Catherine de Médicis règne avec son époux Henri II depuis 1547. Elle est Reine, mais la véritable Reine de la Cour, celle qui donne le ton, c’est la toute puissante Diane de Poitiers. Après la mort d’Henri II en 1559 et le retrait de la favorite en titre, Catherine gouverne l’État pour de bon, conseillère de ses fils. Elle donne libre cours à ses goûts en les mettant au service de sa conception du pouvoir.
Le trop fameux « escadron volant » de la Reine mère, ces belles jeunes femmes qui l’entourent et forment sa Cour, a donné lieu à des élucubrations plus fantaisistes les unes que les autres…
Le mythe de la débauche sous Catherine de Médicis
Voilà ce qu’on peut lire dans l’Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, tome V, par Paul Lacroix, ouvrage publié en 1853 :
Catherine de Médicis imagine d’appliquer la prostitution à la politique : elle s’en fait une arme pour vaincre ses ennemis ; elle s’en sert comme d’un narcotique pour les endormir, comme d’une chaîne pour les entraver, comme d’un poison pour les détruire.
Jamais peut-être l’immoralité n’avait eu recours à de pareils raffinements ; jamais l’art de gouverner les hommes n’en était venu à l’emploi de si honteux moyens.
Catherine userait donc de ses femmes pour séduire et asservir les grands du royaume à sa volonté, envoyant les belles se donner à l’un ou l’autre. Dans l’une des biographies les plus récentes de la Reine (2011), Catherine de Médicis – La Reine de Fer, par Raphaël Dargent (très bel ouvrage !), la description d’une fête donnée à Chenonceau est particulièrement osée :
Les halètements se mêlent aux rires, les corps n’en peuvent plus, tendus à l’extrême. C’est une obsession : se plonger dans les crinières odorantes, se presser contre les croupes aguichantes. Les corps sont offerts, à qui veut les prendre : poitrines généreuses, tendues sous les corsages, humides de sueur ; lèvres brillantes, rouges et charnues : cous blancs, doux et chauds.
On les embrasse dans le cou, on les culbute dans l’herbe, on les baise contre les arbres.
On peut difficilement faire plus scandaleux… Voilà qui nous donne l’image d’une Reine cautionnant et encourageant sciemment la débauche. Catherine de Médicis se transforme en proxénète qui chapitre ses filles et leur donne ses consignes de séduction. La Cour abrite alors un gigantesque bordel ! Sans aller aussi loin, certains divertissements de Cour furent en effet de moeurs très relâchées.
L’auteur s’inspire en fait de quelques fêtes au caractère licencieux, sous Henri III surtout.
Le gigantesque banquet travesti du 15 mai 1577 se termine en orgie. Le repas nocturne du 9 juin de cette même année, donné à Chenonceau, reste l’exemple le plus célèbre du débordement à la Cour des Valois. Alors qu’Henri III se présente « habillé en femme, fardé, frisé, couvert de bijoux », ses mignons dans son sillage, le service est assuré par des jeunes filles de la Cour, « à demi nues et les cheveux épars comme des épousées ».
Mais attention, ces divertissements qui dérapent (relativement sagement) sont très rares, et ne sont en aucun cas organisés méthodiquement par Catherine !
Ces dérèglements ne sont pas la norme. Occasionnels, ils sont liés à la sensibilité fantasque d’Henri III (…) : le banquet de Chenonceau cherchait ainsi à satisfaire le duc d’Anjou dont la paillardise était notoire. Ces saturnales ne résument pas l’esprit de la Cour.
Contrairement à ce que beaucoup d’historiens affirment encore aujourd’hui, Catherine réprouve farouchement la débauche, et son « escadron volant » ne mérite pas une réputation aussi sulfureuse. La Cour des Valois n’est pas une Cour dissolue. Si certains se font une joie d’exagérer des scandales ou d’en inventer de toutes pièces, c’est parce qu’ils ne savent pas comment réagir face à cette nouvelle société qui prend forme, une société où la femme possède une place à part entière, répandant à la Cour un vent de sociabilité et de sentiment amoureux. Allons plus loin.
