Le premier devoir d’une reine, ou d’une princesse destinée à monter un jour sur le trône, est celui de procréer. Si le couple demeure stérile, c’est à la femme que l’on impute cette dramatique situation. Elle peut alors craindre la répudiation, pratique heureusement très rare à partir du XVIe siècle.
Il ne suffit pas de donner des enfants à la couronne, encore faut-il que ces derniers soient de sexe masculin ! Les filles étant écartées de la succession, la naissance de mâles dans la famille devient une question de survie dynastique. Sitôt mariée, la princesse voit tous les yeux braqués sur son ventre, qui devient le centre de toutes les attentions.
Culpabilisées à la naissance d’une fille, les reines versaient des larmes et promettaient de faire mieux la prochaine fois.
Rarement nécessité de donner un héritier mâle au trône ne suscita plus d’inquiétudes à une reine qu’à Anne de Bretagne. Et rarement la mortalité infantile, fléau du temps, ne fit plus de ravage.
Un dauphin !
Anne de Bretagne, unique héritière de son duché, jeune fille d’à peine 13 ans mais déjà physiquement et psychologiquement adulte, se voit contrainte d’épouser le roi de France Charles VIII.
Les armées du monarque sont venues à bout de sa résistance et de celle de ses sujets au terme d’une guerre meurtrière. Les noces ont lieu au château de Langeais en décembre 1491. Si elle a pu croire un instant que Charles la traiterait comme une captive, ses craintes sont vite dissipées. Elle s’épanouit dans sa vie de couple.
Contre toute attente, elle tombe presque aussitôt amoureuse de son vainqueur. Tous deux jeunes et fougueux, ils ont le sang chaud et affectionnent les jeux de l’amour. La reine est, sinon jolie, pleine de charme, et le roi se révèle un époux attentionné. Ils prennent visiblement un grand plaisir à concevoir un héritier pour la dynastie !
Le premier enfant du couple comble toutes les attentes : il s’agit d’un dauphin, fort et vigoureux. Né dans la nuit du 9 au 10 octobre 1492, le petit prince est baptisé Charles-Orland dans l’église Saint-Jean du Plessis, lors d’une cérémonie fastueuse dans la plus pure tradition royale.
Puis on l’installe au château d’Amboise, où une armada de domestiques est chargée de veiller sur lui. Avec ses grands yeux noirs et son teint blanc, son caractère doux et facile, il fait la fierté de ses parents. Dès trois ans, les contemporains remarquent qu’il parle avec audace. Intelligent et capable, il promet de devenir un grand roi, à la hauteur de toutes les espérances.
Premières déceptions
L’année suivant la naissance de Charles-Orland, Anne est de nouveau enceinte. Confiante, moins prudente, elle se sent assez forte pour suivre son mari dans ses déplacements, et voyage avec lui de château en château. Elle tient même à le suivre lors d’une chasse en forêt de Courcelles… Elle perd son enfant, qu’on identifie comme étant un garçon.
Le couple ne s’attriste pas trop longtemps puisqu’Anne retombe rapidement enceinte. Les formes de la maternité lui sourient. Rayonnante, elle se félicite d’être aussi féconde. Charles n’en devient que plus épris de sa femme, et ne doute pas qu’ils donneront bientôt au petit Charles-Orland de nombreux frères et sœurs.
Le souverain abandonne alors sa femme enceinte pour mener une campagne d’envergure en Italie. Il souhaite s’emparer du royaume de Naples. Ambition justifiée. En effet, lorsque la maison des ducs d’Anjou s’était éteinte, le père de Charles, le roi Louis XI, avait récupéré leur héritage qui comprenait, outre le Maine et l’Anjou, le royaume de Naples et celui de Jérusalem.
Contrairement à son père, grand pragmatique ne se berçant pas de chimère qui chercha à maintenir l’unité de la France plutôt que de se lancer dans des conquêtes hasardeuses, Charles est un aventurier et un idéaliste.
Anne laisse partir avec regret son mari. A 17 ans, c’est une jeune femme d’une grande maturité pourvue d’une fibre maternelle exceptionnellement développée pour son âge. Mère attentionnée, elle demande quotidiennement des nouvelles du petit Charles-Orland et vient le visiter le plus souvent possible. En même temps, elle entretient un embryon de Cour qui n’allait pas tarder à devenir un modèle dans les pays européens. Elle cherche surtout, après les deux échecs précédents, à mener à son terme sa quatrième grossesse… L’enfant, une fille, naît au printemps 1495. La petite ne survit pas.
