Grand personnage que Louis-Napoléon Bonaparte, élevé successivement à la dignité de Président, Prince-Président puis Empereur des Français. Illustre époque que ce Second Empire, synonyme de développement et de modernisation dans de nombreux domaines. Pourtant, Napoléon III demeure sans doute l’un des souverains de France les plus maltraités par l’Histoire, et son règne l’un des plus méconnus.
Dans son Napoléon III, Eric Anceau propose ici de rendre justice à celui qui fut, contrairement aux idées reçues, un souverain aux multiples talents et un homme aux mérites oubliés. Il présente également les particularités de ce Second Empire, bien plus riche que ne le laissent supposer les traditionnels clichés évoquant les grandioses boulevards haussmanniens et les fameuses crinolines.
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Louis-Napoléon : l’énergie d’un Bonaparte
Toute une première partie de l’ouvrage est consacrée aux jeunes années de Louis-Napoléon, période peu connue de sa vie. Le lecteur découvre le fils de Louis Bonaparte (jeune frère de Napoléon Ier ) et d’Hortense de Beauharnais (fille de l’Impératrice Joséphine). Choyé par un entourage presque exclusivement féminin, le garçon est très proche de sa mère. Ce qui explique peut-être, en partie, son futur attrait très prononcé pour le beau sexe ! Hortense, femme douce et intelligente, lui prodigue une éducation solide, et l’éveille à la politique. Il est intéressant de constater que la plupart des conseils qu’elle lui donne, et qu’Eric Anceau nous relate soigneusement, témoignent d’une grande lucidité. Surtout, l’enfant est imprégné, dès sa petite enfance, du destin extraordinaire de son oncle, envers qui il éprouve une puissante admiration.
Dès son adolescence, il manifeste le besoin d’œuvrer pour une cause qui lui paraît juste, de s’engager. C’est un jeune homme qui, brûlant d’énergie, ne supporte pas l’inaction. La cause italienne, qui lui rappelle son oncle, l’enflamme au point de lui faire entreprendre des actions qui scandalisent toute la famille. Revenu à la raison, le jeune homme entame une vie d’errance, fort bien détaillée par l’auteur. Toujours aussi ardent, il échafaude, avec l’aide de celui qui restera son fidèle conseiller, Persigny, deux tentatives de coup d’État qui vont échouer lamentablement et qui lui donneront le statut d’agitateur ridicule de la famille. Ces deux soulèvements manqués de Louis-Napoléon sont contés avec précision par Eric Anceau. Nous en apprenons beaucoup sur ses motivations et sur son caractère, ainsi que sur les hommes de confiance qui, déjà, l’entourent. Désavoué par sa famille, il n’est nullement ébranlé par ses échecs ni préoccupé par l’hostilité que lui manifeste le clan Bonaparte. Le gouvernement français rend son jugement : emprisonnement à perpétuité au fort de Ham.
De nombreuses pages sont consacrées à ces cinq années de prison. Le lecteur acquiert alors la certitude, contrairement à ce qui est encore soutenu aujourd’hui, que Louis-Napoléon n’a rien d’un utopiste. Eric Anceau développe consciencieusement la pensée politique de son personnage, de façon à plonger dès le départ le lecteur au cœur des préoccupations de l’homme. Il attend son heure, affine ses opinions, et s’il entretient le culte de son oncle, Louis-Napoléon sait reconnaître ses erreurs et comprendre l’évolution de la société. Il se forge ses propres principes et ses propres doctrines. Des projets pour la France, il en a beaucoup, et les mûrit durant son séjour à « l’université du Ham », surnom qu’il donne, avec dérision, à sa prison. Sa fuite rocambolesque, commentée dans l’Europe entière et retracée ici dans ses moindres détails, clos le chapitre avec humour.
Pour atteindre le pouvoir
Le jeune Louis-Napoléon, dont le séjour en prison a déjà abîmé la santé (ce qui aura, plus tard, des conséquences fâcheuses sur la conduite de l’Etat) est un être persévérant. Il croit en son étoile, Eric Anceau insiste sur cet aspect de son caractère. Il ne tarde pas à revenir sur la scène politique française.
Nous assistons comme si nous y étions aux manœuvres de ces hommes prêts à tout pour atteindre le plus haut degré du pouvoir : Président de la République. Louis-Napoléon n’est pas en reste. Propagande intensive, instinct politique très sûr, « prêts » d’argent de la part de ses adeptes et même de ses maîtresses… ponctuent sa campagne. C’est un homme dans la force de l’âge, mature et déjà rompu aux manœuvres du pouvoir, qui est élu triomphalement.
