Coup de ♥
Le Régent… quel Régent ? Des Régentes, oui, la France en a comptées de nombreuses, et de fameuses ! Anne de Beaujeu, Louise de Savoie, Catherine de Médicis, Marie de Médicis, Anne d’Autriche… Mais le Régent alors ? La France n’en a pourtant connu qu’un seul : Philippe II d’Orléans.
Philippe traine, encore aujourd’hui, une réputation exécrable. Homme d’Etat médiocre, libertin préoccupé par les plaisirs de la chair et se livrant à des orgies monstrueuses en compagnie d’une société d’hommes et de femmes aussi corrompue que lui-même, égoïste motivé par son intérêt personnel.
La légende, comme c’est si souvent le cas, a pris le pas sur l’Histoire. Dans Le Régent, Jean-Christian Petitfils met au service de Philippe d’Orléans sa capacité de réflexion et d’analyse, et rebâtit ainsi la vérité historique dans une biographie historique particulièrement complète sur cette période courte mais fondamentale, coincée entre les règnes de Louis XIV et de Louis XV (1715-1723).
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Philippe d’Orléans : une cohabitation difficile avec Louis XIV
Fils de la princesse Palatine et de Monsieur, duc d’Orléans, frère du Roi, le jeune Philippe, titré duc de Chartres à sa naissance, se situe bien loin dans l’ordre de succession au trône. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve très tôt de qualités nombreuses que les fils du Roi-Soleil lui envient, et que le Grand Roi lui même accepte, malheureusement, avec beaucoup de mal.
Jean-Christian Petitfils met en évidence cette mauvaise volonté dont fait preuve Louis XIV à l’égard de son neveu. Avec une obstination inconsidérée, il s’acharne à privilégier ses bâtards (duc du Maine et de Toulouse) et ses amis d’enfance (Villeroy) et à leur confier des commandements prestigieux dans la guerre de Succession d’Espagne. Choix qui, par l’incompétence des élus, se révèlent désastreux.
On ne peut que s’étonner, au détriment de tout bon sens stratégique, de cet aveuglement du Grand Roi, monarque qui par ailleurs n’est pas réputé pour sa bienveillance et son indulgence envers sa famille. Il la considère née pour le servir. Justement, Jean-Christian Petitfils met le doigt sur l’ambiguïté de cette situation. Louis XIV n’accepte pas que ses propres enfants ne montrent aucune capacité de commandement quand son neveu a déjà prouvé sa bravoure, son courage et son ingéniosité. C’est une vexation terrible et s’il persiste à pousser ses enfants vers le métier des armes, c’est tant par espoir qu’un déclic se fasse, que par honneur : il serait en effet inconcevable que des princes, tout bâtards qu’ils soient, restent en retrait quand leur pays fournit des efforts de guerre aussi importants. Leur absence ne manquerait pas de faire jaser sur leur incompétence. Résultat : cette incapacité, bien réelle, éclate au grand jour et entraine des conséquences terribles pour la France.
L’une des plus grosses erreurs de Louis XIV demeure son refus catégorique de confier la Régence à son neveu (devenu entre temps duc d’Orléans), même à l’article de la mort. Il lui donne le titre, mais pas les pouvoirs, détenus par un conseil. Philippe fait figure de Régent fantoche, tout juste symbolique. Après la mort du Roi, une seule solution s’offre à lui pour lui permettre de récupérer le pouvoir dans son intégralité (décision qui aura des répercussions douloureuses sur le futur de la Monarchie) : restaurer les Parlements dans leur autorité en échange de leur consentement à casser le testament du défunt Roi. L’auteur pose les bonnes questions : pouvait-il faire autrement ? Il est permis d’en douter. Pouvait-on confier le royaume à quelqu’un d’autre ? Certainement pas.
📌 À lire aussi : Hécatombe dans la famille de Louis XIV
La régence de Louis XV : les acteurs d’une période encore obscure pour le grand public
Jean-Christian Petitfils nous familiarise avec l’abbé Dubois, cet homme qui revêt une importance capitale dans la vie de Philippe, lui servant de mentor puis de principal ministre. L’ambition incroyable dont fait preuve l’abbé s’allie à une intelligence remarquable, qui s’accorde parfaitement aux prétentions et au caractère de Philippe. De par sa naissance extrêmement modeste, il fait figure d’exception parmi nos cardinaux-ministres (même Fleury, sous Louis XV, n’était pas d’aussi obscure naissance). Sa prodigieuse ascension n’en devient que plus fascinante, et j’ai bien hâte de me procurer la récente biographie d’Alexandre Dupilet sur le Cardinal.