Les femmes, ornement essentiel de la Cour
Catherine garde de la Cour sous François Ier et Henri II un souvenir ébloui. Pour avoir souffert de la prééminence de certaines femmes, elle sait parfaitement que la Cour (et donc le pouvoir) leur doit beaucoup. Sans elles, la machine ne fonctionne qu’imparfaitement.
La Reine mère ne se fait aucune illusion sur elle-même. Sa beauté, si tant est qu’elle fut belle un jour, est fanée depuis de longues années. Elle ne quitte plus ses voiles noirs, portant pour toujours le deuil d’Henri II, affirmant son autorité en tant que mère du Roi. Exerçant le pouvoir, elle joue sur son statut de veuve pour légitimer ses ambitions. Mais il lui faut s’entourer d’autres femmes, jeunes et désirables, afin de redonner à la Cour un souffle nouveau.
Attention, Catherine ne les choisit pas au hasard. Elle les veut de haute naissance, donc issues des plus nobles maisons du royaume. Il est primordial qu’elles soient belles et emplies de charme, mais il faut aussi qu’elles aient de l’esprit, possèdent l’art de la conversation ainsi qu’un certain talent au chant et à la danse.
Elle les prend sous sa protection, les nourrit, leur fournit des toilettes somptueuses, assure leur entretien et leur avenir : c’est un véritable honneur pour les familles, ravies de lancer leurs filles dans le monde, presque certaines de leur dégoter un mari convenable sans effort.
En retour, les demoiselles jouent le jeu. Elles deviennent l’ornement de la Cour, qu’elles égaient de leur élégance et de leur grâce, incarnant la féminité à laquelle Catherine a renoncé depuis son veuvage. Le contraste est non seulement saisissant, mais bénéfique pour la Reine mère :
Ecrin de soie et d’or pour une pierre noire, elles font de Catherine un être à part, quasi sacré, beaucoup plus reine que si elle prétendait rivaliser avec elles en essayant de réparer des ans et de la nature l’irréparable outrage.
Le nombre de demoiselles et jeunes femmes qui forment la Cour de la Reine s’élève généralement jusqu’à 80, mais il varie souvent et peut atteindre la centaine. Cet aréopage de divines créatures vêtues de soie et d’or aide Catherine à faire l’honneur des résidences royales. Celles que l’on nomme « l’escadron volant », composent en réalité un tout petit cercle de favorites, qui suit Catherine dans ses déplacements diplomatiques.
Toutes ces filles sont loin de se comporter comme des prostituées s’adonnant à des bacchanales immorales et perverses. Brantôme ne dit pas autre chose lorsqu’il décrit Catherine et son entourage :
Sa compagnie et sa Cour étaient un vrai paradis du monde et école de toute honnêteté, de vertu, l’ornement de la France, ainsi que le savaient bien dire les étrangers lorsqu’ils y venaient ; car ils étaient très bien reçus.
Elle avait ordinairement de fort belles et honnêtes filles, avec lesquelles tous les jours en son antichambre on conversait, on discourait et devisait, tout sagement et tant modestement que l’on eut osé faire autrement.
Et oui, ces dames sont vertueuses ! C’est la renaissance de l’amour courtois qui fait défaut depuis Anne de Bretagne et non une invitation à la débauche. Il s’agit de redonner à la Cour cette touche de galanterie, sage mais pleine de mystère, qui devient un facteur sociabilisant et civilisateur.
Le guerrier ne peut plus se contenter de savoir manier les armes pour partir au combat, il doit plaire aux dames, se policer, se montrer aimable et élégant. C’est aussi une manière pour Catherine de domestiquer la noblesse et les frondeurs, de les garder à l’œil, tout comme Louis XIV se servira de l’étiquette et du mécanisme de Cour pour surveiller son monde. Cependant, le fameux « escadron volant » (donc un petit noyau de femmes) de la Reine mère affiche des mœurs plus libres.
La vérité sur l’escadron volant
Catherine est intelligente, elle sait que la séduction avertie de ses dames représente un atout politique non négligeable. La Cour, peuplée de belles demoiselles sensuelles, exerce sur les gentilshommes un attrait puissant. Mais une demoiselle qui se donne facilement n’a aucun intérêt ! Il faut qu’elles soient désirables et longuement désirées pour fixer durablement les guerriers à la Cour, les intéresser. On s’embrasse, on se courtise, on s’adresse quelques sourires aguicheurs, rien de plus.
