Les 11 et 13 février 1903, pour commémorer le bicentenaire de la fondation de Saint-Pétersbourg par Pierre le Grand, deux fastueux bals costumés sont donnés au palais d’Hiver, en souvenir du temps des boyards, les anciens nobles russes.
Les invités du dernier tsar Nicolas II, tenus de se présenter en costumes de l’ancienne Russie, sont parés avec un luxe inouï. Le 11 février, la fête est réservée à la famille impériale, mais elle est renouvelée le 13 : les représentants des pays étrangers et leurs proches ainsi que les plus grandes familles moscovites sont conviés.
Ressuscitant le glorieux passé des Romanov, ce bal du 13 février nous est conté par des témoins contemporains : la princesse Varvara Dolgorouky (filleule du feu tsar Alexandre III) dans ses souvenirs Au temps des troïkas, la princesse Véra Galitzine dans ses Réminiscences d’une princesse émigrée, ou encore l’une des soeurs de Nicolas II, la grande-duchesse Olga.
De nombreuses et splendides photographies, commandées par l’Impératrice Alexandra Feodorovna (Alix de Hesse, petite-fille de la Reine Victoria) immortalisent l’événement, figeant pour l’éternité la dernière grande réjouissance de la Russie Impériale…
Le « gotha » russe en effervescence
Les bals costumés d’époque ne sont pas une nouveauté. Mais le bal donné en février 1903 marque les esprits par sa magnificence, véritable féérie d’un temps révolu. Varvara Dolgorouky raconte :
Les invitations avaient été lancées longtemps à l’avance pour donner le temps de choisir et de préparer robes et habits. Ce fut un grand événement dans la vie de la société de Saint-Pétersbourg comme on n’en avait pas connu depuis très longtemps.
Tout le gotha russe prend très au sérieux la consigne du costume XVIIème siècle : on observe les portraits de l’ascendance Romanov et les gravures anciennes, on se rend dans les galeries de peinture, on visite les expositions consacrées aux étoffes et joyaux de l’ancienne Russie… Tout est bon pour trouver l’inspiration et coller au plus vrai de la réalité.
Les ateliers russes fonctionnent à plein régime : tailleurs, modistes, théâtres… De Moscou arrivent tissus d’or et d’argent, brocarts et somptueux velours vénitiens. A grand renfort de perles, dentelle et broderies anciennes, la couturière moscovite Lamanova, « génie russe de l’élégance », fait des merveilles. Les femmes font dessertir diamants, rubis, saphirs et autres pierres précieuses de leurs parures pour les broder sur des robes de velours.
Arrive enfin le 13 février 1903 : ce soir-là, plusieurs milliers de personnes sont attendues. Près de 3 000 dit-on !
Un luxe à couper le souffle
Vers 20h30, les carrosses tirés par des chevaux caparaçonnés arrivent dans la grande cour du Palais d’Hiver, palais impérial construit à la demande de la tsarine Elisabeth Ière, fille de Pierre le Grand. Par un froid glacial, emmitouflés dans leurs manteaux de fourrure, les invités traversent la cour tapissée de neige et montent les escaliers, escortés par deux rangées de serviteurs habillés en cosaques.
Délaissant leur chaude zibeline, les convives laissent apparaître traines tramées d’or et d’argent, voiles de dentelles, fastueux manteaux brodés, bonnets et couronnes. Tous sont méconnaissables !
Varvara Dolgorouki, émerveillée, décrit le costume national porté par les femmes : des letniks (costume aux manches très longues et très amples, ci-contre) ou des sarafans (robes droites et sans manches), agrémentées de traînes somptueuses portées par des chambellans et des manteaux d’apparat.
Sur la chevelure (cachée pour les femmes mariées, ramassée en deux longues tresses entrelacées de rubans et de perles pour les jeunes filles), est savamment posé le kokoshnik impérial : cette ancienne coiffe russe, en forme de grande auréole, ronde ou encore pointue, étincelante comme une tiare, est « richement brodée d’or et d’argent et sertie de pierres précieuses et joyaux de famille ».
