Peut-être avez-vous déjà entendu parler du Camp du Drap d’Or ? Qu’est ce qui se cache réellement derrière cette rencontre entre deux rois ? Durant toute la première moitié du XVIeme siècle, trois grands souverains charismatiques dominent l’Europe : Henri VIII, flamboyant et tyrannique Roi Angleterre, François Ier, fringant et ambitieux Roi de France, et Charles Quint, impénétrable et scrupuleux Roi d’Espagne et Empereur du Saint-Empire romain germanique. Puissants monarques qui s’allient, se trahissent, bref, se livrent une guerre sans merci au gré de leurs intérêts…
Pour contrer Charles, François se rapproche d’Henri
Les relations entre François Ier et Charles Quint n’ont jamais été au beau fixe. Et depuis que Charles a raflé la couronne de l’Empire, en juin 1519, que François convoitait et pour laquelle il était candidat, la guerre froide règne. Le Roi d’Espagne, depuis peu Empereur, détient désormais des territoires qui s’étendent pratiquement sur la moitié de l’Europe. L’affrontement n’est qu’une question de mois, le Roi de France le sait et souhaite se ménager des alliances.
Une seule puissance peut peser sur le jeu politique et diplomatique en Europe : l’Angleterre. Elle seule pourrait permettre de rééquilibrer les forces. François Ier décide donc de se rapprocher de l’ennemi séculaire de la France : vaste programme !
Depuis plus de quatre siècles, les relations entre les deux puissances sont une suite de combats, d’accords caduques, de serments brisés et de vengeances plus ou moins inassouvies : le dernier épisode, la guerre de Cent Ans, n’a pas laissé de très bons souvenirs de deux côtés de la Manche… Pour ne rien arranger, le deux Rois se « détestent cordialement », comme le constate l’ambassadeur de Venise.
Entre Henri et François s’ajoutent des rivalités de personnes, des vanités de jeunes sportifs prétentieux et une guerre récente.
Depuis l’éclatante victoire de Marignan remportée par François Ier en 1515, on ne parle que de ce brillant prince, qui plus est bel homme, dans les Cours étrangères. De quoi titiller la jalousie du très irritable Henri VIII ! Mais l’Anglais est ravi de pouvoir jouer son rôle « d’arbitre » entre grandes puissances. On prévoit de marier le Dauphin à la princesse Mary, fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon. Les Anglais acceptent également de restituer la ville de Tournai contre une indemnité de 400 000 écus : un premier traité est signé en décembre 1518. Surtout, une rencontre est prévue entre les deux monarques pour entériner ces bonnes paroles et officialiser un pacte de non-agression.
Réunion de rois : une impressionnante logistique
C’est le cardinal Wolsey, conseiller très influent d’Henri VIII, chargé des affaires étrangères, qui propose une entrevue entre les deux Rois. Mais où aura-t-elle lieu ? En terrain neutre, à la limite de la Picardie et de l’enclave anglaise de Calais.
Des centaines d’artisans, de chariots, et pas moins de 466 chevaux sont réquisitionnés pour transporter François Ier, son épouse, sa mère et leur suite respective, ainsi que tout le nécessaire à cette importante transplantation.
Du côté anglais, c’est encore pire. Il s’agit de faire traverser la manche à 5 000 Anglais (véritable exode), à leurs chariots, litières, malles de vêtements, mobiliers, armes, armures, chevaux de parade et de joute, animaux de bouche, vaisselle, tonneaux de vin… C’est un véritable exploit administratif qui est réalisé par l’irremplaçable Wolsey. Mais enfin Henri, très curieux, est particulièrement impatient de rencontrer ce Roi dont on chante les louanges, dont on vante les exploits militaires.
Cette entrevue du Camp du Drap d’Or, qui a lieu entre le 7 et le 23 juin 1520, loin de remplir un quelconque objectif diplomatique, si ce n’est la confirmation de l’accord signé en 1518, se transforme en un véritable étalage de puissance, chaque monarque désirant montrer la supériorité de son royaume et de sa personne.
Une tente d’or et un palais de cristal…
François Ier ordonne, non loin de la ville d’Ardres, d’élever une tente aux proportions absolument démentielles, qui doit pouvoir accueillir aussi sa mère Louise de Savoie, ainsi que son épouse enceinte. Richement couverte de brocart tissé d’or, tendue à l’intérieur de toiles de velours azur semé de lys d’or, la tente est surmontée d’une statue en bois doré, grandeur nature, de Saint-Michel. Les cordages sont de fil d’or de Chypre mêlés de soie bleue de Turquie ! Plusieurs centaines de tentes, en velours et en drap d’or provenant de Florence, accueillent les autres participants français.
Henri VIII de son côté, ordonne non loin de Guînes la construction d’un palais en verre et en bois couvert de peintures en trompe-l’œil, apporté depuis l’Angleterre en pièces détachées. Surnommé le « Palais de Cristal », l’édifice, prouesse technique composée de huit grandes salles, des chambres, de garde-robes et d’une chapelle, est gardée par deux fontaines à vin représentant Bacchus et Cupidon. Les armes du Roi d’Angleterre sont apposées un peu partout. Le Roi d’Angleterre fait également élever deux mille tentes pour loger toute sa suite.
Le 31 mai 1520, François Ier arrive à Ardres, Henri VIII débarque à Calais. Chacun envoie son ambassadeur pour souhaiter la bienvenue à l’autre : Wolsey pour Henri, Bonnivet pour François.
Henri et François : le face à face
La rencontre a lieu le 7 juin, soit une semaine plus tard. Comme aucun monarque ne doit avoir la préséance sur l’autre, on dresse une tente à mi-chemin entre les fabuleuses demeures éphémères des monarques, dans une vallée portant le nom de Val Doré. Enfin, les voici face à face !
