Anne de Bretagne, deux fois Reine de France (fait unique), c’est l’histoire d’une petite duchesse diablement intelligente, au caractère affirmé et à la féminité charmante, passionnée et parfois cassante, qui apporta au royaume de France l’une de ses plus belles provinces : la Bretagne. Offrant à la France un embryon de Cour, l’éduquant aux arts et aux lettres, c’est une femme moderne qui fut l’épouse de Charles VIII en 1491, puis de Louis XII en 1499.
Anne, c’est aussi l’histoire d’une mère malheureuse, et d’une bretonne à la fierté maintes fois blessée. Les épreuves ne l’ont pas épargnée. Et toute sa vie, elle fit preuve d’un courage magnifique.
Procurez-vous Anne de Bretagne, de Philippe Tourault !
La Bretagne, opprimée par la France
Dès les premières pages, j’ai été conquise par cet ouvrage. Enfin une biographie de la célèbre duchesse bretonne qui fait la part belle à ses plus jeunes années !
Tout ce premier tome de la vie d’Anne de Bretagne est fondamental car il renseigne à merveille sur l’enfance particulièrement difficile de cette enfant qui doit très vite assumer des responsabilités considérables.
Philippe Tourault rend intelligibles à son lecteur les difficultés inextricables dans lesquelles se débat le duc François II, père de la petite Anne. Constamment en butte au royaume de France qui, faute de réussir à annexer la province, s’attache à museler au mieux ses ambitions, la Bretagne vit des jours amers.
Il faut surveiller de l’intérieur un duché soumis en permanence à l’espionnage des agents de Louis XI.
Usé par les épreuves, soumis à des forces contraires qui l’empêchent d’avoir les idées claires et de réagir efficacement, le duc François n’est plus de taille à lutter. Ses ennemis profitent de plus en plus de ses instants d’égarement.
La France fait figure d’ennemie acharnée, enragée même, celle de Louis XI tout comme celle de Charles VIII et des Beaujeu. Anne de Beaujeu… Régente souvent oubliée. Véritable tête politique, digne fille de Louis XI, elle sait parfaitement tenir les rennes de l’Etat, secondée par son époux.
Anne, objet de toutes les convoitises
Rapidement s’esquisse le portrait d’une jeune fille qui s’acquitte d’une tâche colossale en succédant à son père en 1488, avec une maturité surprenante pour son âge. Comment se faire respecter en tant que « souveraine », lorsque l’on a à peine douze ans ? Anne de Bretagne parvient à imposer ses choix, habillement conseillée par quelques fidèles.
En Bretagne, la formation politique d’Anne est assurée par le cardinal de Rieux, qui l’initie aux manœuvres diplomatiques et aux subtilités de Cour. Elle est déjà capable de négocier le ralliement à sa bannière, se frotte à la duplicité des hommes, surtout ceux de son entourage.
L’auteur insiste bien sur le caractère particulièrement meurtrier de cette guerre d’usure entre France et Bretagne. Voyant que la population bretonne se décourage, Anne n’hésite pas à donner l’exemple, à sa façon, en faisant fondre la vaisselle précieuse qu’il lui reste.
Autre élément d’importance souligné dans l’ouvrage : c’est en Bretagne, à la Cour de son père, qu’Anne s’imprègne de ce luxe et de ce raffinement dont elle raffolera toute sa vie et qu’elle diffusera à la Cour de France.
Anne, rapidement, représente l’unique planche de salut de son royaume. Son mariage est un enjeu de taille, qui met en effervescence presque toutes les Cours occidentales. Elle devient monnayable au plus offrant, celui qui sera en mesure de la protéger, elle et son riche duché.
Ainsi, Anne est confrontée très tôt aux dures lois de la politique mais aussi à celles de sa condition de femme. N’est-elle pas fiancée plusieurs fois, parfois contre son gré ? Le candidat qu’elle agréée est le puissant Maximilien d’Autriche, le seul capable de la défendre. Mais les renforts tardent… Anne est finalement contrainte de s’unir au Roi de France Charles VIII, seule solution pour mettre fin à cette guerre.
