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Julie-Victoire Daubié, première femme à obtenir le baccalauréat

   

   Au XIXème siècle, sous le Second Empire (1852 – 1870), rien n’empêche les femmes de candidater pour obtenir leur baccalauréat, ce diplôme remis au goût du jour par Napoléon Ier : en effet, il n’existe pas de loi écrite leur interdisant de se présenter ! Pourtant, aucune ne tente l’épreuve… C’est qu’elles n’y songent même pas.

   Julie-Victoire Daubié, une vosgienne à la forte personnalité va, à force de ténacité, décrocher le premier baccalauréat féminin de l’histoire de notre pays, le 17 août 1861. Une étape indispensable dans le combat des femmes pour se voir reconnaître les égales des hommes. C’était il y a 150 ans…

De l’éducation

   Depuis la loi Guizot, promulguée en 1833, l’école est obligatoire… mais seulement pour les garçons. Et bien oui, pourquoi les femmes auraient-elles besoin de s’instruire ? La croyance selon laquelle la femme n’a pas les mêmes capacités intellectuelles que l’homme est ancrée dans les mœurs depuis fort longtemps, et semble indéracinable.

   Depuis 1847 et la première révolution industrielle, la majorité des femmes sont ouvrières, brodeuses, lingères… souvent dans les manufactures de vêtements, dans les ateliers ou dans les usines.

   A quoi cela leur servirait-il de se transformer en « femmes savantes » ? Encourager de telles libertés pourrait même devenir dangereux, bousculer l’ordre établi dans la famille. La mère doit veiller à la bonne éducation des enfants, apprendre les bonnes manières, tenir son ménage. Savoir coudre et broder, enseigner quelques rudiments. Oui, sous le Second Empire, c’est encore la pensée dominante dans la plupart des couches sociales de la population, femmes y compris. Ce n’est pas si vieux !

   Si certaines femmes travaillent à domicile, oeuvrer dans les manufactures se fait de façon très précaire :

Bagnes très hiérarchisés, où l’on travaille jusqu’à 13 ou 14 heures par jour, pour des salaires quotidiens très disparates, de 40 centimes à 4 francs (une chambre est louée entre 100 et 200 francs par an).

   Certaines rêvent d’un avenir meilleur, d’un destin choisi et non subi : cela passe par l’accession à des emplois plus valorisants et mieux rémunérés.

Mais comment s’émanciper sans éducation ? En matière d’instruction ou de formation des filles, tout ou presque reste, alors, à inventer.

   Julie-Victoire Daubié va ouvrir la voie à toutes ces femmes qui ambitionnent, grâce à l’éducation, de s’élever au rang des hommes.

Julie-Victoire Daubié
Julie-Victoire Daubié

Une vosgienne douée et ambitieuse

Julie Victoire Daubié est née à la Manufacture Royale de Bains les Bains dans les Vosges, le 26 mars 1824 dans une modeste famille de huit enfants. Son père caissier à la manufacture de fer blanc de Bains meurt peu après sa naissance, elle est élevée par sa mère Marie-Victoire dans la Maison du caissier, au dessus de la Chapelle à la Manufacture Royale de Bains les Bains qui comptait 500 ouvriers . À cette époque, la Manufacture Royale propriété de Joseph Falatieu est à son apogée, mais son avenir est déjà menacé. Pendant les premières années de la vie de Julie Victoire, les bouleversements industriels qui se mettent en place vont progressivement déstabiliser ce qui fut le plus ancien site industriel paternaliste de Lorraine. Julie Victoire Daubié sera donc le témoin d’une dégradation rapide de la condition ouvrière et surtout de la place de la femme dans ce système. (Martine Cornevaux, propriétaire de la Manufacture Royale de Bains les Bains)

   La petite fille va à l’école primaire où elle obtient le Brevet élémentaire, apprend à écrire et à lire : c’est déjà beaucoup pour une enfant de son temps. En plus de cela, elle apprend le latin, le grec, l’histoire, la géographie, et l’allemand grâce à son frère Florentin, qui lui donne des cours.

Julie-Victoire est douée, manifeste un grand appétit de connaissances nouvelles, une soif de lectures et une très forte curiosité.