Le lecteur fait connaissance avec d’autres personnages méconnus, tel l’abbé Alberoni qui, soutenu par la Reine Elisabeth Farnèse, détient un ascendant immense sur Philippe V d’Espagne. C’est aussi l’occasion de découvrir cet homme bourré de contradictions, petit-fils de Louis XIV, un être complexe, mélancolique et excessif, capable pourtant d’un grand discernement dans les affaires de son royaume. Un Roi auquel, l’auteur le rappelle bien, les français sont très attachés : n’ont-ils pas, des années durant, bataillé afin qu’il puisse conserver ce trône d’Espagne. Philippe d’Orléans comprend bien le lien qui unit la France et l’Espagne par la continuité de la dynastie des Bourbons. Ce trône espagnol chèrement payé, les français y tiennent. C’est en faisant preuve de clairvoyance que le Régent, malgré ses conseillers qui le pressent, s’abstient d’accepter la proposition d’alliance du Roi d’Angleterre George III contre l’Espagne.
Jean-Christian Petitfils dresse aussi le portrait des intimes et des ministres de Philippe d’Orléans (qui se confondent souvent), membres des « conseils particuliers » instaurés dès son entrée en fonction : c’est l’occasion de revenir sur cet essai de gouvernance, rapidement abandonné au profit d’un retour à des Conseils beaucoup plus restreints. Cette expérience, même si elle se solda par un échec, prouve que le Régent, tout en étant ouvert à la nouveauté et au modernisme, n’était ni obtus ni buté et savait revenir sur ses décisions lorsqu’elles celles-ci entravaient la marche de l’Etat.
Les caricatures s’envolent avec Le Régent de Jean-Christian Petitfils
L’auteur a le mérite de nous expliquer dans les moindres détails le fonctionnement de la politique monétaire et financière sous la Régence, ainsi que ce très controversé « Système Law », mais les explications peuvent paraître ardues pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec les termes financiers. Quoi qu’il en soit, ce système Law, souvent caricaturé, est décrypté et expliqué par l’auteur de façon à en représenter tous les rouages. Comment la France, aux abois, en pleine crise financière (le mal qui conduira la monarchie à sa perte), en est venue à faire confiance à un écossais obscur proposant un remède à tous ses maux, malgré les réticences de certains ministres, pour ne pas dire de la majorité. Jean-Christian Petitfils démontre que le système n’a rien d’une solution miracle. Il était pensé dans les détails, peut-être simplement trop précoce.
Enfin un ouvrage qui dépeint avec justesse l’action politique du Régent et restitue sa personnalité au plus vrai de ce qu’elle fut. Les clichés volent littéralement en éclat à mesure que passent les chapitres, à coups d’analyses et d’explications crédibles, étayées par des témoignages et des documents contemporains. Jean-Christian Petitfils prend soin, avec ses talents de conteur habituels, de rendre accessible cette France d’entre deux règnes, aux idées qui s’entremêlent et s’opposent et au système politique transitoire, plein de nouveautés, d’avancées scientifiques, d’essais et d’expériences dans tous les domaines (fructueuses ou stériles), souvent mal comprise et mal décrite.
J’ai finalement été séduite par ce Régent tant décrié, pourtant prince aux innombrables talents, moderne et aventureux, profondément conscient de son devoir, mais aussi nanti de faiblesses qui ne le rendent que plus humain. Il s’intéresse à tout, est curieux de tout et, c’est indéniable, possède une intelligence extrême.
Le portrait que brosse Jean-Christian Petitfils de son sujet est particulièrement complet, et ce à tout point de vue : il décortique son caractère en ne manquant par de donner une dimension psychologique à ses analyses. Les passions et les amours du Régent, qui font tant jaser à l’époque, ses centres d’intérêt vastes et éclectiques, sa grande capacité de travail, sa clairvoyance, ses rapports avec la religion mais aussi avec sa famille (j’aurais d’ailleurs aimé en savoir davantage sur ses nombreuses filles) : l’étude de la personne de Philippe d’Orléans satisfera les plus exigeants.
L’ouvrage sait expliquer les motivations profondes du Régent en politique, mal comprises et mal interprétées par la plupart des historiens. Il passait pour indécis et faible, quand ce n’était qu’un subtil jeu de bascule pour préserver la paix à tout prix (le commandant fougueux des jeunes années s’est transformé en homme politique défenseur de la stabilité européenne). L’auteur nous glisse par exemple dans les méandres des tractations entre la France et l’Angleterre, beaucoup plus complexes, plus longues et plus délicates que certaines études superficielles ne le laissent supposer.
