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Mazarin, le maître du jeu – Simone Bertière

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Portrait de Mazarin par Pierre Mignard, 1661 - huile sur toile conservée au Musée Condé
Portrait de Mazarin par Pierre Mignard, 1661 – huile sur toile conservée au Musée Condé

 

 
 

   Mazarin, ou l’un des personnages les plus controversés de l’Histoire de France. Un nom porteur de mystères, mais aussi calomnié sans pitié. En effet, que n’a-t-on pas dit sur cet homme, le « Gredin de Sicile » ! N’a-t-il pas dilapidé l’argent de l’Etat à son profit, dans le seul but d’amasser des trésors, disposant à sa mort de la plus considérable fortune de tous les temps ? N’a-t-il pas usurpé l’autorité de la Régente de France, Anne d’Autriche, en devenant son amant ? N’a-t-il  pas sciemment poussé Marie Mancini, sa célèbre nièce, à séduire le jeune Louis XIV dans le but de la faire couronner Reine de France ?

   Simone Bertière, dans cet ouvrage imposant, rend justice à un homme dévoué corps et âme à la France, dont le plus grand tord aux yeux du peuple français fut celui d’être étranger. 

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Le chemin vers le pouvoir

   Simone Bertière, après une introduction magistrale, nous présente la famille du petit Giulio Mazarini, ses racines, ses prétentions et ses péripéties. Adolescent, puis jeune homme, Mazarin dévoile déjà une des qualités qui primera chez lui toute sa vie: savoir tirer parti de la situation présente. Parvenant à se faire apprécier des Colonna, cette puissante famille qui emploie son père, il est recommandé au Saint Père. Alors, en mission pour Rome, il sait prendre des risques, oser, jouer le quitte ou double. Ce qui est formidable, c’est qu’à chaque fois ou presque, il réussit, et ressort grandi de ses initiatives. Toujours, il garde la tête hors de l’eau.

   Simone Bertière s’attache à retracer avec rigueur le parcours de Mazarin. Contrairement aux affirmations reléguées par certains historiens, il n’a pas viré de bord d’un seul coup. Son allégeance à la France est le fruit d’une mûre réflexion dans laquelle entre en compte, certes, un calcul de sa part, mais c’est essentiellement parce qu’il partage la vision qu’ont Richelieu et Louis XIII de la politique étrangère. Et, bien entendu, parce que les circonstances se chargent de le pousser vers le pays de ses protecteurs. Il est particulièrement intéressant de comprendre que son amitié avec Richelieu est l’aboutissement de nombreuses années de tractations communes, de dialogues, de prises de position, de services rendus, sans oublier la confiance qui s’installe progressivement entre les deux hommes.

   L’auteur insiste : Mazarin restera toujours attaché à l’Italie, sa « véritable patrie » comme il l’appelle lui-même (en témoigne sa volonté constante de libérer la péninsule du joug espagnol). Mais c’est en France que ses dons peuvent s’épanouir, qu’il peut servir sans être tenu en laisse et faire la démonstration de ses multiples compétences.

   J’ai beaucoup apprécié le soin que porte l’auteur à dépeindre toutes les grandes familles rivales et les forces en présence lors de l’arrivée au gouvernement de Mazarin. Voilà qui donne envie d’en savoir davantage sur les Condé ou les Vendôme, des familles avides de pouvoir et de gloire, des personnages redoutables.

 

Les troubles de la Régence

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   Dans l’Histoire, les Régences sont généralement des années de profonde fragilité du pouvoir monarchique. Le duo Mazarin/Anne d’Autriche manoeuvra au milieu des écueils. Il est appréciable de découvrir une biographie qui va chercher plus loin que les traditionnels clichés, le plus souvent erronés, que les mémorialistes diffusent sur le cardinal-ministre, notamment concernant La Fronde. Le « gouvernement Mazarin » est en effet indissociable de ces années de soulèvement.

   Simone Bertière s’attaque à cette période souvent mal comprise, aux protagonistes généralement caricaturés. Elle déchiffre pour son lecteur le fonctionnement du Parlement de Paris, ce qui aide grandement à la compréhension des tensions qui règnent entre Mazarin, la Reine, et les magistrats.

 Cet épisode complexe, aux mécanismes embrouillés, aux enchaînements rapides et aux protagonistes multiples, est décortiqué par l’auteur de telle sorte qu’il en devient intelligible pour le lecteur. Ce n’était pas une mince affaire, car il n’est pas toujours aisé de comprendre qu’il y eut en réalité plusieurs Frondes, de nombreux soubresauts, portés par des meneurs aux statuts forts différents et pour des raisons distinctes. La Fronde glissa en effet d’un conflit entre Parlement et Cour, à un conflit d’intérêt à l’intérieur même de la Cour, entre la Reine et son ministre d’un côté, et les princes du sang de l’autre.

