L’Impératrice Marie-Louise ? Elle fut la seconde à porter ce titre en France, de 1810 à 1814, en tant que deuxième épouse de Napoléon Bonaparte.
Si tout le monde connaît la célèbre Joséphine, la première femme de l’Empereur, Marie-Louise en revanche semble avoir été balayée en coup de vent par l’Histoire, comme effacée des mémoires. Les biographies à son sujet sont plutôt rares. Pourquoi ? Et d’où vient cette mauvaise réputation qu’elle traine encore comme un boulet, près d’un siècle et demi après sa mort ?
Cette biographie de Marie-Louise par Geneviève Chastenet réhabilite celle qui supporta courageusement d’être le jouet des puissances européennes, et dont les apologistes de Napoléon n’eurent jamais de cesse de flétrir la mémoire.
Procurez-vous Marie-Louise, de Geneviève Chastenet
L’éducation de l’archiduchesse Luisel à Vienne
L’introduction relate l’arrivée au pouvoir de Napoléon, sa rencontre avec Joséphine et la construction de l’Empire napoléonien. Nous suivons le cheminement qui se fait dans l’esprit de Bonaparte, ce qui le conduit à désirer ardemment une épouse de sang royal : acquérir une légitimité auprès des Cours souveraines et engendrer un héritier. L’auteur poursuit en résumant grossièrement l’histoire de Marie-Louise, initiative qui m’a paru superflue mais pourra se révéler utile à ceux souhaitant un aperçu de la vie du personnage avant d’entrer dans le vif du sujet.
Les chapitres relatant la jeunesse de Marie-Louise m’ont particulièrement plu. Cette femme a été immortalisée comme une éternelle grande enfant immature et timide, revêtue de ses somptueuses toilettes d’Impératrice, et dont les moindres désirs étaient satisfaits par son mari empressé. Peu de gens s’intéressent à l’enfance autrichienne de celle que l’on surnommait alors affectueusement « Luisel » et qui se gavait insouciamment de sucreries. L’auteur nous immerge au cœur de cette vie viennoise, bon enfant, familiale, et met l’accent sur l’attachement profond qui lie l’Empereur Ferdinand II et sa fille aînée, et qui les liera toute leur vie. Nous faisons la connaissance d’une fillette énergique, animée, gaie et touchante. En quête d’affection que sa mère ne lui prodiguera jamais et qu’elle trouve chez son père, chez ses gouvernantes et chez ses amies, Marie-Louise aime la nature et s’ébat joyeusement au milieu des statues et des fontaines, parcourant les jardins de Schönbrunn du matin jusqu’au soir.
Vivre l’épopée napoléonienne en se plaçant du côté de l’Autriche est édifiant. La gloire française est vue (et vécue), d’une toute autre manière…
La maturité étonnante de Marie-Louise d’Autriche
Le lecteur ne peut qu’éprouver de l’admiration devant la résignation avec laquelle Marie-Louise accepte d’être livrée à « l’ogre corse », ce Napoléon qu’elle a appris à détester. Faisant abstraction totale de sa volonté propre, elle se soumet, de façon absolument extraordinaire, à son père adoré, le chef de famille. Elle comprend les enjeux dont elle est l’objet, et la position difficile dans laquelle se trouve François II, contraint de choisir, en tant qu’homme d’état, entre le bien être de ses sujets et le bonheur de sa fille. Consciente des devoirs qui pèsent sur son père, Marie-Louise accepte ce sacrifice ultime pour lui complaire et apporter enfin la paix à son pays.
Nous suivons presque au jour le jour le périple de Marie-Louise, les étapes de son voyage qui la conduit jusqu’à son promis. Long trajet durant lequel elle fait preuve d’une patience remarquable et d’une parfaite maîtrise d’elle-même. Elle enchante par sa simplicité, sa gentillesse et sa fraîcheur, caractéristiques qui méritent d’être soulignées.
On ne peut que louer le courage de la jeune fille, qui endure et supporte les innombrables festivités imposées par son époux et par le protocole (le passage évoquant Napoléon excédé lui-même par l’étiquette trop rigide, impatient de « consommer son mariage », est très drôle à lire).