Premier mariage : amoureuse désillusionnée
Grâce aux réflexions et aux explications de l’auteur, nous comprenons pourquoi Anne n’est pas traitée en Reine durant les premiers mois de son mariage : la discrétion est de mise, afin de ne pas mécontenter davantage tous ceux que cette union indispose (Maximilien le fiancé bafoué, le peuple hostile à la bretonne…)
Mais il y a encore beaucoup plus redoutable que Maximilien d’Autriche ou la rumeur populaire : le pape. Depuis qu’il a été sollicité pour accorder sa dispense, il n’a toujours pas envoyé la bulle nécessaire. Et le mariage a eu lieu ! Le couple royal encourt l’excommunication, une terrible sanction pour un Roi car un souverain excommunié n’existe plus, ni pour Rome, ni pour les catholiques, déliés alors du devoir d’obéissance envers lui.
On cherche donc à faire profil bas… Contre toute attente, Anne tombe vite amoureuse de son vainqueur, celui qui l’a pourtant humiliée devant son peuple. Elle est jeune, elle aime la vie, et elle laisse éclore sa féminité délicieuse, qui séduit Charles VIII.
Anne renaît au contact d’un être gai, agréable, et aimable jusqu’à l’affabilité. De quoi chasser tous les cauchemars d’autrefois, de quoi vivre dans l’exubérance de la jeunesse, de quoi aussi, sans arrière-pensée, se laisser aller aux passions du corps, auxquelles se sont livrés avec sensualité les deux époux.
Anne est une jeune Reine éprise de son mari, qui fait preuve également d’une grande piété et d’une intense dévotion. Orgueilleuse et aimant les belles choses, elle manifeste un certain goût du luxe, qui ne la quittera jamais et dont elle fait profiter la Bretagne et la France.
Les travaux d’embellissements du château d’Amboise, c’est pour elle. Ceux du château de Blois, pour elle encore. C’est grâce à la Bretonne et à son influence que ces deux châteaux deviennent véritablement des résidences royales, se parent de jardins, de meubles, d’objets précieux à la hauteur du rang de leurs locataires.
La bretonne s’enquiert extrêmement souvent de la santé de ses enfants. Au delà de la conscience qu’il faut un Dauphin au trône, on y voit un amour maternel particulièrement développé pour une mère aussi jeune : dix-sept ans ! La mort de Charles-Orland, le Dauphin, l’héritier tant attendu du trône, est une épreuve extrêmement douloureuse pour Anne.
A ce moment, Anne traverse l’une des périodes les plus sombres de son existence : un mari absent, trois enfants décédés en quelques dix-huit mois, la solitude dans le faste.
Car oui, son mari est souvent absent. Et Anne sait qu’il la trompe lorsqu’il est loin d’elle. L’auteur nous permet de bien suivre l’évolution de la Reine entre son premier et son second mariage. L’intimité mêlée d’angoisse dans ses relations avec Charles VIII, l’amour possessif qu’elle éprouve pour lui, sont très bien retranscrits.
Si elle parvient à éviter l’intronisation d’une maîtresse officielle, ce n’est qu’une maigre consolation pour Anne. Car Charles, s’il est discret, entretient tout de même des maîtresses d’un soir. Surtout, Anne ne joue encore véritablement aucun rôle politique d’envergure. La mort accidentelle de Charles VIII va tout changer.
Entre deux règnes : le temps de la reprise en main
On a le sentiment, qu’à vingt-et-un ans, Anne de Bretagne a déjà tout vécu.
La mort en série : celles de sa mère, de son père, de sa sœur, de ses enfants et de son époux.
L’amour : une passion sans partage pour Charles VIII, vite désillusionnée.
La guerre : celle de son enfance pour préserver l’indépendance de son duché face à la voracité de la France, où elle se trouvait au cœur du conflit, puis la campagne d’Italie entreprise par son mari, suivie de loin mais avec quelle intensité !
