Pauline, nymphe de Rome
Pauline Bonaparte, sœur préférée de Napoléon, épouse en seconde noce le prince Camille Borghèse en 1803. A vingt-trois ans, elle quitte donc Paris pour Rome, où la famille possède plusieurs somptueuses propriétés : la Villa Borghèse, qui abrite une impressionnante collection d’œuvres d’art, et le palais Borghèse, dans lequel elle réside avec son époux.
Cet Apollon charmant mais peu instruit et peu cultivé, lui apporte, sinon la passion amoureuse qu’elle ira assouvir en entretenant une collection prodigieuse d’amants, le titre de princesse. Pauline devient membre à part entière de l’une des familles les plus anciennes et les plus respectées de la cité pontificale. Ce n’est pas pour lui déplaire !
Égérie de la société parisienne qui célébrait sa grande beauté, ses charmes sont aussi vantés à Rome. Le pauvre Camille, mari trompé s’il en est, est le premier à reconnaître et apprécier les délicieux attraits de sa femme.
Pauline faisait grand cas de son corps souple d’un blanc laiteux, de sa poitrine et de ses hanches, de ses mains et de ses pieds exquis. (…) Elle savait fort bien qu’ils étaient parfaitement du goût de son temps et, très terre à terre, elle en parlait comme des « avantages reçus de la nature »
Rapidement désillusionnée sur un homme qu’elle a pourtant choisi, la jeune femme enchaine les conquêtes. Nymphe à la poitrine menue et au visage sculptural, Pauline promène sa fine silhouette dans les rues de Rome, vivant une existence fantasque qui fait jaser. Mais la sœur de Napoléon n’a que faire du scandale, elle ne va pas tarder à le prouver…
Une princesse immortalisée en Vénus Victorieuse
Pauline et Camille (ce dernier étant décidément fort amoureux de son épouse infidèle), décident ensemble de commander à Canova, l’artiste à la mode, une statue célébrant la beauté de la jeune femme.
Cette commande fut passée d’un commun accord. Ils y tenaient, l’un comme l’autre, et Camille fut heureux de la payer.
Sous quels traits représenter la princesse ? Canova est passé maître dans l’art de traiter les sujets mythologiques, alors quoi de mieux qu’une déesse ? Il songe à Diane, déesse de la chasse. Mais Pauline n’a que faire de cette déesse réputée chaste et pudique. Qui peut, mieux que Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, exalter ses charmes ? Canova cède au caprice de la princesse. Ce sera Vénus. La statue de marbre blanc poli, commencée en 1804, ne sera achevée qu’en 1808. Le modèle en plâtre cependant, est terminé dès juillet 1804, et les curieux ne se privent pas de venir l’admirer.
Un diplomate prussien annonce, concernant Pauline Borghèse : « Canova a fait sa statue ; elle se trouve maintenant en plâtre dans son atelier et est, paraît-il, très ressemblante ». Un contemporain cependant affirme :
La princesse ne possédait pas la majesté conférée par Canova aux traits de la statue. Sa beauté était plus changeante, plus terrestre.
Mais à quoi ressemble donc cette Vénus Victorieuse, La Paolina, comme on l’appelle alors à Rome ? Cette statue grandeur nature présente Pauline vêtue, telle une bacchante, d’un simple drap cachant le bassin et les hanches. Elle dévoile ses jambes élancées et parfaites, ses épaules et ses bras d’albâtre, ses seins menus et ronds ainsi que ses pieds dont elle est si fière. La princesse trône sur un divan, froide et sensuelle à la fois, son bras droit reposant sur des coussins empilés. Soutenant délicatement sa tête d’une main, elle tient, dans l’autre, posée sur sa cuisse, la célèbre pomme permettant d’identifier Vénus.
La légende raconte que le Troyen Pâris, arbitrant un concours de beauté entre Héra, Athéna et Vénus, doit offrir une pomme d’or à celle des trois déesses qui le subjugue. C’est à Vénus que revient le fruit sur lequel est gravé : « à la plus belle de toutes ». Il est certain que Pauline pris un malicieux plaisir à éclipser ses sœurs Elisa et Caroline en célébrant ainsi sa propre beauté !
Objet de scandale
Au cours de l’été 1804, ceux qui découvrent le moulage de plâtre dans l’atelier de Canova sont scandalisés par la nudité de la princesse : le buste, les bras, le ventre, les jambes…
Pauline n’est pourtant pas la première personnalité à exhiber des parties de son anatomie sur une représentation. Un célèbre portrait d’Agnès Sorel par Jean Fouquet dévoile la poitrine de la favorite de Charles VII. Mais Pauline Bonaparte Borghèse n’est pas une courtisane. Elle est princesse, et sœur de Napoléon. Sa beauté est « un sujet de conversation dans les allées du pouvoir ».