Le style de l’auteur est extrêmement agréable. Elle a l’art de nous relater les faits avec minutie, en entrant dans l’intimité de cette jeune souveraine, sans pour autant nous accabler de détails, excepté quelques lettres qu’elle transcrit dans leur intégralité et qui méritaient d’être élaguées, ne serait-ce que pour une meilleure compréhension. Ceci-dit, la correspondance entre l’Empereur des Français et Marie-Louise, entre Marie-Louise et son père, est très bien exploitée. Napoléon peut se montrer étonnement sévère et brusque dans ses propos avec ses proches, mais reste toujours très courtois et très tendre avec sa femme.
Les scènes entre Marie-Louise et son fils sont très instructives. Comment a-t-on pu constamment reprocher à l’Impératrice d’être totalement dépourvue d’instinct maternel ? Son indifférence supposée à l’égard de son petit garçon est ici démentie par maints détails touchants, qui prouvent l’attachement de Marie-Louise pour ce fils tant attendu par Napoléon.
L’impératrice Marie-Louise : un bel oiseau en cage
Le quotidien de Marie-Louise est admirablement dépeint. L’auteur sait retranscrire l’ambiance de prison dorée qui règne dans les appartements de l’Impératrice, étroitement surveillée par une véritable armée de femmes à son service.
Six femmes rouges (…) chargées de surveiller Marie-Louise jour et nuit : deux sont postées en sentinelle devant sa porte, deux autres ont pour missions de la réveiller et de lui servir des repas, la cinquième est préposée aux bijoux, la sixième à la bibliothèque, à l’écritoire, aux partitions de musique et au matériel de peinture. Ensuite six femmes noires (…) doivent s’occuper de l’entretien des vêtements. (…) Enfin six femmes blanches responsables de l’eau chaude, du bain, du ménage, des bougies, de l’extinction des feux le soir et de leur allumage le matin. A tous les échelons, ces bataillons sont caporalisés. Cette maison qui fonctionne comme un camp militaire est évidemment protégée, sinon verrouillée, par une armée de chambellans, écuyers, porte-malles, valets, etc…
Napoléon interdit à sa femme de se trouver seule en présence d’un autre homme. Cette paranoïa, qui lui fait craindre que l’enfant que sa femme portera ne soit pas de lui, est tellement surprenante qu’on a du mal à y croire. Une hantise qui lui viendrait du souvenir encore cuisant des infidélités chroniques de sa première épouse Joséphine ?
Le lecteur reste interdit par la façon dont Napoléon la tenait perpétuellement sous surveillance. La pauvre princesse, habituée durant ses jeunes années à la vie bourgeoise de Schönbrunn, assez spontanée, doit se soumettre au carcan très dur, bien plus sévère que sous Joséphine, que lui impose la Cour Impériale constituée par son caractériel mari. Et le plus incroyable reste le fait qu’elle accepte cette vie avec une docilité déconcertante.
L’auteur réussit à nous prouver que, contrairement à ce que beaucoup ont voulu faire croire, cette soumission n’est en rien synonyme de faiblesse de caractère. Elle est jeune et fraîche, un peu timide, mais elle n’est pas sans dignité et n’hésite pas à se faire entendre lorsque les choses vont trop loin à son goût. C’est l’éducation de Marie-Louise qui lui dicte son comportement : on lui a appris à faire confiance aux hommes et à les écouter, à leur obéir. Il faut aussi reconnaître que la jeune femme, contre toute attente, s’est éprise de celui qui lui faisait horreur. Son caractère généreux, qui a été complètement occulté, est restitué.
✨ À lire aussi : L’accouchement aux fers, terreur des Impératrices
Marie-Louise de Geneviève Chastenet ou les légendes démolies
Si Marie-Louise ne se montre pas aussi à l’aise en société que pouvait l’être Joséphine, lui reprocher étroitesse d’esprit et ignorance n’est absolument pas justifié. L’archiduchesse était très cultivée, très instruite et parfaitement capable de tenir son rang. Et beaucoup plus jeune que Joséphine, qui était, elle, rompue aux mécanismes de la vie en société et qui avait déjà pu exercer ses talents sous le Second Régime et sous le Directoire, avant de rencontrer Napoléon.
L’archiduchesse est une femme à la fidélité inébranlable. Sitôt Napoléon en exil à l’île d’Elbe, elle ne rêve que de l’y rejoindre avec son fils. Les historiens l’ont accusé d’hypocrisie : elle aurait entretenu sciemment l’espoir chez son mari, l’assurant qu’elle serait bientôt auprès de lui, sachant pertinemment qu’elle ne mettrait jamais les pieds à Elbe.