Des vêtements somptueux, lourds et encombrants, souvent portés en Russie avant que Pierre le Grand n’occidentalise les coutumes et n’interdise le costume traditionnel !
Les plus éminentes familles sont présentes, la plupart travesties en couple de boyards : le prince Youssoupov et sa femme, Zénaïde Nikolaïevna Youssoupova, une ballerine très proche de la famille impériale, les princesses Maria Pavlovna Tchavtchavadze et Elisabeth Nikolaïevna Obolenskaïa, le prince Konstantin Alexandrovitch Gortchakov, les comtesses Varvara Pouchkina et Alexandra Tolstaya… La liste n’en finit pas.
Certains costumes se font originaux. La princesse Eléna Kotchoubeï est en noble polonaise de petite Russie, la princesse Olympia Bariatinsky porte un costume de jeune fille du peuple, et la comtesse Woronzow-Daschkow est en femme de Cosaque.
Le tsar, la tsarine et leurs proches en majesté
Des murmures d’admiration accompagnent l’apparition de la famille Impériale. Les grandes-duchesses et les princesses de sang, dont les traînes sont portées par des gentilshommes et des pages, accompagnent les grands-ducs et le couple impérial. La grande-duchesse Olga se souvient :
Nicky (le tsar Nicolas II) était habillé en Alexis, deuxième tsar de la dynastie, dans un costume pourpre orné d’or et d’argent, avec quelques éléments venus du Kremlin. Alix (la tsarine Alexandra) était superbe. Elle était en tsarine Maria Miloslavskaïa, première épouse d’Alexis. Elle portait une robe de brocart d’or brodée avec des fils d’argent et d’émeraude.
Nicolas II a fière allure dans son brocart écarlate brodé de joyaux, la tête ornée de fourrures.
Son épouse, déjà svelte et élancée, paraît plus grande encore avec sa coiffe, une sorte de mitre byzantine conservée au Musée de l’Ermitage avec son costume et ses chaussures. Elle est parée d’impressionnants joyaux puisés dans le Trésor : le plus spectaculaire est sans contexte l’émeraude qu’elle arbore sur son bustier et qui est aujourd’hui conservée au Kremlin.
La tsarine est entourée de ses dames d’honneur et demoiselles de compagnie : les princesses Sofia Ivanovna Orbeliani, Elizabeth Obolenskaïa et Alexandra Lobanov-Rostov, mais aussi la jeune et belle Olga Mikhailovna (ses proches n’auront plus aucune nouvelle après sa disparition en 1917) et surtout l’indispensable Anna Vybourova, seule amie et confidente de l’Impératrice, accompagnée de sa soeur.
Le grand-duc Michel Alexandrovitch, frère de Nicolas II et héritier du trône (jusqu’à la naissance du fils du couple impérial) porte de façon suggestive un costume de tsarévitch du XVIIème siècle (ci-contre)
La jeune sœur de Nicolas II, la grande-duchesse Xénia et son mari, le grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch, sont en femme de boyard et fauconnier.
Sont également présents la grande duchesse Marie Pavlovna, tante de Nicolas II, en épouse de boyard, son fils et cousin de Nicolas II, le grand-duc Alexandre Vladimirovitch en habit de fauconnier.
Le grand-duc Serge Alexandrovitch, autre oncle de Nicolas II, et son épouse (qui s’avère être aussi la sœur de la tsarine), la belle Elisabeth Feodorovna, sont en magnifiques habits princiers.
La grande-duchesse Maria Guéorguievna (née princesse de Grèce) en costume de paysanne, est présente avec son mari le grand-duc Georges Mikhaïlovitch, un autre oncle de Nicolas II. En costume de boyard, les grands-ducs Boris Vladimirovitch, cousin du tsar et Nicolas Nikolaïevitch, encore un autre oncle de Nicolas II ! Oui, la dynastie Romanov fut, jusqu’à présent, très féconde en descendants mâles…
Figure tutélaire comme venue d’un autre âge, l’éternel grand-duc Michel Nikolaïevitch est en costume de chef Cosaque. Cet homme très populaire auprès des Russes a tout de même connu quatre Empereurs : son père Nicolas Ier, puis son frère Alexandre II, son neveu Alexandre III, et enfin Nicolas II !
