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Pierre le Grand – Henri Troyat

 

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   Pierre le Grand, personnage mythique de la Russie : Tsar de 1682 à 1725, Empereur en 1721, il est célèbre surtout car son nom est indissociable de Saint-Pétersbourg, ville qui lui doit la vie. Il favorise l’essor de la puissance russe, qui émerge pour de bon sur la scène internationale.

   Mais que sait-on réellement de ce règne chaotique et de ce souverain à la psychologie extrêmement complexe ? L’érudition d’Henri Troyat transparaît dans cet ouvrage : l’ancienne Russie n’a aucun secret pour lui !

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Luttes pour le pouvoir

   Une belle (et indispensable !) introduction nous immerge au cœur du règne du Tsar Alexis Ier, qui cherche à se remarier après la mort de sa première femme. L’élue est, en 1671, Nathalie Narychkine, mère du futur Pierre le Grand. Une admirable description du Kremlin de l’époque met l’eau à la bouche. Henri Troyat sait planter son décor !

Les palais eux-mêmes ressemblent à des églises, avec leurs toitures en forme de coupoles, leurs tuiles de couleur et l’ornementation délirante de leurs façades (…) A l’intérieur des palais règnent la pénombre, le silence. Les pièces basses, voûtées, enfumées ont des murs décorés de fresques ou tendus de cuir et de soie.

   A la mort du Tsar Alexis Ier, les guerres de clan font rage. Fédor III et Ivan V montent sur le trône, sous la Régence de leur sœur Sophie. Tous trois sont issus du premier mariage du Tsar défunt : de cette redistribution du pouvoir, le jeune Pierre et sa mère Nathalie sont donc exclus. Oui, famille compliquée…

   La Régence de la Tsarevna Sophie, extrêmement houleuse, familiarise d’emblée le lecteur avec la violence, la barbarie et l’indiscipline encore caractéristiques de ce peuple moscovite. Le goût du sang, plus jamais, ne quittera le jeune Pierre, qui assiste à des scènes terribles, de véritables boucheries. J’ai été frappée par la facilité avec laquelle, à cette époque, une bande de janissaires peut retourner l’opinion et s’emparer du Kremlin, mettant toute la famille royale en danger de mort. L’auteur analyse d’ailleurs de façon suffisamment détaillée la politique de Sophie et de son amant Basile Golitzine : cependant, une carte ou une explication des frontières de l’époque n’aurait pas été de trop !

  Nous suivons l’enfance et l’adolescence de Pierre, relégué par sa demi-sœur Sophie avec sa mère Nathalie dans le village de Preobrajenskoïe. Insouciant, vivant chichement, il arme une joyeuse petite troupe de camarades et « s’amuse à faire la guerre ». Il grandit, ses amis avec lui, il prend goût à ces jeux qui deviennent moins innocents, et ses partisans grossissent au fur et à mesure que la popularité de sa demi-soeur décline. Pierre et sa mère finissent par se trouver assez puissants pour renverser la Régente Sophie en 1689. Surprise : ce début de règne est fort éloigné de l’idéal de grandeur ancré dans l’Histoire ! Pierre fait preuve d’un courage qui n’est en réalité que de façade, et il préfère confier le pouvoir à sa mère pour folâtrer en paix avec ses compagnons de jeux et de dévergondage…

Huile sur toile de Jean-Marc Nattier représentant Pierre Ier - 1715, Musée du château de Versailles
Huile sur toile de Jean-Marc Nattier représentant Pierre Ier – 1715, Musée du château de Versailles
 

 

Pierre, ses jeux et ses femmes

   Même lorsque Pierre prend définitivement en main la destinée de son pays, il s’adonne à son plus grand vice : la beuverie. Ce colosse instable ingurgite des quantités astronomiques d’alcool et se livre à la débauche, à l’ivrognerie et la bouffonnerie avec une même ardeur (voir l’article : Bouffonneries de Pierre le Grand : orgies impériales). Henri Troyat nous offre des descriptions détaillées et, il faut le dire, choquantes, de ces incroyables orgies auxquelles s’adonne Pierre avec délectation.

   Celle qui partage sa vie, la pauvre Eudoxie, n’a plus que ses yeux pour pleurer ! Elle n’a aucun tord, si ce n’est celui d’avoir été élevée dans la plus pure tradition russe… Je ne résiste pas à une petite citation :

Produit exemplaire du térem russe, Eudoxie est une gentille et fade petite personne, qui sait lire et écrire, rougit pour un rien, se répand en prières, croit aux songes, s’ouvre à toutes les superstitions, et se montre plus sentimentale que sensuelle en face de son époux déchainé.

   Il faut bien avouer que pour un homme aussi vif, autoritaire et débauché que Pierre, cette jeune personne sans relief, pieuse et timide, n’a absolument rien pour le retenir. Sa soumission absolue ne suffit pas…

   D’autant que Pierre Ier, et c’est là un trait important de son caractère, est loin d’être un grand sentimental. Il n’éprouve aucun amour envers son prochain et est incapable de se mettre à la place d’autrui. En plus de cela, c’est un rustre sans aucun raffinement, surtout avec les femmes pour qui il n’a ni estime, ni respect.

   L’auteur déchiffre pour son lecteur la condition de la femme russe (cloîtrée, soumise, pieuse et relativement ignorante) et les mœurs de l’époque. Pas toujours reluisant ! Pierre collectionne les maîtresses, et celle qui compte le plus dans sa vie est la vulgaire Anna Mons, qu’il considère comme un objet de plaisir.