Une Reine de France s’est pourtant fait sculptée en Junon, la poitrine dénuée, par Barthélémy Prieur vers 1640 : Marie de Médicis. Mais cette dernière n’avait alors pas posée nue…
Car oui, lors des séances de pose, qui ont lieu au palais Borghèse mais aussi (scandale) dans l’atelier même de l’artiste, Pauline est ravie de poser nue pour donner à la statue le plus de ressemblance possible. Toutes les Cours européennes sont informées des frasques de la jeune femme. Les salons parisiens ne parlent que de cette nouvelle fantaisie de la sœur de l’Empereur. Il est impossible que lui-même n’ait pas été mis au courant, et il n’a certainement pas manqué de faire part de ses impressions à son impossible sœur. Hélas il n’en reste rien !
Mais Pauline ne se soucie pas le moins du monde de sa réputation. A ceux qui sont curieux de savoir comment elle a pu poser ainsi nue pour l’artiste, Pauline répond avec un mélange d’ambiguïté et de mépris, quelque chose de différent à chaque fois : « Tout voile peut choir devant Canova », ou encore « Oh, il y a avait du feu ».
Ce non conformisme de la princesse choque autant qu’il fascine. La statue quitte Rome pour Turin, où elle est exposée au palais Chiablese, résidence du prince Borghèse, et chaque visiteur peut venir admirer à loisir les courbes parfaites du modèle. Après la chute de l’Empire, la Vénus regagne Rome et le palais Borghèse.
Le soir, à la lueur de petits flambeaux, reposant sur son matelas de marbre, le portrait grandeur nature de Pauline prenait des nuances de chair et, de la tête empreinte de gravité jusqu’aux orteils retroussés, sans parler de l’exposition de son derrière, il devint l’un des spectacles incontournables de Rome.
Pauline fait même installer un mécanisme dans un socle peint, qui permet à la statue de tourner sur elle-même devant les admirateurs !
Corps de chair et corps de marbre
La nudité de la statue frise l’indécence. Elle fut créée pour votre plaisir. Maintenant, elle ne remplit plus cette fonction, et il est bon qu’elle demeure cachée aux yeux d’autrui.
Ces phrases, la princesse les écrit à Camille en 1818. Un sursaut de pudeur, notre Pauline ? Pas du tout. Cette volonté subite d’interdire de montrer la statue en public est causée par les ravages du temps.
L’horloge tourne. Le corps de Pauline se transforme. Pas celui de la statue, figé dans le marbre pour l’éternité, mais celui fait de chair et de sang, tourmenté par la situation de la famille Bonaparte, en exil depuis la chute définitif de l’Empire en 1815. Pauline, en effet, se fait beaucoup de souci pour son frère, dont la santé de détériore sur son rocher de Sainte-Hélène.
Elle maigrit, perd confiance en son apparence. Son teint jaunit, conséquence des multiples « fièvres putrides » contractées jadis à Saint-Domingue, alors qu’elle s’y trouvait avec son premier mari, le général Leclerc, et dont elle ne cesse de souffrir depuis.
Elle prend en grippe la statue qui célèbre sa beauté évanouie, ne supportant plus que les visiteurs s’extasient devant cette statue avant de passer dans ses appartements.
Ils viennent ensuite juger des ravages que la douleur fait sur moi… Ce n’est pas assez de donner à Sainte-Hélène le poison de souffrance à mon pauvre frère ; il faut aussi que j’en présente ici l’effet.
Pauline Bonaparte Borghèse décède le 9 juin 1825, d’une tumeur de l’estomac. Depuis 1838 environ, la statue de Canova est de nouveau exposée dans la Villa Borghèse. Pauline, dont la beauté tant célébrée est ainsi immortalisée dans une aguichante perfection, accueille à nouveau les visiteurs, en maîtresse de maison divine et voluptueuse…
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Sources
♦ Pauline Bonaparte : La Vénus de l’Empire, de Flora Fraser
♦ Les soeurs de Napoléon, trois destins italiens, de Maria-Teresa Caracciolo
♦ Pauline Bonaparte : Princesse Borghèse, de Antonio Spinoza
Loved this article!!!
Une très belle histoire!!!!
C’est effectivement une très belle histoire que celle de cette femme libre et indépendante et surtout une très belle statue
Merci
Cette statue incarne la féminité à l’état pur !
Canova… J’adore sa statue de Psyché ranimée par le baiser de l’Amour. Et cette statue de Pauline Buonaparte est splendide. Madame Mère n’a pas dû être très heureuse de voir ainsi sa fille!
Pauline était bien la seule qui finalement avait tous les droits
Encore une très belle histoire…Merci!