   En 1844, elle obtient son Brevet d’aptitude à l’enseignement primaire supérieur : c’est le seul diplôme accessible aux jeunes filles. Grâce à lui, Julie-Victoire peut exercer en tant que préceptrice dans les familles de la région, mais aussi à Strasbourg puis en Allemagne, où elle enseigne le français à des enfants. C’est aussi l’époque où elle entame des réflexions sur un livre dont elle a déjà trouvé le titre : la femme pauvre au XIXème siècle. De retour dans la capitale, elle continue à s’instruire, suivant des cours au Muséum d’histoire naturelle.

   Le 15 juin 1859, la vie de Julie-Victoire bascule. Elle participe à un concours lancé par l’Académie impériale des sciences et belles lettres de Lyon : le sujet est inspiré par un industriel lyonnais, François Arlès-Dufour, qui va jouer un rôle dans le succès de la jeune femme. Ce sujet est audacieux et novateur :

Rechercher, surtout au point de vue moral, (…) les mesures les plus pratiques (…) pour élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes lorsqu’il y a égalité de services ou de travail ; pour ouvrir aux femmes de nouvelles carrières et leur procurer des travaux qui remplacent ceux qui leur sont successivement enlevés par la concurrence des hommes et par la transformation des usages ou des mœurs.

   Julie-Victoire remporte le premier prix pour son mémoire « La femme pauvre par une femme pauvre », et s’attire la sympathie et la protection d’Arlès-Dufour, homme influent et économiste renommé, qui s’investit dans une lutte pour plus d’égalité et de justice.

François Arlès-Dufour par Nadar - Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine
François Arlès-Dufour par Nadar – Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine

Vers le baccalauréat : quand les préjugés ont la vie dure

   Comme, juridiquement, rien n’empêche une femme de candidater aux épreuves du baccalauréat, Julie-Victoire s’inscrit auprès des rectorats de l’Académie de Paris et d’Aix. : La prestigieuse Sorbonne refuse avec hauteur la candidature d’une fille, l’université d’Aix fait de même. Alors, soutenue par Arlès-Dufour, elle se tourne vers l’université de Lyon : elle est acceptée !

   A cette époque, les compositions des étudiants ne sont pas notées grâce à des chiffres, mais les professeurs examinateurs leur attribuent des boules de couleurs. Chaque couleur possède une signification :

Boule blanche : avis favorable

Boule rouge : abstention

Boule noire : avis négatif

   Julie-Victoire passe les épreuves le 16 août 1861 : compositions en latin ou en français, explications de textes grecs, latins et français, logique, géographie, histoire, arithmétique, géométrie et physique élémentaire. Elle totalise 6 boules rouges, 3 boules blanches, et 1 boule noire. Elle excelle particulièrement en latin, en histoire et géographie.

   Le lendemain, 17 août, Julie-Victoire devient donc, à 37 ans, la première « bachelière ès lettres ». Dans le « Salut public » du 23 août, Francisque Bouillier, le doyen de la faculté de Lyon, salue cet exploit :

Aujourd’hui, par son exemple, elle ouvre une voie nouvelle aux femmes, plus nombreuses qu’on ne le pense, qui, comme elle, ont reçu en partage la force de la volonté et les dons de l’intelligence. Il en est plusieurs, nous en avons l’assurance, qui suivront avec succès cet exemple excellent (…)

   Ce succès en revanche, n’est pas pour complaire au ministre de l’Instruction publique, Gustave Rouland. Il refuse de signer le diplôme de Julie-Victoire. Les préjugés ont la vie dure ! Or, la jeune femme ne compte pas s’arrêter là : elle souhaite entrer réellement à l’université pour obtenir une « licence ès lettres ». Sans son diplôme du baccalauréat, elle ne peut y prétendre…

   Arlès-Dufour intervient auprès de l’Impératrice Eugénie en personne. La souveraine, peu de gens en sont conscients à l’époque, œuvre pour les pauvres dans de multiples domaines. Ce combat de femme la touche. Elle se fait l’avocat de la cause de Julie-Victoire auprès de son mari l’Empereur. Napoléon III, fervent partisan du progrès, saint-simonien accompli, et défenseur d’une politique sociale plus égalitaire, oblige le misogyne Gustave Roulant à ratifier le diplôme de Julie-Victoire Daubié, en mars 1862.