Anna Mons n’a aucune instruction, collectionne les recettes de sorcellerie, ne cache pas sa cupidité, affiche des manières vulgaires, mais elle est jolie, vive, spontanée, rieuse et désirable.

   Mais celui qui méprise tant les femmes et qui répudie Eudoxie, unit finalement sa vie en 1712 à une simple servante, qu’il finira même par couronner solennellement en 1725. C’est l’Impératrice Catherine Ière. Henri Troyat brosse le portrait de cette femme énergique, simple et gaillarde, qui parvient à dresser le Tsar le plus indomptable de Russie. L’auteur s’attarde sur l’infidélité de Catherine, qui affecte énormément Pierre à la fin de sa vie. Lui qui la croyait fidèle pour toujours et unique pour son sexe…!

Portrait de Catherine Ière en 1717, par Jean-Marc Nattier - Musée de l'Ermitage
Portrait de Catherine Ière en 1717, par Jean-Marc Nattier – Musée de l’Ermitage

 

La politique d’un obsessionnel

   Henri Troyat analyse très finement l’œuvre politique de Pierre le Grand, témoignant d’une maîtrise parfaite de son sujet.

   Pierre est un grand admirateur des puissances européennes. Le grand voyage qu’il entreprend à travers tous ces pays qui le fascinent est l’occasion pour l’auteur de nous conter des anecdotes divertissantes, drôles et parfois même attendrissantes : le choc des cultures et des peuples est inévitable ! Cette volonté d’occidentaliser la Russie devient parfois maladive : attention à ceux qui portent encore les traditionnelles barbes longues, Pierre et son ciseau coupent tout sur leur passage !

   Mais la plus grande obsession de Pierre reste sans conteste la mer. Le grand large, la vie de marin, les bateaux et leur maniement. Sa campagne victorieuse contre la puissante Suède (au prix de bien des sacrifices et des échecs retentissants), hisse la Russie au rang de grande puissance, un pays qui compte enfin en politique étrangère. Cette passion pour la guerre (qui dépasse l’entendement), et qui apporte certes de beaux succès à la Russie, traduit néanmoins un profond désordre mental.

   Henri Troyat analyse l’élévation de Saint-Pétersbourg, ville construite sur des marécages mais surtout, nous avons tendance à l’oublier, sur un véritable charnier. Des milliers de vies humaines sont sacrifiées pour l’édification du rêve du Tsar, qui devient la capitale russe en 1712. Paradoxe d’un souverain qui se moque de faire périr par milliers des ouvriers, mais qui est le premier à venir éteindre les flammes d’un incendie pour sauver les victimes…

  Ce n’est pas la moindre des contradictions dans le caractère de Pierre, qui n’entrevoit la Russie que sous la forme d’une nation, ne se souciant pas des individus au cas par cas.

 

Un personnage fascinant

Portrait de Pierre le Grand réalisé au XIXème siècle par Paul Delaroche - Musée d'art de Hambourg
Portrait de Pierre le Grand réalisé au XIXème siècle par Paul Delaroche – Musée d’art de Hambourg

   Henri Troyat brosse un portrait particulièrement complet de Pierre Ier. Ses vêtements d’une grande simplicité, ses habitudes de repas frugales, ses activités favorites, ses réparties acerbes, son tempérament de soudard cruel capable de se métamorphoser en grand chef d’Etat, son tempérament insaisissable, son physique de colosse… Quel personnage fascinant que Pierre le Grand !

   Il fait souvent preuve d’une excentricité qui frise parfois la folie. Mal dégrossi, capricieux, instable, il peut se montrer violent et même sanguinaire, capable des pires cruautés.

   Un goût du sang loin d’être pervers mais qui fait froid dans le dos, qui surprend et choque, même les Cours étrangères contemporaines. Pierre se délecte de toute forme de supplice : il n’hésite pas à appliquer lui-même la torture aux condamnés, et même à son propre fils ! Les 50 pages dédiées au Tsarevitch Alexis, ses rapports orageux avec son père et sa fin tragique composent un sujet extrêmement bien traité…

   Ce rustre est pourtant capable d’un grand discernement. Soucieux par-dessus tout de la modernisation de la Russie, cette force de la nature est désireuse de tout faire et tout connaître, forcément de manière superficielle. Arracheur de dents, scientifique, charpentier, capitaine de navire, graveur… La liste est longue !

Sa boulimie intellectuelle, faite de fièvre, de caprice et de volonté, s’explique par le retard culturel de la Russie. Il veut devenir à lui seul une encyclopédie vivante pour transmettre sa science toute neuve à ses compatriotes.

   Voilà un ouvrage qui embrasse le règne d’un être bourré de contradictions, sans doute l’une des personnalités les plus extraordinaires de l’Histoire…

 

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Points positifs

 La grande érudition d’Henri Troyat, ses connaissances épatantes sur la Russie.

 La personnalité complexe et la psychologie intéressante du personnage de Pierre le Grand.

 La vie du Tsarevitch Alexis décortiquée, et ses relations avec son père analysées.

 Restitution, sans en occulter les échecs, de la politique de Pierre Ier.

Le soin que prend l’auteur à nous livrer une analyse complète du règne et de ses protagonistes, y compris les femmes !

Points négatifs

 Rien à signaler !

 

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Cet article a 2 commentaires

  1. Daniel

    Henri Troyat, un très grand écrivain, que j’ai beaucoup lu, et bien entendu, son livre sur Pierre le Grand.
    Toujours beaucoup de fonds dans ses livres d’histoire, mais avec une forme admirable, faite à la fois de style et de simplicité.

    1. Plume d'histoire

      C’est en effet un très grand écrivain… Et historien !

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