[usr=5]
Louis-Philippe Ier (1773 – 1850) et son épouse Marie-Amélie de Bourbon-Sicile (1782 – 1866), derniers souverains des Français issus de la branche bourbonienne, ont surpris leur peuple par l’exceptionnelle bonne entente qui régnait dans leur couple. Une symbiose qui s’étendait à tous les membres de la famille royale : parents et enfants furent attachés les uns aux autres par un indestructible amour filial. Le couple, leurs 5 fils et leurs 3 filles qui atteignirent l’âge adulte, composèrent l’une des familles royales les plus soudées que la France ait jamais connue (je recommande l’ouvrage : Louis-Philippe et sa famille, de Anne Martin-Fugier).
Mais que savons-nous réellement des enfants de Louis-Philippe et de Marie-Amélie ? Certains ont été jugés dignes d’attention par les biographes : le duc de Chartres, héritier de la dynastie, le duc d’Aumale, collectionneur émérite, grand militaire et propriétaire de Chantilly, Louise, devenue la première Reine de Belgique, et Marie, artiste au destin tragique (voir mon article sur le sujet !).
En revanche Clémentine, née le 3 juin 1817, est une oubliée. Olivier Defrance comble une grande lacune en retraçant la vie de cette femme de caractère, intelligente et cultivée, qui maria brillamment sa progéniture parmi les plus grandes Cours européennes, et qui ne fut pas épargnée par les tragédies.
Procurez-vous « Clémentine d’Orléans, la Médicis des Cobourg » de Olivier Defrance
Bâton de vieillesse ou épouse comblée ?
Après une entrée en matière réussie, avec des précisions savoureuses sur l’enfance de la princesse et son éducation moderne, l’auteur nous plonge au cœur des tractations matrimoniales qui doivent fixer l’avenir de Clémentine.
Les négociations entre familles princières sont souvent complexes, mais elles s’avèrent particulièrement longues et pénibles pour Clémentine. Alors que ses frères et sœurs quittent les uns après les autres le nid familial, elle semble vouée au célibat… C’est compter sans son désir d’indépendance. Fort caractère, Clémentine n’entend pas sacrifier sa vie de femme, d’épouse et peut-être de mère pour demeurer auprès de ses parents et les accompagner dans leur vieillesse.
Après des années d’attente, d’espoir et de déceptions en tout genre, le choix se porte sur Auguste de Saxe-Cobourg : elle l’épouse, enfin, en 1843, à 26 ans, un âge déjà avancé pour l’époque. Une attente qui en valait la chandelle puisque le mariage s’avèrera particulièrement heureux. Elle entre ainsi dans une prestigieuse famille qui occupe les trônes de Grande-Bretagne, de Portugal et de Belgique.
Olivier Defrance ne manque pas de souligner que Clémentine, très à cheval sur les convenances, ne se serait jamais abaissée, malgré son désir de construire une vie de famille qui lui soit propre, à contracter une alliance indigne de son rang. Elle jugera d’ailleurs très sévèrement son beau-frère Léopold de Saxe-Cobourg lorsqu’il épousera une certaine Constance, femme de basse extraction. Une intransigeance qui traduit bien le conservatisme de Clémentine, dont elle ne démordra pas jusqu’à sa mort.
Chef de famille
Au sein du couple que Clémentine forme avec son bien-aimé Auguste de Saxe-Cobourg, c’est elle qui dirige les affaires. Elle prend les décisions importantes relatives à la famille, gère même les finances, ayant hérité de son père un remarquable sens de gestion de l’argent.
Rapidement, la famille s’agrandit, pour le plus grand bonheur de Clémentine : Philippe en 1844, Auguste en 1845, Clothilde en 1846, Amélie en 1848, et une cinquième grossesse que l’on attendait plus car elle survient près de treize ans après la naissance d’Amélie : un troisième garçon, Ferdinand, voit le jour en 1861.
L’auteur s’attarde d’ailleurs au fil des chapitres sur la vie de chacun des cinq enfants de Clémentine. Même si les informations distillées nous laissent parfois sur notre faim, Olivier Defrance fait un louable effort visant à nous immerger dans la vie familiale de Clémentine, si importante pour elle, et à nous familiariser avec des personnages méconnus.
En digne fille de Louis-Philippe et Marie-Amélie, Clémentine entoure ses enfants d’une intense affection. « Mère-poule », comme la surnomme l’auteur, la princesse ne se contente cependant pas d’une petite vie de famille bien tranquille.
