Premier Empire, année 1807. Caroline Bonaparte, la plus jeune sœur de Napoléon, porte depuis un an le titre de duchesse de Berg. Devenue Caroline Murat par son union, célébrée en 1800, avec le flamboyant Joachim Murat, elle est déjà mère de quatre enfants, deux filles et deux garçons.
Sœur d’Empereur, mère et épouse comblée, Caroline souhaite que François Gérard (1770 – 1837), le peintre alors à la mode, réalise son portait en pied. Napoléon lui a passé commande pour orner la galerie de Diane aux Tuileries. Manque de chance, l’artiste croule déjà sous les demandes : la Cour se l’arrache ! Caroline se tourne alors, par défaut, vers Madame Elisabeth Vigée Le Brun, de retour de Russie : l’artiste est alors moins demandée que sous l’Ancien Régime mais sa renommée reste intacte.
Artiste et modèle : des rapports orageux
Mme Vigée Le Brun n’était pas faite pour s’entendre avec la famille Bonaparte. Rentrée à Paris après l’exil imposé par la Révolution, la portraitiste ne retrouvait ni l’atmosphère, ni le style de la cour de l’Ancien Régime qu’elle avait connus ; de son côté, l’Empereur se méfiait d’une personnalité liée aux Bourbons.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Caroline donne du fil à retordre à Elisabeth Vigée Le Brun. L’artiste, de son côté, porte sur la famille Bonaparte un jugement trop négatif pour éprouver un tant soit peu de sympathie envers Caroline. Elle va garder de la jeune femme un souvenir exécrable et vous allez voir qu’il est difficile de lui en vouloir ! C’est que la plus jeune sœur de Napoléon ne manque pas de caractère (toutes les femmes de la famille ont une forte personnalité). Si elle fait souvent preuve en diplomatie et en politique d’une remarquable intelligence, Caroline peut se montrer extrêmement orgueilleuse et hautaine : le pouvoir lui monte à la tête ! Mme Vigée Le Brun raconte :
À la première séance (de pose), je vis arriver Madame Murat avec deux femmes de chambre qui devaient la coiffer pendant que je peindrais.
L’artiste fait remarquer à la grande-duchesse de Berg qu’il lui est impossible de « saisir ses traits » si les deux suivantes s’affairent ainsi autour d’elle comme un essaim d’abeilles. Caroline consent alors à renvoyer les deux femmes.
Cependant, la sœur de Napoléon oublie régulièrement de se présenter aux séances de pose dans l’atelier d’Elisabeth, l’obligeant ainsi à demeurer dans la capitale durant l’été alors qu’elle souhaite s’absenter.
Pire encore : la jeune femme change inopinément de coiffure, de bijoux ou de robe au gré de la mode qui varie sans cesse, imposant à Mme Vigée Le Brun une modification perpétuelle de ses compositions. Il faut alors « gratter la toile pour la remettre au goût du jour », recommencer les broderies des robes ou remplacer les perles par des camées…
Elisabeth rapporte qu’un jour, réellement exaspérée par les caprices de la jeune femme, elle déclare à Monsieur Vivant Denon (diplomate français qui l’a mise en contact avec Caroline), d’une voix assez forte pour que tout le monde puisse l’entendre :
J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont jamais fait attendre !
Elle ne manque pas d’ajouter dans ses Mémoires :
Le fait est que Mme Murat ignorait parfaitement que l’exactitude est la politesse des rois, comme le disait si bien Louis XIV, qui, à la vérité, n’était pas un parvenu.
Décidément, les rapports entre les deux femmes sont plus que tendus… Il n’en demeure pas moins que le portait de Caroline Murat par Mme Vigée Le Brun est une véritable merveille.
La féminité triomphante de Caroline Murat
Vigée Le Brun flatte légèrement ses modèles (sa grande rivale Labille-Guiard est réputée pour faire des portraits plus ressemblants), mais elle les rend aussi plus vivants, plus éclatants, traduisant une grande joie de vivre. Les femmes sont assez souvent représentées la bouche ouverte par un sourire charmant.
Ce sentiment de bonheur, exprimé par un grand sourire, est une nouveauté.
Caroline est certainement la plus belle des trois sœurs Bonaparte. Si Pauline est d’une beauté parfaite avec son profil de déesse grecque, c’est aussi une beauté très froide. Quant à Elisa, si les contemporains lui reconnaissent de magnifiques yeux noirs, brillants d’intelligence, elle est trop maigre et possède un visage trop anguleux pour plaire à cette époque. Ce qui distingue le plus Caroline de ses sœurs, c’est le charme : elle est l’incarnation d’une féminité pétillante et espiègle.
Ainsi, le portrait est une grande réussite et rend parfaitement justice à Caroline : avec ce sourire esquissé dévoilant des dents « blanches et brillantes comme des perles », la sœur de Napoléon est rayonnante de grâce et de fraîcheur, emplie d’une séduction triomphante.
Debout en tenue d’apparat, elle pose délicatement sa main sur l’épaule de sa fille aînée Letizia qui, toute bouclée, lève des yeux innocents vers sa mère, le sourire aux lèvres. Le contraste entre la robe blanche très simple de l’enfant, ses cheveux lâches, et la magnificence sophistiquée de la toilette de Caroline est frappant.
Un manteau de cour en velours rouge s’ouvre très largement sur une robe de satin blanc brodée de fleurs d’or, à la mode Empire. Elle porte un camée sur la poitrine et un autre au front, en diadème. Deux rangs de perles s’enroulent autour de son cou, d’autres pendent à ses oreilles, en dormeuses. À sa droite une arcade s’ouvre sur un beau paysage naturel, certainement les jardins du palais de l’Elysée, sa résidence principale à Paris.
Ce portrait reste l’un des plus remarquables de Caroline Murat, avec celui que réalisera François Gérard un an plus tard, en 1808. Oui, Caroline aura finalement obtenu une commande de l’artiste qu’elle convoitait tant !
Sources
♦ Madame Vigée Le Brun : amie et portraitiste des Reines, de Inès de Kertanguy
♦ Caroline Bonaparte : soeur d’empereur, reine de Naples, de Florence de Baudus
♦ Caroline Bonaparte, de Florence Vidal
♦ Catalogue de l’exposition au musée Marmottan Monet (Paris, 3 octobre 2013 – 2 février 2014) : Les soeurs de Napoléon, trois destins italiens
♦ Connaissance des arts magazine, hors-série pour l’exposition au Grand Palais à Paris : Elisabeth Louise Vigée Le Brun
Quel bonheur, d’ailleurs, de terminer l’expo Vigée-le Brun au Grand palais avec ce portrait de Caroline Murat et sa fille!
Bravo Madame Vigée Le Brun, pour votre indéniable talent et votre savoir-vivre…
Merci Madame pour votre analyse ❤️⚜️
Merci à vous