Sans occulter les quelques fautes commises par ce Président tout neuf, ses hésitations et ses intrigues, Eric Anceau nous guide à travers cette époque très mal connue du XIXe siècle, quatre années de présidence durant lesquelles le prince affine ses idées, s’endurcit, s’exerce à tenir les rênes de la France. Nous suivons l’évolution de pensée qui se fait dans l’esprit de Louis-Napoléon, cheminement lent mais sûr, qui le conduit à revendiquer le statut d’Empereur. Désormais, la France a un chef avec qui les puissances d’Europe devront compter.
Le Second Empire révisé
L’immersion au cœur de ce Second Empire, que l’on connaît finalement très mal, est particulièrement réussie.
Le Second Empire, ne l’oublions pas, c’est aussi une Impératrice, Eugénie de Montijo, qui fait tourner la tête de Napoléon III en se refusant à lui. C’est l’occasion pour l’auteur de brosser un portrait rapide mais juste, quoiqu’un peu tardif, de cette femme stigmatisée, « l’Espagnole » comme on disait « l’Autrichienne », trop souvent accusée des pires méfaits. Le fonctionnement des institutions politiques est également déchiffré par l’auteur de façon magistrale, ce qui permet de mieux comprendre la situation de plus en plus délicate à laquelle devra faire face Napoléon III. Eric Anceau ne s’en tient pas là, offrant une véritable plongée au coeur de la vie aux Tuileries à cette époque, ne négligeant ni les antagonismes de clans, ni les multiples protagonistes qui évoluent dans les allées du pouvoir. Les tentatives d’assassinat, les tractations entre la France et les autres Cours européennes, l’amitié étonnante entre l’Empereur et la Reine Victoria… Rien n’est laissé de côté.
Surtout, le lecteur fait connaissance avec Napoléon III, loin des stéréotypes qui le rangent dans la catégorie des utopistes, plus préoccupé par les plaisirs de la chair que par la conduite de la France, pâle imitation de son oncle. « Napoléon le Petit », comme le baptisait si aimablement Victor Hugo ! Eric Anceau, loin de chercher à minimiser les défauts de l’homme, tâche de restituer sa personnalité de façon la plus objective possible. La fascination qu’il exerce sur ses interlocuteurs, sa capacité à appréhender l’avenir, son habileté diplomatique, son caractère insaisissable, mais aussi la terrible maladie qui le ronge et qui l’emportera prématurément… Je me suis prise, débarrassée des idées reçues, à admirer cet homme débordant de mérites, qui a tant œuvré pour son pays, constamment en butte aux institutions.
Si l’on a autant caricaturé celui qui fut le dernier souverain de France et son premier Président, c’est donc en partie à cause de Victor Hugo, qui ne se lassait jamais de le dénigrer, mais aussi car la personnalité très secrète de Napoléon III se prêtait à merveille aux élucubrations de toutes sortes. Mais quel homme, en vérité ! Et quelle époque ! Pourtant, ce Second Empire n’est pas familier aux Français. La figure imposante du baron Haussmann a laissé des traces dans la mémoire populaire, mais la personne de Napoléon III n’est guère citée. Rare sont ceux qui savent que sans l’appui et la volonté de l’Empereur, Haussmann ne serait jamais sorti de l’ombre et aurait certainement pris racine dans son poste de Préfet de la Gironde.
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Le règne de Napoléon III ou la politique décortiquée
Napoléon III, contrairement à son oncle, se soucie profondément du progrès social de son pays.
Avec surprise, le lecteur peut apprécier la modernité de ce souverain, dont de nombreuses mesures sociales ambitieuses bloquées par les institutions de son temps seront établies sous la IIIe République… La profusion d’idées qui traversent l’esprit de cet homme, et que l’auteur retranscrit, est stupéfiante. Grâce à Napoléon III, la France rattrape son retard dans de multiples domaines, qu’il s’agisse du secteur de l’industrie, des transports, de la communication, de l’agriculture ou de l’urbanisme… Il fait véritablement entrer la France dans l’ère de la modernité et cette évolution est approfondie par l’auteur avec une dextérité qui illustre la connaissance pointue qu’il a de son sujet.