   Des épisodes moins connus, tels que la « Journée des Pailles » ne sont pas oubliés. La reconquête de la France aura été longue et extrêmement difficile. Mazarin joua un rôle primordial dans l’affermissement de l’Etat.

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Mazarin en pied par Philippe de Champaigne
Mazarin en pied par Philippe de Champaigne

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Une personnalité complexe et fascinante

   Oui, Simone Bertière éprouve envers son personnage une forte admiration. Elle l’avoue à son lecteur dès les premières pages. Mais (c’est primordial), ses sentiments ne l’empêchent nullement d’être objective et de savoir analyser avec la rigueur d’une historienne de talent, qui excelle dans l’art du portrait psychologique.

   Mazarin est pourvu d’innombrables qualités. D’intelligence supérieure, sa capacité à saisir les opportunités au bon moment et à tirer tous les avantages de ses succès est remarquable. Son charme, qui opère chez tous ses interlocuteurs, son caractère accommodant, sa grande flexibilité, son allant, sa gaieté, le distinguent de la plupart de ses homologues. Ses talents diplomatiques, son amour pour les arts et sa soif de collection, sa foi en son destin mêlé d’une grande perspicacité en font un personnage hors du commun.

   Le lecteur ne peut qu’être frappé par la capacité de travail colossale d’un homme exténué par le poids du pouvoir. Malgré toutes les avanies que lui font subir les Français, et le peu de reconnaissance qu’ils lui manifestent, le ministre s’acharne à poursuivre son œuvre pour le bien de son pays d’adoption… Le plus incroyable étant qu’il parvient, au terme de sa vie et désillusionné sur les hommes, à faire aboutir une politique intelligente, une politique de long terme. Le mariage du Roi avec l’Infante d’Espagne aura été un travail de longue haleine, et le jeune Louis XIV, encore en proie à ses passions, ne lui aura pas facilité la tâche ! En témoignent les chapitres relatant sa passion incontrôlable pour Marie Mancini, qui manqua de faire échouer toute l’oeuvre de Mazarin. Finalement, quel glorieux achèvement ! Mieux vaut, en refermant cet ouvrage, ne pas songer aux guerres le plus souvent désastreuses que ne tardera pas à engager Louis XIV, mettant à mal cet équilibre chèrement acquis…

   Quel homme moderne et plein de ressources que ce Giulio Mazarini ! En refermant l’ouvrage, on lui pardonne volontiers ses intrigues financières, qui ont servi au moins autant à la France qu’à ses plaisirs (Simone Bertière le prouve), pour ne retenir que le personnage, l’homme politique extraordinaire. Mazarin apparaît, il faut le souligner, autrement plus sympathique que son prédécesseur, le sec et cassant Richelieu.

   Au fil des chapitres, nous en apprenons également beaucoup sur le rôle joué par Mazarin dans la diffusion du théâtre italien en France, sur les succès et les difficultés qu’il rencontra auprès d’un public non initié et réticent. C’est bien le ministre qui amorça la longue tradition des spectacles éblouissants du Grand Siècle, et qui éveilla les sens du jeune Louis XIV dans le domaine artistique.

 

La relation avec Anne d’Autriche

Détail d'un portrait d'Anne d'Autriche, peint par Rubens
Détail d’un portrait d’Anne d’Autriche, peint par Rubens
 

   Pour l’aider dans cette éducation des Français à un art italien, il dispose bien entendu d’un atout de taille, l’approbation totale de la Reine, qui raffole de ce genre de divertissements. Elle ne le seconde pas seulement à ce niveau là. Toujours, elle soutient celui qu’elle a choisit comme principal ministre !

  Simone Bertière montre parfaitement la part de spontanéité importante qui joue dans toutes les décisions de Mazarin, une caractéristique indissociable du personnage. Devenir le premier ministre d’Anne d’Autriche ? Régner avec elle ? Non, il ne l’a pas planifié de longue date. C’est plutôt l’aboutissement d’une politique, et la récompense de talents incomparables. Personne d’autre que Mazarin ne peut relever le défi : poursuivre achever l’œuvre de Richelieu et de Louis XIII. Anne d’Autriche, que les maternités ont rendues plus réfléchie et plus française, l’a bien compris.

