L’histoire de Marie-Madeleine-Gabrielle de Rochechouart de Mortemart a été éclipsée par celle, plus scandaleusement trépidante, d’une grande favorite royale. Marie-Madeleine est en effet la soeur de Madame de Montespan. Pourtant, celle que l’on surnommait la Perle ou la Reine des Abbesses fut la « gloire de son sexe et l’ornement de son siècle ». Une femme de caractère, religieuse, savante, lettrée et grande épistolière.
Abbesse de Fontevraud à vingt-cinq ans
Marie-Madeleine est la fille de Gabriel de Rochechouart, duc de Mortemart, et de Diane, marquise de Grandseigne. Elle naît en 1645, dans le pavillon des Tuileries qu’occupe alors son père : il a été gentilhomme du roi Louis XIII. Jusqu’à l’âge de onze ans, elle est élevée sous le même toit que Philippe d’Orléans, frère cadet du jeune Louis XIV.
L’enfant est destinée à une vie religieuse, dont elle n’a pas la vocation. C’est en trainant des pieds qu’elle accepte d’être enfermée dans un couvent. La jeune fille met ce temps à profit : rapidement, elle maîtrise le grec, le latin, l’italien et l’espagnol. On la présente à l’Infante Marie-Thérèse nouvellement arrivée d’Espagne, et la jeune fille étonne toute la Cour tant elle parle bien la langue maternelle de la nouvelle reine de France.
Contre toute attente, Marie-Madeleine se découvre finalement une vocation religieuse. Elle prend le voile devant toute la Cour, à l’Abbaye aux bois, en 1664, « de la main des deux reines Anne et Marie-Thérèse d’Autriche ».
La jeune femme parvient à être nommée par Louis XIV abbesse de Fontevraud, le 18 août 1670, âgée de vingt-cinq ans seulement. Elle peut remercier sa sœur Athénaïs, qui n’est pas étrangère à cette nomination ! Elle succède dans cette tâche à Jeanne de Bourbon, fille naturelle de Henri IV et de Charlotte des Essarts.
On ne pouvait rien donner de plus illustre après le sang des Bourbons.
En effet, Marie-Madelaine va se montrer à la hauteur de cet honneur qui lui est fait. Elle prend possession de son abbaye, l’une des plus prestigieuse de France, en mars 1671.
Plus de dix-mille personnes se massent pour apercevoir celle qui est déjà réputée pour son esprit, celui de la famille Mortemart, et pour sa beauté. Une fresque de Thomas Pot, à Fontevraud, la représente plusieurs années après son investiture : un visage plein et arrondi, le regard calme et velouté, témoins de la beauté de sa jeunesse qui, malgré un nez légèrement imposant, devait être réelle.
Marie-Madeleine, reine en son royaume
D’un esprit pénétrant et fertile, Marie-Madeleine est aussi généreuse et profondément bienfaisante, chérissant ce sentiment de « n’être pas tout à fait inutile dans ce monde », comme elle l’écrit elle-même. Les religieuses sont rapidement conquises.
Les charmes de sa personne, soutenus par une politesse infinie, et une affabilité gracieuse, lui gagnaient les cœurs, pendant que son air sage, modeste et plein de majesté, les tenaient dans le respect et dans le devoir.
Elle administre son abbaye, et la soixantaine de couvents qui y sont rattachés, comme un petit royaume. Elle sait y faire régner l’ordre avec une habileté rare. Ses manières, à la fois douces, autoritaires et énergiques, intransigeantes parfois, sont appréciées de l’Ordre.
La discipline la préoccupe beaucoup. En 1674, elle se plaint du peu de soumissions de certaines religieuses qui harcèlent les mères prieures pour obtenir des permissions de sortie. Elle recommande de veiller à faire taire ce qu’elle considère comme un « libertinage d’esprit ». En 1686, elle restreint les autorisations de sorties des religieuses, qui ne peuvent se faire que dans le cas d’une nécessité absolue.
