Contexte
Conservé au musée du Louvre, ce tableau a été réalisé par Pierre-Paul Prud’hon de 1805 à 1809. Il représente Joséphine de Beauharnais, l’Impératrice Joséphine, dans son parc de la Malmaison. Exposé dans la galerie de tableaux de la souveraine, il revient à sa fille la Reine Hortense à sa mort en 1814 : elle l’installe avec elle dans son charmant château d’Arenenberg. On le retrouve dans les appartements de Napoléon III aux Tuileries, puis il est définitivement attribué au musée du Louvre en 1879.
Pierre-Paul Prud’hon est l’un des peintres favoris du couple impérial et le professeur de dessin de l’Impératrice. Ses peintures sont uniques en leur genre. En effet, il est difficile de leur attribuer un style spécifique ou de les classer dans un mouvement artistique précis. A mi-chemin entre le néo-classicisme, qui s’estompe, et le romantisme, qui fait tout juste ses premières apparitions, à une époque de bouillonnement artistique complexe, Prud’hon donne aussi bien dans les allégories que dans les portraits.
Voici ce que pense de ces derniers Delacroix, l’un des plus célèbres peintres de son temps :
On ne refusera pas à Prudhon une grande partie des mérites qui sont ceux de l’antique. Dans la moindre étude sortie de sa main, on reconnaît un homme profondément inspiré de ces beautés. (…) Entraîné par l’expression et oubliant souvent le modèle, il lui arrive d’offenser les proportions ; mais il sait presque toujours sauver habilement ces faiblesses. Sa couleur est plus séduisante que vraie, mais on ne peut en concevoir une autre plus appropriée à son dessin. D’ailleurs, le sentiment de l’harmonie est chez lui si complet, que l’esprit ne demande pas autre chose que ce qu’il voit.
Ce ton vaporeux, cette espèce de crépuscule dans lequel il enveloppe ses figures, s’empare de l’imagination et la conduit sans effort dans un monde qui est de l’invention du peintre.
Le choix des fonds, la manière dont il les éclaire, en font des espèces de poèmes.
Prud’hon dessine au moins autant qu’il peint. Sur cette étude préalable au portrait de Joséphine, on aperçoit sur la droite une harpe, que l’artiste abandonne visiblement sur l’oeuvre finale. Il se décide également pour un format vertical et non plus horizontal, détaillant aussi davantage la gauche du tableau, certainement afin d’équilibrer l’ensemble.
Ce portrait s’inscrit dans la grande tradition des tableaux féminins de l’époque, composant un savant mélange des plus célèbres d’entre eux : mélancolie romantique de la « Christine Boyer » de Gros, élégance antique et suave séduction de la « Madame Récamier » de David et de Gérard. Joséphine est représentée dans une position alanguie, décontractée, méditative. Son regard est volontairement fixé au loin, comme en pleine rêverie. Il ne s’agit pas d’un portrait de Cour classique. Décors solennels et attitudes guindées n’ont pas leur place ici. La volonté de l’artiste est de livrer un autre visage de l’Impératrice. Celui d’une femme en harmonie avec la nature, une nature qu’elle aime avec passion.
Comprendre le tableau : analyse
Joséphine, enfant de la Martinique, éprouvera toute sa vie un profond attrait pour la nature. Sa grande sociabilité, sa sensibilité aux êtres et son charme unique se mêlent à une réelle passion pour la botanique et la zoologie. A Malmaison, son havre de paix, sa création, elle peut donner libre court à ses fantaisies. Le parc de sa demeure est rapidement renommé pour ses curiosités, raretés de la faune et de la flore, ou simplement pour sa beauté. C’est nonchalamment assise sur un rocher, entre les bosquets de ce parc à l’anglaise, véritable fierté personnelle, que Joséphine a voulu se faire représenter.
Dès 1799, Joséphine commence à collectionner arbustes et plantes exotiques. Inlassablement, elle demande à sa mère de lui envoyer des graines de Martinique, correspond avec des pépiniéristes anglais, suit les expéditions dans les terres australes, toujours à l’affut d’un spécimen rare. Erudite dans ce domaine, elle ne joue pas à la jardinière ! C’est une vraie connaisseuse, qui peut soutenir des conversations avec les spécialistes du Jardin des Plantes et du Museum, forçant leur admiration. Elle ne cesse d’étayer son savoir par des lectures et des études.
Ce jardin expérimental est, à l’époque, l’un des plus beaux qui puissent se visiter en France. Sous une grande serre chaude on peut admirer des pivoines de Chine, des dahlias à fleur double, des amaryllis rouges et bien d’autres, sans oublier sa fameuse collection de roses, qui comporte plus de 250 espèces ou variétés aux noms séduisants : « Rouge-Formidable », « Belle Hébé »… Un délice pour les sens.
Son attrait pour les plantes se double d’une passion pour les animaux. Cygnes noirs de Chine, canards de la Caroline, gazelles, kangourous et zèbres, casoars et singes, mérinos d’Espagne, toutes ces espèces vivent en libertés dans le parc, ou sont parqués dans d’immenses enclos. Cette richesse et cette rareté font le prestige de Malmaison. Il ne reste aujourd’hui presque rien de ces merveilles, mais à l’époque de Joséphine, fontaine de Neptune, Temple de l’Amour, volière, ponts et statues ponctuent le parc, enchantement pour les nombreux hôtes. L’Impératrice fait elle-même les honneurs de la visite, toujours pleine de grâce.