   L’auteur insiste sur le duo indissociable que compose Mazarin et Anne d’Autriche. La Régente n’est plus rien sans son ministre, mais notre cardinal n’en mène pas large sans l’appui de la Reine ! Celle-ci reconnaît les talents de son ministre, il a fait ses preuves. Mais elle n’accepte de suivre ses conseils que parce qu’il sait les lui prodiguer en douceur, aiguillonnant son sens politique. D’ailleurs, Mazarin sait très bien dans quoi il s’embarque, et ne se fait aucune illusion sur la Régente. Oui, elle l’a choisie, mais elle peut aisément s’en défaire !

   La relation entre Mazarin et Anne d’Autriche est une de celles qui défraye la chronique. Simone Bertière réfute la légende qui en fait des amants passionnés. Point de vue qu’elle défend et justifie remarquablement bien, grâce à des analyses qui sonnent juste, des constatations évidentes mais auxquelles personne ne pense. Le tout, assaisonné d’un peu de bon sens, met en lumière bien des points obscurs.

   En revanche, la profondeur de la relation entre Anne d’Autriche et Mazarin est, pour l’auteur, certaine. Il s’agit d’une symbiose non seulement politique mais aussi à caractère plus privé entre une femme et son conseiller, qui est aussi son confident, son ami. Entre Mazarin et Anne d’Autriche s’établit ce qui faisait cruellement défaut à la relation entre Richelieu et Louis XIII : une profonde affection, une amitié amoureuse, pourrait-on dire. Intelligent, fin, habile, mais aussi sincère et souple, Mazarin réussit le tour de force de se rendre indispensable à la Reine non seulement pour prendre des décisions en politique, mais aussi dans sa vie de tous les jours. C’est cette confiance absolue entre l’homme et la femme qui leur permet de surmonter les dangers redoutables de la Fronde. Ensemble, ils sont les maîtres du jeu !

 

∫∫  Ce qu’il faut retenir ! ∫∫

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Points positifs

 Une proximité avec son lecteur, instaurée dès les premières pages de l’introduction.

 Analyse intelligente des rapports entre Mazarin et le jeune Louis XIV, mais aussi entre le Cardinal et la Régente Anne d’Autriche.

 Un portrait remarquable de Mazarin, qui exploite les multiples facettes de la personnalité très complexe du cardinal-ministre : une redécouverte psychologique du personnage

 Un examen approfondi de la politique de Mazarin, et une réhabilitation justifiée de son œuvre, exemplaire.

Points négatifs

 Rien à signaler !

 

 

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Cet article a 8 commentaires

  1. EGGERICKX Roland

    La France a eu la chance d’avoir le couple Louis XIII – Richelieu et Mazarin qui, lui, a continué l’oeuvre de son prédécesseur.
    Le couple italo-espagnol qu’a formé Mazarin et Anne d’Autriche a été plus français que les Français dit de souche
    Cela a permis d’arriver au Grand siècle magnifié par l’avènement de Louis XIV.

    1. Plume d'histoire

      Ces ministres trop souvent dénigrés ont construit la France de Louis XIV. Sans eux, sans Mazarin, le Grand Siècle n’aurait pas été ce qu’il fut.
      Concernant le duo Mazarin / Anne d’Autriche, il fonctionna à merveille. Nul besoin d’y voir une passion charnelle, la gloire de la France suffit à les rapprocher 😉

  2. Laure

    En effet, Simone Bertière dépeint trés bien les psychologies de chacun, tout comme dans sa série « Les reines au temps des Valois, et des Bourbons », qui nos démontre comment le caractère d’un tel influe sur la petite et la grande histoire.
    Effectivement, tout comme Louis XIII et Richelieu, qui eux ne voulait pas élargir la France, mais simplement empêcher l’hégémonie des Habsbourg par lesquels nous étions cerné.
    Maintenant, oui Mazarin était différent de Richelieu, mais on oublie que Richelieu ne faisait rien sans l’accord de Louis XIII, qui souvent était plus dur dans les « punitions ».
    Et je suis également Simone Bertière, sur l’amitié amoureuse, platonique

    1. Plume d'histoire

      Simone Bertière est une incontournable 🙂

  3. Rocco

    Hélas, cette magnifique biographie est maintenant indisponible en librairie…

    1. Plume d'histoire

      C’est inadmissible !

  4. Philippe CHÂTENET

    Bonjour. On le retrouve effectivement sur Amazon, comme cela est précisé dans ce billet, mais également sur le site du Livre de Poche (livredepoche.com) : Malheureusement, il n’est pas disponible au format numérique.
    Bien Cdlt,
    Philippe.

    1. Plume d'histoire

      Oui vous avez raison !

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