L’uniforme ne doit pas non plus être trop mondain. Elle précise en 1681 : « Nous ordonnons la simplicité et l’uniformité dans les habits et les coiffures »
Entre autres règles insolites, elle interdit aux pères confesseurs de s’offrir le luxe de chasser, un plaisir qu’elle juge « scandaleux », quand bien même ils y seraient conviés par le roi. Ses règlements sont jugés excellents par Bossuet, qui en demande des exemplaires pour « apprendre à gouverner les religieuses de son diocèse ».
Avant la Révolution, on trouvait à Fontevrault un portrait de Marie-Madeleine de Rochechouart. Sous le tableau, les vers d’un poète :
Cette femme illustre éclata,
Par un profond savoir rare aux temps où nous sommes,
Et par ses vertus mérita,
L’honneur de commander aux hommes.
L’abbesse termine aussi les projets architecturaux non achevés par Jeanne de Bourbon, ne ménageant pas sa fortune pour embellir Fontevrault : dortoirs, chapelles restaurées ou nouvellement construites, vastes salons et spacieuses galeries, beaux jardins d’agrément…
Savante et lettrée
Sa charge est considérable. Mais elle trouve le temps de s’adonner à ses activités favorites, dans lesquelles elle puise une forme d’épanouissement : jardinage, et surtout écriture et lecture.
Intelligente, fort cultivée, ayant de la conversation, Marie-Madeleine est versée dans la science, la philosophie, la morale, la théologie, la métaphysique et l’Écriture sainte. Elle aime converser avec des érudits, lire Platon et Homère. Elle s’essaie même à quelques traductions, et « les meilleurs écrivains de ce siècle lui ont souvent donné leurs ouvrages à examiner ».
Amie de Mesdames de Sablé et de La Fayette, ou encore de Racine, « elle partageait leur admiration pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité et des temps modernes »
Tous ses talents en font une personne véritablement extraordinaire et Mme de Caylus affirme « qu’on ne pouvait rassembler dans la même personne plus de raison, plus d’esprit, et plus de savoir ».
Aimant passionnément les lettres, elle fuit pourtant toute gloire littéraire. Extrêmement modeste contrairement à ses deux sœurs, elle donne tout son temps à l’administration de sa grande abbaye, consciente de son privilège.
Bien différente de ceux qui croiraient tout perdu si une ligne sortie de leur plume manquait à la postérité, elle mettait un soin particulier à dérober ses productions au public.
Ses connaissances, elle les consacre surtout à Dieu, en rédigeant des ouvrages de piété et de morale, des maximes de conduite. On apprécie le ton et l’éloquence de ses sermons : une foule se presse lors de ses discours.
Une précieuse correspondance
La soeur de Madame de Montespan reçoit beaucoup dans son abbaye. Elle entretient une correspondance abondante avec quelques amis triés sur le volet, dans un style épistolaire à la fois gracieux, affectueux, noble et digne. Ces lettres nous renseignent à merveille sur la personnalité de l’abbesse. A l’un de ses amis, Segrais, elle avoue :
Le commerce avec mes amis est ma consolation la plus sensible, et vous jugez bien, Monsieur, à quel rang je mets celui de Madame de La Fayette. On trouve en elle tous les esprits avec une attention, une exactitude et une sûreté qui n’est assurément pas ordinaire.
En 1674, elle mentionne son autre sœur la marquise de Thianges, qu’elle n’aime guère, dans une lettre à Madame de Sablé. Visiblement, le comportement de sa sœur à la Cour ne lui plait pas, et lui inspire des mots bien amers :
Je suis résolue à prendre patience, à me passer des gens et à me souvenir toujours des injustices dont ils sont capables, non pas pour leur en vouloir du mal, mais afin de n’être jamais assez sotte pour faire aucun fond sur eux.
Une lettre adressée au Docteur Vallant témoigne bien de sa profonde modestie :
Je sais très bien que je ne remplis pas tous les devoirs de ma charge, que la force, la vigilance et la ferveur, qui sont des qualités nécessaires à une supérieure, me manquent tout à fait. Ainsi, je vous assure que je ne suis encore nullement satisfaite de ma conduite.
Ses lettres à sa sœur Madame de Montespan ont malheureusement toutes été perdues, elles nous auraient sans doute éclairé sur ce qu’elle pensait de la position d’Athénaïs à la Cour !