Ainsi, les femmes qui composent « l’escadron volant » de Catherine de Médicis deviennent de précieuses informatrices pour la Reine mère, qui n’hésite pas à se servir d’elles à des fins politiques. Séduire, faire parler et convertir aux intérêts de la couronne les plus vulnérables, voilà à quoi elles peuvent servir.
Dans l’atmosphère très permissive de la Cour, leur comportement ne tranche pas vraiment sur celui des autres dames.
La liberté des mœurs alors ne se dissimule pas : elle est naturelle.
D’ailleurs, certaines manœuvres suspectes dont use parfois Catherine ne transforment pas pour autant sa Cour en un nid de prostitution. Nul gentilhomme ne peut approcher une demoiselle sans la présence d’un chaperon. Tout au plus peut-il s’asseoir sur une chaise à ses côtés ou mettre un genou à terre. Catherine veille à ce que « l’amour sentimental l’emporte sur l’amour brutal », à ce que sa Cour offre des « plaisirs honnêtes ». Si des liaisons charnelles se nouent, elles se font discrètement et dans le secret.
Catherine ferme les yeux sur celles qui commettent l’imprudence de s’abandonner. Mais gare à celles qui portent le fruit de leur faiblesse ! Le déshonneur, Catherine ne le cautionne pas. Celle qui manque à la retenue exigée est bannie de la Cour, rien de moins.
Un exemple ? Isabelle de Limeuil, fille d’honneur de la Reine mère dès son arrivée à la Cour en 1560, ne tarde pas à se faire remarquer. Blonde et belle comme le jour, elle est choisie par Catherine pour amadouer le prince de Condé, austère protestant qui représente un danger potentiel pour la Couronne.
Enceinte du prince, la pècheresse cache sa grossesse jusqu’à son terme, puis accouche en catastrophe dans l’antichambre (ou garde-robe) de la Reine elle-même. On envoie le rejeton à son amant qui, réellement amoureux d’elle, ne se démène pourtant pas pour la faire sortir du Couvent où on l’enferme…
Cette politique d’amour et de séduction, innocente dans la grande majorité des cas (les Isabelle de Limeuil se comptent sur les doigts d’une main) suscite pourtant de violentes réactions notamment des huguenots les plus austères, qui dénoncent cette « nouvelle Babylone ».
Les fables les plus invraisemblables circulent, à l’origine du mythe de « l’escadron volant », ces filles transformées en objets de plaisir, utilisées par les gentilshommes lors d’orgies commanditées par Catherine en personne.
Nous venons de voir que la réalité cache une toute autre histoire !
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Sources
♦ Catherine de Médicis – La Reine de Fer, de Raphael Dargent
♦ Catherine de Médicis : Epouse d’Henri II, de Jean-Pierre Poirier
♦ La Cour de France, de Jean-François Solnon
♦ Les Reines de France au temps des Valois, de Simone Bertière : Tome 2 : Les années sanglantes
♦ Vies des dames galantes, de Brantôme
♦ l’Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, de Paul Lacroix
♦ Toutes les images sont issues d’une édition très bien illustrée de l’ouvrage Vies des dames Galantes, de Brantôme (Gallica BNF)
Une Grande Histoire, Merci!
Merci à vous pour ces commentaires 😉
Merci de rétablir l’histoire concernant Catherine de Médicis, que j’ai commencé de réellement découvrir à l’occasion d’un séjour à Florence. Trop souvent réduite à l’état d’intrigante empoisonneuse, dans des romans d’Alexandre Dumas ou autres fadaises, j’ai apprécié le livre que JF Solnon lui dédie.
Les légendes ont la vie dure… 🙂
bel article sur une femme mal aimee de l’Histoire , et mal comprise de ses contemporains (quelle epoque troublee!), mais qui merite peut etre mieux que cette legende noire…lui reproche ton inconsciemement de posseder le pouvoir ???
Les femmes au pouvoir, surtout en France, ont toujours suscité des réactions passionnées… Qu’il s’agisse d’Anne d’Autriche, de Marie de Médicis, de Blanche de Castille !
Merci pour cette qualité d’article.
Merci 😀