Que la fête commence !
La salle donnait sur un balcon immense d’où l’on découvrait la magnifique illumination qui embrasait toute la ville. Le Kremlin ruisselait de milliers d’ampoules électriques, le célèbre clocher d’Yvan le Grand paraissait construit en diamants.
Derrière une grille en or, l’orchestre de la Cour du tsar entame une polonaise : le tsar et la tsarine ouvrent la danse, suivis des princes avec les femmes de diplomates, et des ambassadeurs avec les grandes princesses. Les autres restent debout le long des murs, regardant avec émerveillement évoluer les danseurs tout en avalant quelques douceurs.
Après le dîner, pris en musique et dans deux salles séparées (ceux qui ont l’honneur de partager le repas de la famille impériale et les autres) un grand bal est donné. Cotillons, valses, quadrilles, mazurkas et autres danses cosaques exécutées par des cavaliers bottés… Le clou de la soirée est une série de trois danses russes exécutées par vingt-quatre couples triés sur le volet.
C’est la comtesse Betsy Chouvalov, maîtresse de maison incomparable et femme de grand goût, qui avait conçu l’idée de cette danse. Elle avait soigneusement choisi les exécutants parmi les plus gracieuses jeunes filles et les officiers des régiments de la Garde connus comme les danseurs les plus brillants des salons de Saint-Pétersbourg.
Les danses, ouvertes par un jeune lieutenant du régiment des Chevaliers-Garde et la comtesse Nadia Tolstoï, sont un vrai succès : Varvara Dolgorouky raconte que même l’Impératrice, malade, le visage fermé et grave depuis la naissance de sa quatrième fille (on l’accuse de ne pouvoir donner d’héritier aux Romanov, elle est de plus en plus impopulaire) laisse éclore un sourire sur ses lèvres fines.
Comment ces illustres invités auraient-ils pu se douter qu’il s’agissait là du dernier bal donné par les Romanov ? La dynastie, sur le point d’être balayée, brillait de ses derniers feux. La sanglante Révolution russe de 1917 fauchera brutalement la vie de nombreuses personnalités présentes à cet inoubliable bal costumé. « Un glorieux chant du cygne », se souviendra plus tard la grande-duchesse Olga Alexandrovna, sœur de Nicolas II…
Sources
♦ Nicolas II et Alexandra de Russie : une tragédie impériale, de Jean des Cars
♦ L’Histoire fascinante des Romanov, de Marie-Agnès Domin
♦ La saga des Romanov, de Jean des Cars
Les grands s’amusaient et la plupart du peuple russe crevait de faim ! La révolution a été le produit naturel de l’incompétence du tsar et des nobles. Et penser que ces « bals costumés » se répetent encore aujourd’hui dans presque tout le monde!
L’Impératrice Douairière Maria Feodorovna et quatre grands-ducs on decliné a aller au bal costumé, comme le Grand Duc Nicolas Mikhailovitch. La Tsarine mère a dit a son fils l’Empereur que le bal c’est pas de bon goût, parce que la situation sociale en Russie a été très mauvaise.
Nicolas II et son épouse n’en sont plus à une faute près !
Bonjour, j’ai une profonde empathie pour Nicolas et sa famille ; merci
C’est tellement tragique… Le couple a quand même sa part de responsabilité.
il n’y avait pas lus de pauvrete en russie qu’en france madame
Vous êtes Historienne, Madame ?
Y étiez-vous ? Contre nous la Russie, en citant vos sources, merci.
Mes sources sont toujours listées en fin d’article !
Tragédie pour les vrais Russes, oui mais mais pas pour La maison Romanov (Holstein-Gottorp-Romanov à partir de 1762) est la dynastie qui régna sur la Russie depuis l’élection le 21 février 1613 de Michel Ier.
C’est en effet le Bal « Masqué » prémonitoire (?? ou planifier) de la fin d’une époque ( comme pour les Boyards avec arrivé de Romanov ).