Eugène Delacroix affirme que ce portrait de Joséphine est l’un des chefs-d’oeuvre de l’artiste :
Il a su joindre à une ressemblance parfaite un sentiment d’élévation exquis dans la pose, dans l’expression et dans les accessoires.
Dans son Journal, en date du 27 avril 1847, on peut lire :
Ravissant, ravissant génie ! Cette poitrine avec ses incorrections, ces bras, cette tête, cette robe parsemée de petits points d’or, tout cela est divin. La grisaille est très apparente et reparaît presque partout.
Ce tableau se veut non conventionnel et loin des représentations d’appart traditionnelles. Néanmoins, Pierre-Paul Prud’hon a fait en sorte que le statut de son modèle transparaisse clairement.
Le châle en cachemire pourpre qui recouvre les genoux de Joséphine (à l’époque, on écrivait « Schall »), attire le regard. La couleur choisie par le peintre n’est pas anodine : le manteau impérial est de couleur rouge, parsemé d’abeilles dorées, symboles de l’Empire. Il nous rappelle aussi une autre passion de l’Impératrice : la mode. Elle raffole particulièrement de ces châles en cachemire, extrêmement coûteux, importés du Moyen-Orient, comble du luxe et du raffinement depuis l’expédition d’Egypte. Dès le Consulat, Napoléon en interdit l’importation mais l’Impératrice passera toujours outre la consigne de son mari.
La tenue et la coiffure sont typiques de la période : fin du Consulat, début de l’Empire. La robe blanche à l’antique, très simple et largement décolletée, découvre les épaules de Joséphine, d’une rondeur exquise. Un diadème d’or ceint son front et s’enroule dans ses cheveux noirs entremêlés de bijoux, relevés à la mode du temps : un chignon bouclé laissant échapper quelques mèches qui encadrent le visage.
La peau de l’Impératrice, d’une blancheur dont elle était très fière, est illuminée par le soleil perçant les frondaisons.
Sources
♦ Biographie de l’impératrice Joséphine par Françoise Wagener (L’Impératrice Joséphine (1763-1814), Françoise Wagener)
♦ Catalogue de l’exposition « L’Impératrice Joséphine » (Musée du Luxembourg, 12 mars – 29 juin 2014)
♦ La revue des deux mondes (T.16, 1846), Eugène Delacroix (http://fr.wikisource.org/wiki/Peintres_et_sculpteurs_modernes_de_la_France/Prudhon)
♦ Journal d’Eugène Delacroix (http://www.archive.org/stream/journaldeeugned01.txt)
♦ Fondation Napoléon (http://www.napoleon.org/fr/essentiels/tableaux/files/prudhon_josephine.asp)
♦ Musée du Louvre (http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/limperatrice-josephine-1763-1814)
Impératrice Joséphine par Pierre-Paul Prud’hon dans son parc de la Malmaison
« Devenu Consul, Napoléon en interdit l’exportation mais l’Impératrice passe outre la consigne de son mari. »
Est-ce un copier-coller ? Serait-elle devenue « Impératrice » avant le Premier Consul ? Quelle est la source de cette phrase ? Y-a-t-il un décret interdisant « l’importation » du châle d’Orient ? Si à cette période il y a une volonté de produire sur le territoire français des châles de même qualité que ceux de l’Orient, quel intérêt de commander encore, là-bas à des milliers de km ?
Tout d’abord, bonjour !
Non, ce n’est pas un copier-coller. Le terme Impératrice est un dénominatif que j’utilise pour celle qui reste connue dans l’Histoire comme « L’Impératrice Joséphine ». Mes lecteurs sont assez intelligents pour comprendre qu’elle n’était encore que Consulesse, puisque femme du Premier Consul.
Dès cette période, Napoléon défend à sa femme d’acheter du cachemire importé d’Inde (interdit donc l’importation du cachemire et non pas l’exportation, merci de m’avoir fait remarqué cette coquille). Cette interdiction prend un caractère officiel en 1806, lorsqu’il décrète un embargo sur les tissus provenant d’Inde ou d’Egypte. Tout cela dans le but de relancer l’industrie du textile en France, ruiné par la Révolution. Mais Joséphine, tout comme de nombreuses autres dames de la Cour, continue à se procurer ces fameux « shalls » par des moyens détournés, car la France mettra un peu de temps avant de pouvoir rivaliser avec la qualité incomparable, la douceur exceptionnelle des cachemires du Moyen-Orient. Elle contribue cependant puissamment à relancer l’industrie française du luxe, grâce à l’acquisition de « textiles lourds » (spécialités lyonnaises): satins, soies et velours.
Vous pourrez retrouver ces informations dans de nombreux ouvrages, notamment dans le Larousse des Reines et favorites de France (très beau livre que je conseille), ou la biographie de l’Impératrice Joséphine par Françoise Wagener, ou encore sur de nombreux sites, notamment celui de la Fondation Napoléon.
Bien à vous.