   Neuf mois après avoir obtenu son diplôme, elle le voit authentifié ! Un délai finalement relativement raisonnable. Quoi qu’il en soit, l’éducation accessible aux femmes… c’est incroyable !

Julie-Victoire Daubié entreprend de bousculer cet interdit et d’ouvrir la voie qui mène à l’Université en leur permettant d’être bachelières.

Gustave Rouland
Gustave Rouland

Faire prendre conscience aux femmes de leurs droits

   Son exemple est bientôt suivi. L’année 1863 compte deux nouvelles bachelières : Mlle Chenu à Paris, et Mlle Perez à Bordeaux. En 1867, Victor Duruy instaure des cours d’études secondaires pour jeunes filles : le succès est immédiat. Il leur ouvrira également l’université (secteur médical), mais sans le droit de pratiquer en métropole : c’est déjà un immense progrès. L’année 1892 totalisera 10 bachelières, et en 1920, elles seront déjà plus d’un millier…

   Julie-Victoire continue sa brillante carrière, qui mêle politique, lettres et journalisme. Elle veut prendre part « au réveil du féminisme », pourtant bien entamé à la Révolution, mais mis en sommeil depuis l’épopée napoléonienne.

Pour Julie-Victoire Daubié, les diplômes ont un double objectif : nier l’infériorité « naturelle » des femmes et leur permettre d’accéder aux mêmes postes et aux mêmes salaires que les hommes.

   Elle souhaite ouvrir des perspectives d’avenir aux femmes, et leur rendre possible d’intégrer des professions plus lucratives : médecin, avocat, archiviste, bibliothécaire. Elle-même s’identifie aux femmes pauvres, qui n’ont pas accès à l’éducation et aux emplois.

Sa passion et sa révolte éclatent dans son ouvrage principal, La Femme pauvre au XIXème siècle, paru entre 1866 et 1869, qui analyse la condition économique, morale et politique des femmes et qui est le résultat d’une enquête très vaste.

La femme pauvre au XIXème siècle

Elle écrit notamment, en parlant des femmes :

Nous vivons dans un milieu où logiquement elles n’obtiendront jamais ce qu’elles seront capables de prendre… (…) Le baccalauréat est la clef de tous les emplois et l’examen du baccalauréat ne leur est interdit ni par la loi salique, ni par le Code Napoléon.

   En 1871, elle devient la première femme « licenciée ès lettres » ! Cette même année, elle fonde l’Association pour l’émancipation progressive de la femme : présidente, elle installe à ses côtés le fidèle Arlès-Dufour, qui l’aide à gérer les finances.

   C’est une femme engagée, qui correspond avec Alexandre Dumas fils, George Sand et diverses féministes anglaises. Elle renverse la conception patriarcale de la famille, cherche à faire prendre conscience de leurs droits aux femmes, dénonce les insuffisances et les abus d’une éducation féminine gérée par l’Eglise, et incite les femmes à s’impliquer en politique. Elle-même tente son inscription sur les registres électoraux de Paris en 1870 : refusée. Très en avance sur son temps, elle traite à plusieurs reprises du « suffrage des femmes »…

   Julie-Victoire meurt prématurément à l’âge de 50 ans, emportée par la tuberculose en 1874, sans avoir le temps de terminer sa thèse de doctorat : « La condition de la femme dans la société romaine ».

   Elle repose dans le cimetière de Fontenoy-le-Château. Le village a fait ériger une fresque en hommage à Julie-Victoire Daubié, cette femme discrète mais tenace, dont la vie publique fut d’importance pour le combat des femmes :

La femme deviendra dans la société tout ce qu’elle sera capable d’être.

   A sa mort, le combat est loin d’être gagné, mais d’autres vont prendre la relève et le mener à sa place. Aujourd’hui encore, les femmes sont parfois moins payées que les hommes, mais que de chemin parcouru ! Une belle… Victoire, pour notre héroïne !