Marie-Madeleine et la Cour : entre la Montespan et Louis XIV
L’abbesse de Fontevrault avoue à son ami Segrais le 26 avril 1686 :
Le monde attache le bonheur à des places où l’on ne peut trouver ni repos, ni plaisir, sans quoi, pourtant, je ne vois pas que l’on puisse être heureux.
En clair, l’univers de la Cour dans lequel s’épanouissent outrageusement deux de ses sœurs ne l’intéresse pas. Elle fait peu de séjours à la Cour (quatre nous sont connus), mais dès le premier, elle s’attache durablement Louis XIV.
En 1675, son père le duc de Mortemart est victime d’une attaque de paralysie. Marie-Madeleine est appelée en tout hâte à Paris. Elle arrive au plus fort des amours entre Athénaïs et le monarque. Elle dîne aux Carmélites avec la reine, le roi et Madame de Montespan. Louis XIV lui fait cadeau d’un diamant d’une valeur de 3 000 louis.
Le roi a pour la sœur cadette de sa maîtresse énormément de considération. Il aime recevoir des lettres de sa part, mais préférerait l’avoir près de lui pour converser avec elle. Il lui propose même l’abbaye de Montmartre pour la rapprocher de la Cour, ce qu’elle refuse ! Louis XIV apprécie décidément beaucoup celle qui se défend pourtant de participer à tout divertissement public. Le duc de Saint-Simon nous raconte :
Le roi la goûta tellement, qu’il avait peine à se passer d’elle. Il aurait voulu qu’elle fût de toutes les fêtes de sa cour, alors si galante et si magnifique.
Marie-Madeleine rentre à Fontevrault en décembre, son père étant mort le lendemain de Noël. Elle fait en 1679 un second séjour dont nous ne savons rien. L’abbesse écrit à Segrais le 8 juillet 1686 :
Je n’envisage point que je puisse aller à Paris, et il est bien certain que je n’irais jamais sans une vraie nécessité, ce qui est chose assez rare.
En 1696 elle s’y trouve pourtant car elle assiste à un sermon du père La Ferté. Le 8 juillet 1699, Madame de Montespan écrit à la maréchale de Noailles : « Ma sœur est fort déterminée à ne point aller à Paris, et je ne combats pas sa résolution ».
Marie-Madeleine s’y rend tout de même une dernière fois en 1700. Elle dîne chez… Madame de Maintenon et revoit Louis XIV qui rentre de Marly. Sa sœur n’est plus maîtresse du roi depuis longtemps. L’abbesse vient pour suivre un procès dans lequel elle s’est embarquée contre les évêques du Grand-Conseil. Car la gestion de Fontevrault n’est pas tâche facile et lui vaut quelques mésaventures…
Épreuves de force
Au cours des 34 années qu’elle passe à Fontevrault, des conflits d’attribution lui valent des accrochages sérieux avec certains prélats, de puissants seigneurs à qui elle n’hésite par à tenir tête : l’évêque de Saint-Flour, l’évêque de Poitiers, et surtout l’archevêque de Reims.
En 1695, un édit impose que les religieuses qui souhaitent sortir d’un monastère doivent obtenir la permission écrite et motivée de l’archevêque du diocèse. Une grave atteinte à l’autorité de Marie-Madeleine. L’archevêque de Reims, soutenu par des prélats, veut faire plier l’abbesse de Fontevrault. Cette grave affaire préoccupe beaucoup l’intéressée qui, poussée à bout, implore le secours de Louis XIV :
Faudra-t-il donc voir périr entre mes mains des privilèges qui ont subsisté depuis tant de siècles ? (…) Ce n’est que par là que j’ai conservé jusqu’ici ce que j’ai reçu des princesses à qui j’ai l’honneur de succéder, et si ce secours me manque, il est impossible que j’évite la honte dont Votre Majesté s’est en quelque façon engagée à me garantir. Je n’éviterai pas non plus un malheur plus essentiel, qui serait de perdre l’estime et la confiance des personnes que je gouverne, et ainsi de ne pouvoir plus les conduire avec succès.
L’affaire est enterrée quelques années, puis se ravive en 1701 : pour défendre ses privilèges, Marie-Madeleine demande la permission au roi de plaider contre les évêques. Elle écrit aussi à Madame de Maintenon, avec qui elle entretient une relation affectueuse, rarissime amitié chez l’épouse secrète du souverain.