Grâce à cet ouvrage, nous réalisons à quel point ces affirmations sont fausses. Dans l’esprit de Marie-Louise, sa vie est auprès de cet homme qu’elle a appris à adorer, le père de son fils et son mari devant Dieu. Elle n’aspire qu’à partager son malheur. C’est le jeu des puissances européennes, redoutable, qui fait pression sur la jeune femme, menaçant de déshériter son fils…
Minée par les épreuves qui se succèdent, mal à l’aise dans le château de son enfance, chez les vainqueurs de son mari, profondément inquiète du futur de son fils, Marie-Louise endure de longs mois de solitude et de mélancolie qui altèrent sa santé fragile. Ses lettres, correspondance tantôt ferme tantôt suppliante, démontre sa volonté farouche de retrouver Napoléon, son combat impossible.
Ce n’est que la rencontre avec un homme, un nouvel amour passionnel, qui la fera battre en retraite et renoncer à ses projets d’exil. Le comte de Neipperg. Après tout, n’avait-elle pas droit, après tant d’abnégation, d’oubli d’elle-même et d’années passées à être celle que l’on attendait qu’elle soit, d’ambitionner le bonheur pour elle-même ?
Une seconde vie à Parme moins fouillée
J’ai regretté que l’auteur ne consacre pas davantage de pages à la vie de Marie-Louise à Parme, au couple moderne et stable qu’elle forme avec Neipperg, celui qui lui fait découvrir la passion véritable. J’aurais aimé en savoir plus sur son action en tant que souveraine, sur sa volonté manifeste d’améliorer la condition des femmes et sur ses relations avec celui qui fut l’amour de sa vie. Avec ses nombreux enfants aussi.
Pendant cette période qui est, Geneviève Chastenet nous le fait comprendre, la plus heureuse de l’existence de Marie-Louise, l’auteur semble se détacher légèrement de son sujet. Est-ce par manque de sources ? C’était pourtant une belle occasion de nous faire découvrir en profondeur la seconde vie de Marie-Louise, sa recherche de sérénité et d’équilibre, son renouveau en tant que femme.
Un aspect de l’ouvrage peut devenir un peu gênant : l’auteur a tendance à caricaturer l’entourage de l’Empereur et à exacerber la médiocrité de sa famille. Napoléon lui-même est décrit comme un tyran ivre de pouvoir, insatiable de gloire, conduisant l’Europe à la ruine, courant inéluctablement à sa perte. Si certaines de ces affirmations sont exactes, indéniablement, elles méritent d’être nuancées. Pour mieux comprendre l’action politique de Napoléon et ses motivations, l’engrenage infernal qui l’emporte dès les premières années de son accession au pouvoir, je conseille le très bon Napoléon, de Jacques Bainville
Procurez-vous Marie-Louise, de Geneviève Chastenet
Points positifs
♥ Place accordée aux jeunes années de « Luisel» en Autriche et à l’analyse de ses relations avec sa famille.
♥Démenti apporté aux légendes s’acharnant à dépeindre Marie-Louise non seulement en ignorante et épouse infidèle, mais aussi en mauvaise mère.
♥ Très bonne analyse de la personnalité de l’Impératrice et restitution de ses nombreuses qualités.
♥ Un style très agréable à lire.
Points négatifs
♠ Pas de sources recensées : hormis les lettres, impossible de savoir d’où l’auteur tire toutes ces informations.
♠ Napoléon et sa famille sont parfois caricaturées.
♠ Informations moins précises, moins détaillées, sur la période de sa vie se déroulant à Parme en compagnie du comte de Neipperg, peut-être par manque de sources fiables.
💫 Vous aimez l’Histoire vivante et divertissante ? Vous raffolez des anecdotes de la petite Histoire ? Découvrez le Cabinet Secret, ma plateforme de contenus historiques, et régalez-vous de l’Histoire telle que vous l’aimez.
Bonsoir. Comme à l’accoutumée, vous savez partager votre passion. Ce portait de Marie-Louise me semble tout à fait intéressant à parcourir. Malheureusement et – sauf erreur de ma part – ce livre n’est pas (plus ?) disponible au format e-book ; c’est bien dommage. Par ailleurs, je garde dans un coin de ma mémoire votre précieux conseil sur le Napoléon de Jacques Bainville dont je suis en train de lire « l’Histoire de France ». Bien Cdlt. Philippe.
Vous ne serez jamais déçu avec Jacques Bainville !