Julie-Victoire Daubié (sanguine de Gisèle Crouzat (Manufacture Royale de Bains les Bains)
Julie-Victoire Daubié (sanguine de Gisèle Crouzat – Manufacture Royale de Bains les Bains)

Sources

♦ Ces femmes qui ont réveillé la France, de Jean-Louis Debré

♦ Les oubliés de la République, de Jean-Louis Debré

♦ Le Parisien : Un bachelier nommé Victoire

♦ Genre et éducation : Former, se former, être formée au féminin, de Bernard Bodinier

♦ Julie-Victoire : Le roman de Julie-Victoire Daubié, première bachelière de France, de Gilles Laporte

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Cet article a 7 commentaires

  1. Pierre BRETON BEAUCHET

    J’ai retrouvé la descendante directe, petite fille de la première bachelière fille, Mlle Maria LECHARDEUR, née en 1841, à avoir passé avec succès son baccalauréat en 1880. Elle est angevine et habite Angers depuis plus de dix ans et n’a pas encore saisi l’importance historique de l’événement. Pour des raisons de confidentialité et de préservation de la vie privée d’une vieille et honorable dame de 90 printemps environ et parce que je suis historien biographe seul à détenir ce scoop national, vous comprendrez pour des droits d’auteur afférant aux deux parties contractantes que je ne dévoilerais son identité que lorsque je l’aurais décidé. Sachez cependant une chose c’est qu’elle est le portrait craché de sa grand-mère./ A bientôt pour de nouvelles et palpitantes révélations sur un destin hors du commun. Cette angevine est née en 1926, trois ans avant le décès de sa grand-mère en 1929 dans la maison bretonne du relais de Lerecq-Kerhuor, près de Brest, en pleine lande intérieure. Sa petite fille est née à Dol-de-Bretagne, s’est mariée en 1947 et est montée vivre à Paris. Son mari a été photographe et est décédé en 1997. Au revoir !

  2. Edward Coukart

    Hello, I enjoyed reading this fascinating article. I live in East Liverpool, Ohio, USA. My Grandmother was Margaret Daubie born near Bains les Baines in 1875; and moved to Pittsburgh, USA as a child. She married Joseph Coukart, who was born in Belgium and French and Dutch descent. Her father was Charles Felix Daubie and Mother was Marguerite Vanney. Julie Victorie Daubie was most likely related to my grandmother, as the surname Daubie is not a common one in France.
    Regards,
    Edward Coukart

    1. Plume d'histoire

      Fascinant 🙂

  3. fx

    Si les femmes n’avaient pas besoin de diplômes ce n’est pas tant qu’on les jugeaient idiotes, mais qu’elles n’avaient pas besoin de travailler puisqu’elles allaient se marier, faire des enfants et se préoccuper de leur donner de bons soins aimants jour après jour… prendraient plaisir à coudre de belles robes plutôt que d’imaginer faire avancer des locomotives… se soucieraient du bien être de leurs familles et d’être une bonne chrétienne pour sauver son âme… puisque autrefois gagner son paradis était le seul but important dans l’existence… pas travailler! Il n’y a(vait) qu’à écouter nos grands mères… vos arrière grands mères… nées en 1900… Pauvres jeunes femmes d’aujourd’hui qui n’ont retenu de profs idiots que « le masculin l’emporte sur le féminin » ou qu’elles sont « le sexe faible »… au lieu d’avoir entendu que « le masculin est le neutre » et qu’elles sont « le beau sexe »… François-Xavier avec sûrement des fautes d’écriture malgré son Bac!… et qui va poursuivre la lecture de cet intéressant article

    1. Plume d'histoire

      Oh super !!

  4. Alexandra

    Je suis toujours passionnées par vos articles et celui-ci (bien que déjà ancien quant à son apparition) est vraiment étonnant. On ne se rend pas toujours compte à l’heure actuelle de la chance que nous avons d’être toutes instruites et de ne plus devoir se battre pour aller à l’école sous prétexte qu’on est de sexe masculin. Il reste encore des progrès à faire bien-sûr, mais sans ce genre de femmes, le monde n’aurait sûrement pas évolué de la bonne façon. Merci Marie pour cette découverte 🙂

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