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Abd El-Kader, Aumale : Identités meurtries

 

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   Singulière initiative que d’offrir au lecteur une biographie croisée du duc d’Aumale et d’Abd El-Kader. Qu’est ce qui peut bien rapprocher ce prince de la maison de France et cet Émir d’Algérie ? Car à première vue tout les oppose : le pays d’origine, la naissance, la religion, l’éducation. Mais la personnalité et le parcours des deux hommes, si similaires, transcendent ces différences. Une lecture originale et inédite de deux destins hors du commun par Thérèse Charles-Vallin. 

 

Procurez-vous Abd el-Kader Aumale : Identités meurtries, de Thérèse Charles Vallin

 

Un amour commun pour l’Algérie

   Aumale / Abd El-Kader, c’est avant tout l’histoire de l’occupation française en Algérie, et des relations complexes qu’entretiennent alors ces deux magnifiques pays.

   Grâce à une volonté de fer et un immense charisme, Abd El-Kader s’impose petit à petit comme Émir, le grand unificateur, autour de l’Islam, des tribus qui cohabitent en Algérie. Un Islam généreux et spirituel. Il fonde des institutions, modernise l’armée, réforme la justice, souhaitant reconquérir les territoires conquis par les français. C’est une véritable guerre de tactique et d’usure qu’il mène contre ses adversaires.

   Les princes de France guerroient tour à tour en Algérie, mais c’est le duc d’Aumale qui s’épanouit le plus intensément dans ses nouvelles missions administratives et de terrain, qui le conduisent au poste de Gouverneur Général. Se sentant autant chez lui en Algérie qu’en France, il se consacre avec passion et discernement à la mise en oeuvre de sa conception de la colonisation : un respect des populations locales ainsi que leur protection face aux abus des colons. Il nourrit de grandes ambitions pour l’Algérie.

   Excellents cavaliers et fins stratèges, Aumale et Adb El-Kader s’affrontent sur le terrain sans jamais remporter l’avantage. La Smala de l’Émir se dérobe. Cette véritable capitale mouvante qu’Abd El-Kader « va faire surgir, déplacer, avancer ou reculer vers le Sahara, selon les mouvements des troupes françaises », couvre une superficie de plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Cette Smala se compose des élites des tribus de l’Émir, d’armuriers, de selliers, de tailleurs, de dromadaires, de chevaux, de femmes et d’enfants… et même des magnifiques collections d’œuvres rares du grand chef. Thérèse Charles-Vallin ne manque pas de revenir sur l’épisode fameux de la prise de la Smala d’Abd El-Kader en 1843 par le duc d’Aumale, victoire qui lui donne un statut de véritable héros.

Abd El-Kader par Marie-Eleonore Godefroid (Musée de l'Armée) et Henri d'Orléans, duc d'Aumale en 1843 en uniforme d'officier général d'après Winterhalter (Château de Versailles)
Abd El-Kader par Marie-Eleonore Godefroid (Musée de l’Armée) et Henri d’Orléans, duc d’Aumale en 1843 en uniforme d’officier général d’après Winterhalter (Château de Versailles)

 

Trahis par la France

   Les troupes françaises en Algérie obtiennent enfin la reddition de l’Émir en décembre 1847. Abd El-Kader accepte de se rendre, contre l’assurance d’être escorté par les Français, avec sa très nombreuse famille, jusqu’à Alexandrie. Le duc d’Aumale se porte garant, et l’assure de la bonne foi du gouvernement de son père. Le bateau transportant l’Émir et sa tribu fait escale à Toulon, qui ne doit représenter qu’une halte dans le périple des musulmans…

   La Révolution de 1848 chasse du trône le Roi Louis-Philippe, qui s’exile en Angleterre. La Seconde République est proclamée. Aumale, qui a su servir la France avec talent tout en respectant le territoire conquis, est chassé d’Algérie comme un vulgaire parasite. Il n’y a plus personne pour faire respecter les conditions de la reddition de son ennemi, qu’il estime et admire. Les Chambres nouvellement élues redoutent de voir l’Émir rejoindre l’Orient : n’est-ce pas le meilleur moyen pour lui de continuer à conspirer contre la France ? Alors commence une longue captivité.

   L’auteur s’attache à décrire, de façon remarquable, les conditions de vie terribles dans lesquelles la République laisse vivre Abd El-Kader et sa famille, que l’on déplace de château en château comme autant de prisons

Abd El-Kader par Ange Tissier, en 1852 lors de sa captivité au château d'Amboise (réalisé en 1853 et conservé au château de Versailles)
Abd El-Kader par Ange Tissier, en 1852 lors de sa captivité au château d’Amboise (réalisé en 1853 et conservé au château de Versailles)

Les locaux sont insalubres et lugubres, le temps froid et humide, la nourriture plus que frugale. L’ennui et le mal du pays perdu, le manque de soleil, l’isolement accablent les femmes qui sombrent dans la dépression, parfois la folie. Leur vie, leur triste vie se traîne sans raison entre les murs du château qui retentissent souvent des longs sanglots des musulmanes. Les enfants sont touchés par le rachitisme, le choléra, la dysenterie, des infections scrofuleuses et toutes sortes de maladies de peau.