De l’ambition pour tous
Clémentine aurait fait une Reine remarquable. Son ambition frustrée, elle la reporte sur sa progéniture. Infatigable marieuse, elle se démène pour procurer à ses filles des alliances prestigieuses, sans jamais leur forcer la main. Elles feront toutes deux des mariages d’amour :
La brune et caractérielle Clothilde épouse en 1864 l’archiduc Joseph de Habsbourg-Lorraine, un homme extrêmement cultivé qui sera le gendre préféré de Clémentine. Quant à la blonde et douce Amélie, peintre à ses heures, elle s’unit à Max-Emmanuel de Wittelsbach, un homme discret, beau et passionnément épris de sa femme.
Pour ses fils, Clémentine cherche des trônes. Avec ses deux aînés, elle essuie des échecs. Auguste épouse pourtant en 1864 l’héritière en second du Brésil, la jeune Léopoldine de Bragance. L’Empereur Pedro II a deux filles, Léopoldine et sa soeur aînée Isabelle. Mais cette dernière demeure stérile. Auguste a donc toutes les chances de monter un jour sur le trône avec Léopoldine.
Malheureusement, la jeune fille meurt prématurément à l’âge de 24 ans après avoir donné naissance à quatre garçons. Les deux aînés sont envoyés au Brésil pour être élevés aux côtés de leur grand-père, dans l’espoir de lui succéder… Mais la sœur aînée de Léopoldine finit par donner naissance à des garçons. Cependant, ni les enfants de Léopoldine et Auguste, ni ceux d’Isabelle ne règneront, puisqu’un coup d’Etat militaire chasse la dynastie des Bragance en 1889… !
Le mariage tardif du fils aîné de Clémentine, Philippe, avec la très jeune Louise de Belgique en 1875, est un échec retentissant. Les époux, rapidement, s’entredéchirent. Ils n’ont rien en commun. Louise fuit sa vie de couple ratée en flirtant à droite et à gauche et en dépensant des sommes astronomiques en toilettes. Philippe la fera enfermer pour folie… avant de la faire libérer ! Une union catastrophique qui se soldera par un divorce et entachera durablement l’honneur de la famille.
Le trône de Bulgarie
Le fiasco du mariage de Philippe a presque occulté le succès éclatant que fut l’accession au trône de Bulgarie de Ferdinand. Clémentine réalise en effet son plus beau succès avec son dernier fils, son préféré. Après des tractations ardues menées par sa mère, qui se montre intelligemment diplomate avec les autres Cours d’Europe, le jeune homme parvient à ceindre la couronne de Bulgarie en 1887.
L’affaire de Bulgarie prouve au lecteur à quel point Clémentine est prête à tout pour ses enfants. Elle n’hésite pas à prendre la défense de son fils en s’opposant à la Reine Victoria, pourtant son amie de longue date : à la Reine d’Angleterre qui doute que Ferdinand soit le meilleur des souverains pour la Bulgarie, Clémentine écrit pour lui rappeler poliment que les Bulgares ont eux-mêmes proposés la couronne à son fils.
Une anecdote parmi beaucoup d’autres, dévoilant chez Clémentine des qualités de politicienne et de diplomate, qu’elle met au service de son fils. Animée en toute circonstance par un bon sens que même son intransigeance religieuse se saurait émousser, elle est véritablement le pilier sur lequel le jeune monarque peut s’appuyer.
Clémentine fait de fréquents voyages dans le nouveau royaume de son fils, devenu Ferdinand Ier, et l’aide à y asseoir son autorité, notamment en favorisant son mariage avec Marie-Louise de Bourbon-Parme. Par des apports financiers conséquents, elle contribue à la modernisation du pays notamment par la construction d’écoles et le développement des transports. Elle est beaucoup aimée du peuple, qui voit en elle une véritable reine mère et la surnomme Baba Klementina.
Une personnalité qui compte
Clémentine est en relation avec toutes les plus éminentes personnalités de son époque, qui apprécient sa vive intelligence et sa grande culture. Amie proche de la Reine Victoria et de la Reine du Portugal, elle entretient des relations privilégiées avec de nombreuses autres têtes couronnées. A la mort prématurée de son époux, c’est d’ailleurs à la Reine Victoria qu’elle se confie :
Sa fin fut à l’image de sa vie : belle, noble, grande et pieuse (…). Chaque année, nous nous aimions davantage. Il m’a donné 38 ans du plus parfait des bonheurs.