Anne ne se laisse pas abattre et continue à suivre avec exaltation l’épopée de son mari en Italie, se réjouissant de ses victoires, s’émerveillant de tous les trésors qui affluent à Lyon où elle s’est installée, et s’inquiétant avec lui de ses revers. Elle n’a qu’une hâte : le retrouver.
Succession de drames
Au retour de Charles, qui arrive à Lyon à la fin de l’année 1495, une terrible tragédie frappe le couple. Charles-Orland, malgré les soins qu’il recevait et les précautions dont il était entouré en permanence, est mort le 16 décembre 1495, terrassé par une épidémie de rougeole. Le monarque, bien que profondément atteint par ce deuil, parvient à se ressaisir assez rapidement. Anne en revanche, accablée par la douleur, sombre dans un état dépressif inquiétant : elle est tellement abattue que son entourage craint pour son état mental.
Au printemps de 1496, elle attend un nouvel enfant : cette nouvelle lui redonne goût à la vie. Elle se ménage et attend avec impatience le jour de la délivrance. La naissance d’un fils, baptisé Charles comme son père, le 8 septembre, la comble de joie. Un bonheur qui prend fin moins d’un mois plus tard : l’enfant décède le 2 octobre, laissant Anne anéantie.
Il semble qu’au printemps 1497, Anne donne encore naissance à un garçon qu’on a tout juste le temps de baptiser François avant qu’il ne meure à son tour… Charles s’étourdit en allant batifoler avec ses maîtresses, Anne, elle, reste seule et désespérée.
A ce moment, Anne traverse l’une des périodes les plus sombres de son existence : un mari absent, trois enfants décédés en quelque dix-huit mois, la solitude dans le faste.
L’incompréhension la saisit. Elle a tout mis en œuvre pour garder ses enfants en vie : elle s’est ménagée, elle a prié, elle a choisi les meilleures nourrices, s’est même servie de grigri pour conjurer le mauvais sort… Une malédiction semble s’abattre sur le couple.
Anne se console en profitant du charme d’Amboise, devenue une résidence fabuleuse regorgeant de peintures, d’objets d’art issus du mouvement de la Renaissance, agrémentée de jardins somptueux.
Ultime tragédie
Charles qui, malgré son amour pour Anne, est un mari infidèle et prend du bon temps avec des courtisanes (sans jamais entretenir de maîtresse officielle), se livre à un examen de conscience. Si Dieu faisait périr ses enfants pour le punir, en expiation de ses péchés ?
Le roi décide de changer de vie. Il s’astreint à des pénitences, jeûne, communie et chasse toutes les filles de mauvaise vie rôdant aux alentours de la Cour. Surtout, il décide de faire preuve de chasteté et de demeurer pour toujours fidèle à son épouse.
Comme pour le conforter dans ses résolutions, Anne attend un nouvel enfant en septembre 1497. Au mois de mars, approchant de son terme, elle se retire au Plessis, résidence où elle a donné naissance à tous ses enfants. Elle est assistée par l’un des médecins les plus réputés du royaume.
Hélas, le 20 mars 1497, la reine donne naissance à une fille prénommée Anne qui décède presque aussitôt. Le couple, abattu, regagne Amboise. Anne, mal remise de ses couches, reste triste, presque amorphe. Son époux cherche le moindre prétexte pour la distraire.
Le 7 avril 1498, samedi veille des Rameaux, il l’invite à monter avec lui dans une galerie désaffectée surplombant le fossé où se déroule une partie de paume très animée : ils apprécieront mieux le jeu d’en haut.
Une porte basse en haut d’un escalier donne accès à cette galerie. Charles ouvre la voie à son épouse et gravit les marches le premier. De petite taille, il n’a habituellement nul besoin de se baisser pour franchir les portes : il débouche sans précaution sur le palier, ne voit pas le linteau placé très bas et le heurte de front. Un peu sonné, il prend place en compagnie de son épouse pour regarder les joueurs. L’incident est déjà oublié lorsque soudain le monarque tombe, évanoui.
Les médecins se pressent durant 9h autour du corps inanimé, étendu sur une paillasse de fortune au beau milieu de la galerie. Aucun ne parvient à lui faire reprendre connaissance. Il meurt à onze heures du soir, sans doute d’une hémorragie interne. Il avait vingt-sept ans.