Philippe d’Orléans aura finalement réussi, dans les grandes lignes, la tâche qui était la sienne : faciliter la continuité dynastique en transmettant au jeune Louis XV un royaume modernisé, en paix avec ses voisins. Bien loin des traditionnels clichés qui font du Régent un égoïste désireux de s’accaparer le pouvoir afin de servir ses propres intérêts, son action démontre au contraire qu’il fut entièrement dévoué à celui dont il avait la garde, et profondément soucieux du bien-être et de la grandeur de la France. Il aurait été certainement d’une aide précieuse à Louis XV encore pendant de nombreuses années s’il n’était pas mort aussi brusquement, laissant la place au ministère peu glorieux du duc de Bourbon.
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Points positifs
♥ Philippe d’Orléans sous un jour nouveau : un portait de l’homme tout en nuances, réhabilitation du stratège politique et de l’esthète moderne.
♥ Redécouverte d’une période oubliée de l’histoire de France
♥ Une connaissance pointue du sujet
♥ Rencontre avec des personnages fascinants, acteurs du règne au même titre que Philippe d’Orléans (l’abbé Dubois, l’abbé Alberoni, Philippe V, George III, John Law…)
Points négatifs
♠ Une analyse de la politique monétaire et financière de la France parfois difficile à suivre
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Complément cinématographique, encore un! « Que la fête commence! », réalisé par Bertrand Tavernier, film incontournable sur cette époque, avec Philippe Noiret dans le rôle de Philippe d’Orléans.
Vu il y a de ça quelques mois, assez représentatif et très bien joué, même si parfois un peu caricatural 🙂
Merci pour ce point de vue. Dans le cadre de ma licence, on me conseillait de lire un livre de Jean-Christian Petitfils mais je ne savais pas lequel choisir je crois que grâce à toi c’est chose faite ^^
Et on m’a recommandé de voir aussi ce film « que la fête commence ! » 😉 Merci beaucoup pour cette aide.
En effet, le film est une merveille 🙂
Un personnage plus intelligent et travailleur que ce que l’histoire laisse comme image de lui … Perso je l’aime bien et le secret d’histoire qui lui était consacré m’a permis de redécouvrir ce personnage complexe.
Un homme d’exception en effet.
Perso, je ne l’ai jamais comme un incapable, justement au contraire, son oncle lui en voulait d’être au dessus de ses fils. Par contre je lui reproche tests financier/économiques avec Law, mais difficiles en même temps de faire autrement que de tout essayer vu la situation de la France à ce moment là. Et malheureusement toutes ses filles ont mal finies.
Je pense que l’expérimentation avec Law n’a pas été réalisée en pure perte et cela témoigne de son esprit ouvert et moderne 🙂
Bien entendu, et ce dans tout les domaines
Ces filles étaient assez mal élevées et ont crée beaucoup de scandales. La plupart on eu une vie dans l’ombre, loin de la cour ….Bref elles ont été malheureuses .
C’est vrai, et on ne parle souvent que de la duchesse de Berry !
Que la fête commence… Excellent film avec de grands acteurs, dont Marina Vlady , Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Philippe Noiret. De plus, Bertrand Tavernier n’a jamais, à ma connaissance, réalisé de navets. Il a beaucoup étudié son sujet avant d’entreprendre ce tournage. La fin est terrible et prémonitoire, lorsque le carrosse du Régent tue un petit paysan, et que sa sœur le relève dans ses bras, montrant à ses yeux morts les travailleurs qui brûlent de rage le même carrosse, en lui disant : « Regarde, petit frère, vois comme ça brûle bien… Et on va en brûler beaucoup d’autres, petit frère,… Beaucoup d’autres… »
Film fabuleux !
Fabuleux de justesse, malheureusement très difficile à trouver…
La période de la Régence est fascinante, du fait déjà, de sa courte période (1715 -1723). On a tendance dans ce cas, à scruter les moindres détails politiques du personnage et de son entourage; un changement radical aussi à la cour, par la mort d’un Roi, au règne qui s’éternisait. Ma découverte de la Régence a commencé par ce film « Que la fête commence » qui se trouve facilement ! La musique du film a été écrite par le Régent Lui-même; et qu’un étudiant américain avait retrouvé la partition, par hasard, à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris. C’est encore grâce à la Paramount que le film a pu voir le jour. Finalement, c’est à se demander, si les Américains n’auraient pas des penchants royalistes. Le film met aussi en lumière un personnage (médecin) assez curieux, Pierre Chirac (1650-1732) dont Tavernier en fait un Kleptomane et pourtant le Duc de Saint-Simon ne fait point d’éloge non plus de ce personnage !
C’est un film absolument fabuleux. Même si les personnages sont caricaturés, cela reste un excellent moment d’histoire et de cinéma !