par les premiers joueurs de tennis.

Vue d'un jeu de paume (estampe datant de 1757 - Gallica BNF)
Vue d’un jeu de paume (estampe datant de 1757 – Gallica BNF)

Progressivement en France, le jeu de paume (surtout en salle) tombe donc en désuétude avant de connaître un regain de faveur au XXème siècle. Au contraire de l’Angleterre où, après une arrivée tardive, il se maintient sous la dénomination de tennis royal, puis de tennis sur gazon. Aux XVIIIème et XIXème siècles, la bonne société française donne ses faveurs au jeu de volant, sujet d’un prochain article !

Sources

♦ Fêtes & divertissements à la cour de Collectifs

♦ Sport, culture et société en France du XIXe siècle à nos jours de Patrick Clastres

♦ Les Sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France de J.J. Jusserand

♦ Histoire & Civilisation n°18 (dossier sur le jeu de paume)

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Cet article a 9 commentaires

  1. Demay Eric

    Son frère Charles IX « aime passionnément le jeu de paume et l’exercice du cheval » selon l’ambassadeur de Venise en 1561.

    Charles IX est le second fils régnant de Henri II et de Catherine de Médicis.
    Merci de corriger.

    En tout cas l’article est intéressant comme toujours.

    1. Plume d'histoire

      Oups, son fils bien évidemment !! Merci.

  2. Leborgne Jean-Renaud

    Très intéressant article. On s’aperçoit que le Royaume Uni est à l’origine, en les codifiant, de la plupart des grands  » jeux de balle  » pratiqués à notre époque à l’échelle de la planète ( tennis, football, rugby…). La découverte du caoutchouc, vers 1820, a favorisé le succès de ces sports.
    En outre, la pelote basque est une forme régionale du jeu de paume.
    Bien à vous

    1. Plume d'histoire

      C’est très juste en effet 🙂

  3. Perie Bernardot

    Je joue au Jeu de Paume à Bordeaux depuis 35 ans…le premier court fut construit en 1460. Notre référence c’est le Jeu de Paume de la Rue Rolland construit en 1788 en raison du passage du Comte d’ Artois à Bordeaux. Il a été vendu et un autre à été construit à Mérignac, vendu aussi en 2013…Nous construirons un nouveau court en 2018.

  4. Baudonnet

    D où les expressions aussi .. « partir à la chasse »… « être sur la carreau ..

  5. Périr Bernardot

    Il y a d’autres expressions… » qui va à la chasse perd sa place »,  » épater la galerie » ….

    1. Plume d'histoire

      En effet !

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