Ce combat mené sans coup férir témoigne de la force de caractère de Marie-Madeleine, capable de se dresser contre tous pour défendre ses droits, dans un monde régi par les privilèges.
Les dernières années
À partir de 1695, l’abbesse de Fontevrault se rapproche beaucoup de sa sœur Athénaïs, chassée de la Cour. Elle écrit, dans l’une des ses dernières lettres à Segrais, en 1699 :
J’ai la compagnie de ma sœur au moins la moitié de l’année, et cela en attire encore d’autres qui peuplent assez ce désert pour lui ôter la tristesse que pourrait causer une solitude trop grande et trop continuelle.
Elle conserve par ailleurs l’amitié de Madame de Maintenon, qui lui écrit six mois après la chute de sa rivale, avec quelque hypocrisie et en cachant bien sa satisfaction :
Je suis ravie d’avoir reçu quelques marques de souvenir de Mme de Montespan. Je craignais d’être mal avec elle ; Dieu sait si j’ai fait quelque chose qui l’eût mérité et comment mon cœur est pour elle !
À l’occasion de son séjour à Paris en 1700, Marie-Madeleine en profite pour visiter le fameux Saint-Cyr de son amie. Mme de Maintenon écrit à la supérieure de son couvent :
Que les classes soient en bon ordre ; que les plus belles voix chantent les psaumes à vêpres (…) ; que mon appartement soit propre et paré ; enfin, ma chère fille, n’oubliez rien pour que toute la maison de Saint-Louis soit dans son lustre ; madame de Fontevrault ne l’a jamais vue.
La santé de Marie-Madeleine décline doucement depuis plusieurs années, ce qui l’oblige à faire des cures à Bourbon. Elle meurt à Fontevrault le 15 août 1704, âgée de cinquante-neuf ans. Sa nièce Louise-Françoise de Rochechouart, la fille de son frère, est à son chevet.
La douleur d’Athénaïs est immense. Quant à Louis XIV, alors qu’il montrera une parfaite indifférence en apprenant la mort de Louise de La Vallière et d’Athénaïs de Montespan, il est très affecté par la perte de Marie-Madeleine. Il la remplace à la tête de Fontevrault par sa jeune nièce :
Je suis très fâché de la perte de madame de Fontevrault. J’ai cru ne pouvoir mieux la remplacer que par une personne qui lui fût proche, et qui, ayant été élevée auprès d’elle, eût pris ses maximes et profité de ses exemples…
Il est vrai que Louis XIV, touché par les grâces naturelles, la vaste culture, l’esprit élevé, la foi ardente et le sens de gestion de Marie-Madeleine, lui avait toujours témoigné beaucoup d’estime et d’amitié, en rien émoussé par l’éloignement de Madame de Montespan.
De mémoire de religieuse, jamais abbesse n’avait poussé à un tel degré de perfection le difficile art de régner…
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Sources
♦ Madame de Montespan, de Michel de Decker
♦ Les reines de France au temps des Bourbons : les femmes du Roi-Soleil, de Simone Bertière
♦ Madame de Montespan, de Jean-Christian Petitfils
♦ Une Abbesse de Fontevrault au XVIIème siècle : Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, de Pierre Clément
En tant qu’Abbesse elle prend la suite d’une autre abbesse importante de Fontevraud: Jeanne-Baptiste de Bourbon fille illégitime d’Henri IV et Charlotte de Romorantin.
Très intéressant cet article en tout cas
Merci !
Bon article
Juste pour info, Fontevraud s’écrit avec un D à la fin. Le nom viens de « fonte ebraldi » signifiant la fontaine d’Evraud.
Merci pour la précision ! On le voit écrit de différentes façons mais effectivement vous avez raison 🙂
Merci à vous pour ce fort bel article . Proche et différente de sa sœur elle est certainement son complément indispensable pour en pénétrer sa psychologie, ce qui nous évite toutes les caricatures sur le prétendu cynisme qu’on tend trop libéralement à prêter à Madame de Montespan . Les Rochechouart étaient ambitieux, brillants mais profondément religieux par ailleurs