L’époux de la dernière chance
Après une nouvelle période de dépression, Anne se ressaisit. Son traité de mariage stipule qu’en cas de décès du roi, elle doit épouser le successeur du défunt. Cette clause destinée à conserver le duché de Bretagne à la France lui ouvre finalement de nouvelles perspectives. Louis d’Orléans, issu de la branche cadette des Capétiens, monte sur le trône sous le nom de Louis XII. Le monarque est déjà marié à Jeanne de France. Qu’importe. Il parvient à obtenir le divorce, au terme d’un procès à sensation. Anne peut convoler avec le prince en janvier 1499, devenir reine de France une seconde fois et espérer lui donner l’héritier tant attendu.
Louis n’est pas insensible au charme de la bretonne. Il note également que sa fertilité, même s’il ne lui reste aucun enfant survivant, est de bon augure. Elle lui concevra rapidement un dauphin, c’est certain ! Malheureusement, si elle comble en tout ses attentes, sur ce point-là elle le déçoit.
Anne a enchaîné les grossesses avec Charles, sa santé s’est altérée. Elle est aussi moins féconde… Il faut noter aussi que les expéditions de Louis XII en Italie, fasciné comme son prédécesseur par le mirage italien, éloignent assez fréquemment le roi de son épouse.
Que des filles
Pourtant, comme lors de son premier mariage, Anne tombe enceinte dès les premières nuits passées avec son nouvel époux. Elle donne naissance à Blois, le 14 octobre 1499, à une fille baptisée Claude. Le couple ne doute pas que la prochaine sera la bonne…
En 1503, bonheur, c’est un garçon ! Le bébé décède presque aussitôt. Le 25 octobre 1510, c’est une seconde fille, Renée. Suivie d’un second garçon en 1513, qui ne survit pas davantage que le premier. Ce drame dynastique est particulièrement pénible pour Anne. Elle se console difficilement de ces décès répétés.
Elle a le bonheur de voir ses filles, malgré leur santé fragile (surtout Claude), passer les années critiques de la petite enfance. Anne s’enquiert constamment de leur santé et ne néglige aucune précaution pour les préserver de toute maladie.
Le dernier accouchement de la reine l’a laissée très affaiblie : elle perd du sang. Elle est aussi victime d’une infection urinaire chronique très douloureuse qui laisse place à la gravelle (ou maladie de la pierre) et la fait souffrir atrocement. Ces grossesses régulières et nombreuses, à une époque où les accouchements se font dans des conditions précaires et où l’incompétence des médecins met souvent en péril la vie de la mère, ont raison de sa robustesse.
Avant de s’éteindre prématurément à Blois le 9 janvier 1514, âgée de 38 ans seulement, laissant deux filles de quatorze et trois ans et un mari éploré, elle trouve le courage de mener un dernier combat. Une bataille contre son propre époux qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour le royaume.
Louis XII, au lieu de s’aigrir, prend l’absence de dauphin comme une décision divine et commence à se faire une raison : ce n’est pas un héritier de son sang qui régnera après lui. Il entend néanmoins que le futur roi de France soit un prince français et non un étranger. Anne, elle, a déjà fait son choix… Ce sera la plus grande crise conjugale entre les deux époux. Cliquez pour suivre le combat d’Anne de Bretagne pour marier sa fille au futur Charles Quint !
Sources
♦ Anne de Bretagne, de Philippe Tourault
♦ Les reines de France au temps des Valois, de Simone Bertière : Le beau XVIeme siècle
♦ N°63 de la collection Atlas « Rois de France », sur Anne de Bretagne.
♦ Louis XII, de Didier le Fur
C’est une méconnaissance de l’Histoire de dire que Anne a été amoureuse de l’ homme qui avait vaincu son père à Saint Aubin du Cormier
Pourtant les historiens insistent sur le fait que le couple s’entendait très bien et qu’elle avait fini par l’aimer 🙂
il ne faut pas croire que les femmes étaient déçues d’avoir des filles ! les filles étaient aussi importantes, car elles permettaient de creer des alliances avec les pays en guerre !
Oui c’est très vrai, néanmoins le plus important restait de donner à la couronne un héritier, ensuite les filles étaient bienvenues car à l’inverse trop de garçons pouvaient créer des rivalités