La politique extérieure également est remarquablement développée. La guerre de Crimée, les guerres d’Italie, la désastreuse aventure du Mexique, tout est là. Et Sedan, bien évidemment. L’auteur s’attarde sur cette bataille qui est entrée dans l’Histoire comme la plus humiliante défaite du règne, l’écroulement de ce Second Empire que Napoléon III a mis tant d’années à bâtir. Un colosse aux pieds d’argile : il aura suffi d’une guerre désastreuse pour que l’opinion, versatile, réclame la déchéance de l’Empire, tandis que Napoléon III vit des jours amers, prisonnier solitaire et meurtri. On ne peut s’empêcher de rapprocher ce dénouement tragique de l’écroulement du Premier Empire, qui s’était disloqué dès l’apparition des premières graves défaites de son chef. Suivent des pages particulièrement émouvantes, relatant l’exil de Napoléon III en Angleterre. Bien accueilli par la population britannique et sa Reine, véritable héros national, il est touchant de le suivre dans les toutes dernières années de sa vie. Il renoue des liens très forts avec sa femme Eugénie, et même si j’aurais aimé en savoir davantage sur les rapports de Napoléon III avec son fils unique, ce chapitre conclut l’ouvrage avec brio.
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Napoléon III d’Eric Anceau : des recherches riches et variées
Le travail de l’auteur est colossal, cette constatation est évidente dès les premières pages. Tout au long de l’ouvrage, le lecteur ne peut qu’être comblé par la richesse et l’abondance des sources exploitées.
Les recours très fréquents aux discours, lettres et écrits en tout genre de Napoléon III lui-même sont extrêmement appréciables. De même, afin de mieux cerner la personnalité et le physique de l’Empereur, l’auteur fait appel à divers témoignages contemporains qu’il mêle et analyse. Le résultat est particulièrement convaincant.
Le style mêle sérieux, humour, fluidité. Le découpage des chapitres est clair, bien ficelé, rendant la lecture particulièrement agréable.
Une biographie de grande qualité, que je vous conseille de compléter par celle de l’Impératrice Eugénie, par Jean des Cars (Eugénie, la dernière impératrice : Ou les larmes de la gloire). La femme et la souveraine sont remarquablement analysées, permettant de vivre le Second Empire (et au delà) à travers les yeux d’Eugénie, beaucoup plus attachée à la France que les mauvaises langues ont toujours voulu le faire croire. La Princesse Mathilde, du même Jean des Cars, est un autre complément très intéressant sur cette époque fascinante et ses multiples acteurs (La princesse mathilde – l’amour, la gloire et les arts)
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Points positifs
♥ La richesse et l’abondance des sources, qui composent un ouvrage sérieux et complet
♥ La personnalité de Napoléon III déchiffrée : découverte de l’homme et du souverain loin des stéréotypes
♥ Décortication des institutions, mettant en lumière leur complexité tout en rendant compréhensible leur fonctionnement
♥ Une analyse de la politique de Napoléon III extrêmement poussée et très bien construite
Points négatifs
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Pour avoir une vision caricaturale et polémique de Napoléon III, il est intéressant de lire Victor Hugo et ses CHATIMENTS. Napoléon « le grand » et Napoléon « le petit » s’y opposent, sous la plume acérée et brillante de l’un de nos meilleurs poètes!
A l’époque, quelle mauvaise publicité pour l’Empereur !
J’ai beaucoup aimé ton article.
Si tu t’intéresses aux relations familiales entre Napoléon III, Eugénie et leur fils, je crois que les mémoires de la Princesse de Metternich concernant ses séjours à Compiègne etc (publiées entre autres sous le titre « Je ne suis pas jolie, je suis pire ») pourraient t’intéresser. Il y a quelques descriptions intéressantes de leur fonctionnement familial. Je crois qu’on peut avancer que Napoléon III était un père aimant et très fier de son fils.
Merci pour ce commentaire 🙂 En effet ces Mémoires doivent être passionnantes… Le trio forme une famille très touchante selon moi !
Coucou c’est encore moi! 🙂
J’ai beaucoup aimé cet article qui cassait le stéréotype de Napoléon III ( mais on peut comprendre la haine qu’éprouvent Victor Hugo et Alexandre Dumas). En effet tout en ne niant pas les incroyables progrès qu’il a fait a la France fait n’oublions pas qu’il a fait de terribles répressions , qu’il a tout de meme retardait la liberté, et que la réussite de la modernisation de la France s’est faite au prix de la misère des ouvriers.
Soit dit en passant, autant je trouve exagéré que l’on dise de Napoleon III que c’était un petit, autant je trouve que Thiers qui prendra le relais lorsque Napoleon sera fait prisonnier n’a pas usurpé son titre de boucher lors de son rôle de la semaine sanglante
Misère des ouvriers ? Il a fait beaucoup pour eux.
Retarder la liberté ? L’Empire libéral c’est quoi ?
Répression ? Après le 2 décembre il fera tout pour amnistie le plus grand nombre …