Ils ne se sont encore jamais vus, et ne peuvent s’empêcher de se comparer l’un à l’autre. Les courtisans et le corps diplomatique se livrent d’ailleurs au même exercice… Et il faut bien avouer que les monarques se valent.
Pourvu d’une belle barbe rousse, massif mais encore très athlétique à cette époque, Henri aime le sport et la bonne chère. C’est un monarque cultivé, susceptible, sensible au grandiose : il a revêtu ses habits les plus rutilants pour l’occasion. (👉 Découvrez aussi le destin fascinant de la petite soeur d’Henri VIII, Mary Tudor, devenue une éphémère reine de France !)
François, dont la stature impressionnante atteint les deux mètres, est un bel homme qui plaît aux femmes, son nez busqué et imposant n’ôtant rien à son charme. C’est un jouisseur, un fanfaron, mais un homme également très intelligent.
Spectacle permanent autour des monarques
Dès le 9 juin, les monarques se retrouvent pour le tournoi, et les jeux de chevalerie débutent le lundi 11 juin. Les deux Reines, conduites en litière, peuvent enfin faire connaissance. Se succèdent alors trois jours d’un vent si violent qu’il est impossible de jouter. Les cordages de la tente de François Ier se rompent, l’obligeant à aller coucher à Ardres avec sa famille. Les courtisans subissent les mêmes dommages et se voient contraints d’aller s’abriter dans les fermes et les églises aux alentours !
Enfin, le spectacle peut continuer. Les souverains participent sans s’affronter directement. Durant dix jours, festins, danses, pantomimes, joutes, tournois et combats sportifs divers se succèdent sans relâche. Les lutteurs français et anglais rivalisent d’adresse. Vérité ou légende ? On raconte qu’il prend la fantaisie à Henri VIII, dans le feu de l’action, de défier son royal « cousin » François Ier. Un magnifique « croc-en-jambe », comme on dit alors, projette le monarque anglais à terre, qui se relève rouge de colère.
Il voulu recommencer la prise, mais on se hâta de les séparer.
C’est à qui brillera le plus lors de ce Camp du Drap d’Or. Henri offre un somptueux collier à François ? François fait cadeau à Henri d’un bracelet encore plus précieux. Les Reines tiennent elles aussi leur rôle de représentation. Aux côtés du Roi d’Angleterre, la fière Catherine d’Aragon, drapée dans ses étoffes lourdes et précieuses. Aux côtés du Roi de France, la frêle Reine Claude, harnachée de joyaux et enceinte de sept mois.
La rencontre d’achève avec la célébration d’une grande messe suivie de plusieurs festins. On se quitte dans les larmes, se promettant de se rencontrer tous les ans au même endroit : les deux monarques ne se reverront qu’une seule fois, en 1532… à Boulogne-sur-Mer.
Camp du Drap d’Or : l’heure du bilan
Cette entrevue n’est pas bénéfique pour la France : Henri VIII, frustré par tant de déploiement de faste, agacé par l’arrogance de François Ier, signe un accord secret avec Charles Quint, qui l’a intercepté sur le chemin du retour en plus modeste équipage ! Et dès 1521, l’incorrigible François Ier se retrouve de nouveau en guerre contre l’Empereur. Malgré tout, Henri tentera de respecter le mieux possible son rôle d’arbitre.
On a souvent pointé du doigt le déploiement de faste inouï et scandaleux de cette inutile rencontre. En réalité, rien de dramatique puisque beaucoup des matériaux utilisés pour la construction de ces petits chefs-d’œuvre seront réutilisés. Et puis, n’était-ce pas nécessaire ?
Cela valait toujours mieux que de se faire la guerre ; en considération du type de relations qu’avaient entretenues les Rois de France et d’Angleterre depuis Guillaume le Conquérant, l’événement était exceptionnel.
Cette rencontre, par le luxe déployé et l’apparente bonne entente entre Français et Anglais, efface donc les souvenirs dramatiques de la guerre de Cent Ans, ce qui, en soi, est déjà inespéré…
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Sources
♦ François Ier ou le Rêve italien, de Jack Lang
♦ Les Reines de France au temps des Valois, de Simone Bertière : Le beau XVIeme siècle
♦ François Ier , de Didier Le Fur
♦ Henri VIII , de George Minois
« l’incorrigible François Ier » dit le texte, parce que le conflit avec Charles-Quint n’a pas été réglé par l’alliance avec Henri VIII. Mais il faudrait que les historiens cessent de mettre la trahison d’Henry VIII sur le dos de l’infortuné François Ier. Et surtout l’hypocrisie constante de Charles-Quint -dont la folie des grandeurs rappelle son ancêtre Charles de Bourgogne dit « le Téméraire », dont l’héritage n’a cessé d’être revendiqué par le Flamingo-Hispano -Germanique contre tout droit, cette hypocrisie alternant avec une attitude haineuse -l’ignoble traitement du prisonnier de Pavie puis de ses fils, pour arracher la Bourgogne à son roi légitime- ne plaide guère en faveur de Charles-Quint et de sa « hauteur de vue » toujours opposée par l’historiographie « européenne » à la « légèreté » de François Ier. En fait d’esprit chevaleresque, Charles-Quint n’en avait pas une once, et sa rapacité n’est jamais critiquée par les historiens. Et il faudrait que ce soit François Ier qui ait » manqué à sa parole » en ne cédant pas la Bourgogne au maître-chanteur impérial. Le moralisme des historiens est aberrant dans sa partialité anti-française , que ce soit contre François Ier ou contre Louis XI…
absolument mais c’est une spécialité française de se dénigrer, comme si la France n’avait jamais été prise en sandwich entre l’Espagne et l’Empire romain germanique