La maternité, porteuse d’un bonheur éphémère puis de désespoir, puisqu’après sept grossesses, il ne lui reste aucun enfant encore en vie.
Toutes ces épreuves ont forgé son caractère déjà bien affirmé. Son union avec Charles VIII a été imposée par la force des choses et des circonstances. Pour son second mariage, elle est prête, cette fois, à dicter ses conditions. Après quelques jours d’égarement, elle reprend solidement en main le gouvernement de sa Bretagne, dont son précédent contrat de mariage l’avait dépossédé.
Les astuces et manœuvres intelligentes d’Anne pour s’assurer que ce second règne sera, cette fois-ci, le sien, sont parfaitement restituées par l’auteur, qui croise admirablement les sources dont l’historien dispose.
Elle dictera ses volontés pour obtenir le meilleur contrat de mariage possible, condition indispensable à un règne éclatant.
Second mariage : Reine en puissance
Non seulement l’auteur réfute la légende selon laquelle Anne aurait toujours été amoureuse en secret de Louis XII, mais en il porte également un jugement particulièrement dépréciatif sur ce second époux de la bretonne :
Dès l’âge de treize ans, Louis saisissait toutes les occasions propres à assouvir sa très forte sensualité, voire sa perversité (…) Pour ce qui est des affaires en général, s’il a appris à administrer consciencieusement, il est demeuré un grand naïf, aussi prompt à mener les intrigues qu’à les faire échouer par maladresse. Bref, ce n’est pas une personnalité de premier plan.
Portant aux nues Anne de Bretagne, l’auteur se montre défavorable à Louis XII, qui fut pourtant (dans certaines conditions plus que d’autres), un homme politique avisé et un grand chef d’Etat. C’est le cas lorsqu’il comprend l’importance du mariage de sa fille aînée Claude de France avec un français, en l’absence de Dauphin. (voir l’article : Anne de Bretagne veut Charles Quint pour sa fille)
L’auteur, il faut l’avouer, paraît subjugué par son sujet. Anne de Bretagne, très visiblement, le fascine. Et on le comprend ! C’est une femme de caractère, intelligente et féminine, dont les malheurs ne font qu’accentuer la sympathie que l’on éprouve à son égard. Cette Reine visionnaire développe et enrichit considérablement la Cour (avant l’essor exceptionnel que lui donneront les Valois), qu’elle peuple pour la première fois de femmes.
Elle fait émerger avec éclat un nouveau style de vie où se mêlent luxe et simplicité.
Ce qu’Anne veut inculquer, la marque qu’elle veut laisser à la postérité, c’est une autre conception de la femme. Une femme digne et respectée. Une femme fière d’elle-même, que sa singularité distingue, et qu’on courtise pour ses qualités.
Mais l’auteur en oublie quelques défauts d’Anne, par exemple son manque de sens de l’humour, ou sa tendance à une trop grande prodigalité qui la fait parfois passer pour hypocrite. Je vous conseille, en complément de lecture : Les Reines de France au temps des Valois, tome 1 : Le beau XVIe siècle. Simone Bertière offre un exposé certes moins complet de la vie de la bretonne, mais elle se montre un peu plus objective dans l’analyse de sa personnalité.
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∫∫ Ce qu’il faut retenir ! ∫∫
Procurez-vous Anne de Bretagne, de Philippe Tourault !
Points positifs
♥ La part belle faite aux jeunes années de la bretonne, fondamentales.
♥ Une belle analyse de l’évolution d’Anne, en tant que femme, entre son premier et son second mariage.
♥ Livre une analyse éclatante de la personnalité d’Anne, qui mêle force de caractère et modernité, et restitue l’importance de son passage sur le trône de France.
♥ L’accent mis sur ses maternités malheureuses, trafiques pour la couronne et pour elle-même.
♥ Les évènements politiques des deux règnes bien retranscrits.
Points négatifs
♠ La fascination bien compréhensible de l’auteur pour son sujet, qui lui fait oublier certains défauts d’Anne de Bretagne.
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