   Il faut attendre l’élection du prince Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République pour voir les conditions de détention s’améliorer de façon spectaculaire. Aussitôt proclamé Empereur, Napoléon III accorde à Abd El-Kader le droit de passage, non jusqu’à Alexandrie mais pour Constantinople, avec tous les siens.

   L’exil, en France pour Abd El-Kader, en Angleterre et en Italie pour le duc d’Aumale, est douloureux. Cette même France, qui s’est comportée de façon abjecte avec l’Émir, exile et prive de ses droits, alors même qu’il l’a si fidèlement servie, le duc d’Aumale.

 

Fidèles à leur patrie et à leurs principes

Henri d'Orléans, duc d'Aumale, par le photographe Appert aux alentours de 1870
Henri d’Orléans, duc d’Aumale, par le photographe Appert aux alentours de 1870

   Au fil des pages, le lecteur est surpris de découvrir que les deux héros ont beaucoup en commun. L’un et l’autre manient avec finesse la plume, sont d’une intelligence pénétrante et collectionnent avec goût les œuvres les plus rares.

   Tous deux dévoués à leur pays, ils sont habités par une hauteur d’âme qui les distingue et les rapproche. Fidèles à eux-mêmes jusqu’à leur dernier soupir, ils restent honnêtes et sincères. La droiture et la dignité sont leurs principes. Ne cherchant pas la vengeance, s’ils connaissent parfois l’amertume, aucune rancœur ne guide jamais leurs actes !

   Le prince et l’Émir, pourtant fort capables, refusent après leur exil d’endosser tout rôle politique de premier plan qui n’irait pas dans le sens de la volonté du peuple. Aumale décline ainsi la couronne de Grèce, Abd El-Kader la vice-royauté de Syrie… L’Empereur des français mettra un peu de temps avant de comprendre qu’il ne peut acheter ces hommes mus pas leurs convictions.

Abd El-Kader comme Aumale seront des pions sur l’échiquier de Napoléon III, qui cherchera, soit à les éloigner soit à les utiliser, souvent les deux en même temps. Mais ni l’Émir, ni le duc ne succomberont aux tentations illusoires concernant les royaumes de ce monde.

    On sent que Thérèse Charles-Vallin éprouve une profonde admiration pour ses deux héros, et elle nous fait vivre leur épopée à travers un style très facile à lire, qui se fait parfois poétique. Elle sait nous plonger dans les déserts d’Algérie et dans les merveilles du château de Chantilly avec une déconcertante facilité.

   Un ouvrage que l’on lit presque d’une traite. Certains personnages de l’Histoire méritent qu’on leur consacre quelques heures de lecture… Et quelle aventure que leur vie !

 

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Points positifs

♥ Une approche originale de deux destins extraordinaires aux multiples similitudes.

♥ Une vision binaire de l’histoire de l’Algérie, décrite à travers les yeux du duc d’Aumale et ceux d’Abd El-Kader.

♥ Un livre concis et clair sur la vie de ces deux héros, ce qui ne l’empêche pas d’être précis et approfondi !

♥ Le style de l’auteur : intime, décalé, poétique, facile à lire.

Points négatifs

♠ Un lecteur exigeant pourra rester sur sa faim, tant il éprouvera le désir de s’immerger complètement dans l’intimité des protagonistes. Pour compléter la lecture je vous conseille notamment : Le duc d’Aumale, Prince, chef de guerre, mécène, par Raymond Cazelles. 

 

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Cet article a 2 commentaires

  1. Frédéric BOUILLAUD

    intéressant…….
    détail amusant : comme je suis toulonnais, j’ ai visité aujourd’hui (ouvert pour les journées du patrimoine) le Fort Lamalgue, ou fut emprisonné Abd el Kader…….. On dit ici qu’ il y fut bien traité.

    On peut évoquer, concernant Abd El Kader, un épisode marquant , caractéristique du personnage, montrant sa grande noblesse .

    Vers la fin de sa vie, alors qu’ il est retiré à Damas, après ses périples ,en 1860 :

    Les troubles confessionnels du mont Liban arrivent à Damas en 1860 (massacre de Damas) :sans que le gouverneur de la ville ne s’interpose, des druzes attaquent les quartiers chrétiens, grecs et maronites, tuant plus de cinq mille habitants…..
    L’émir intervient pour arrêter le massacre et protège au péril de sa vie la communauté des chrétiens de Damas, et il en recueille chez lui. Il use de son influence pour rétablir le calme et fait arrêter les pillards……..

    1. Plume d'histoire

      Merci pour cette anecdote 😉

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