Cette princesse sans couronne réussit donc à se tisser un important réseau au sein des plus hautes sphères du pouvoir. Des amitiés qu’elle met toujours, nous l’avons vu, au service de sa famille et de ses ambitions pour les siens.
Olivier Defrance ne manque pas de rappeler également l’aversion insurmontable qu’elle voue à Napoléon III et à Bismarck. Le très fort patriotisme de Clémentine n’est compatible ni avec l’ambition démesurée de Bismarck qui souhaite rabaisser la grandeur de la France, ni avec l’obstination de Napoléon III qui persiste à maintenir la loi d’exil frappant la famille d’Orléans après la chute du régime de Louis-Philippe en 1848.
Une femme frappée par les deuils
Clémentine éprouve la douleur de voir prématurément disparaître de nombreux membres de sa famille proche. Son frère le duc d’Orléans, héritier de sa dynastie, en 1842. Son époux le 26 juillet 1881. Son gendre Max-Emmanuel de Wittelsbach décède en 1893 : sa fille Amélie ne survit pas à la mort de son époux et le suit dans la tombe moins d’un an plus tard, en juin 1893.
Clémentine doit aussi se consoler de la perte de plusieurs de ses petits-enfants, et se résoudre à la folie de l’un d’eux, Pedro, fils aîné d’Auguste. Dernière survivante des enfants de Louis-Philippe et Marie-Amélie, Clémentine voit disparaître ses parents ainsi que tous ses frères et sœurs les uns après les autres.
Elle se consacre, dans ses vieux jours, à la famille qu’il lui reste, et qui est encore nombreuse. On ne peut qu’être frappé par la force physique et mentale de cette femme de 80 ans, qui enchaîne les longs périples à travers l’Europe, comme si elle avait encore la santé florissante de ses 30 ans.
Clémentine réalise en effet des allers-retours extrêmement fréquents entre l’Autriche, la Hongrie, la France et la Bulgarie, suivant les pérégrinations des siens. Elle s’occupe énormément de sa progéniture, surtout les enfants de la regrettée Amélie (Siegfried, Christophe et Luitpold), et ses petits-enfants bulgares (Boris, Kyril, Evdokija et Nadezhda) qui perdent leur mère en 1899. Clémentine d’Orléans, devenue Saxe-Cobourg, s’éteint en 1907, entourée de ses enfants, après une vie exceptionnellement remplie !
Procurez-vous « Clémentine d’Orléans, la Médicis des Cobourg » de Olivier Defrance
Points positifs
♥ Découverte d’une personnalité hors du commun, qui traversa, non sans heurts, tout le XIXème siècle.
♥ Recours fréquent et bienvenu aux lettres de Clémentine, qui entretint toute sa vie une correspondance extrêmement abondante (et heureusement conservée) avec tous les membres de sa famille.
♥ Découverte de multiples personnages « secondaires » comme Ferdinand, Roi de Bulgarie, ou Louise, la belle-fille scandaleuse, mais aussi immersion dans des univers fascinants : la Cour du Brésil, la Cour de Bulgarie, la famille Cobourg, le royaume d’Angleterre…
♥ Bien écrit, se lit comme un roman !
Points négatifs
♠ Les anecdotes relatives à la vie privée de Clémentine font parfois défaut, certainement par manque de sources. Ce qui n’empêche pas de se sentir totalement happé par le destin de cette héroïne charismatique…
Bel article
Etes-vous Monsieur Defrance qui a organisé une année un colloque sur Hélinand de Froidmont auquel j’ ai participé ?
Je ne suis que Marie, la plume du site, je ne saurais répondre à votre question concernant Monsieur Defrance que je ne connais pas personnellement !
Est-ce qu’on sait où a été enterrée Clémentine ?
A Cobourg près de son époux 🙂
Honnêtement, je vais arrêter de lire tes articles ! A chaque fois j’ai envie d’aller acheté les livres que tu as dans tes sources mdr
Alors que j’en ai tellement à lire déjà chez moi lol Merci pour ce partage en tout cas. Tu nous ouvres vraiment les portes de l’histoire. 😉
Merci pour ce commentaire ! Je connais ça, les piles de livres qui s’entassent parce qu’on ne peut pas résister 😉