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La Castiglione, Vies et métamorphoses – Nicole G. Albert

   La vie de Virginia Oldoïni, plus connue sous le nom de comtesse de Castiglione, est presque devenue un mythe. Si elle ne fut qu’une maîtresse passagère de Napoléon III, elle laissa en revanche une empreinte ineffaçable dans l’Histoire, par sa personnalité exceptionnelle et ses extravagances. Les historiens ont habituellement du mal à cerner la belle comtesse, tout comme elle déconcerta la plupart de ses contemporains.

   Nicole G. Albert s’attache à restituer au mieux toutes les facettes de la personnalité déroutante de cette femme imprévisible. Pleine de contradictions, indépendante, aventurière, mais aussi profondément neurasthénique, elle fut surtout précurseur de l’art dans la photographie. La fin de vie sa vie, dramatique, entretient toujours le mystère de son existence.

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La force de la beauté

   Toute jeune déjà, Virginia Oldoïni, issue d’une famille bien née, manifeste cette conscience de sa beauté, de son charme particulier, qui la place au-dessus de toutes les autres femmes. Orgueilleuse, elle ne se satisfait pas longtemps du mari qu’elle s’est pourtant choisi, le comte de Castiglione, et rapidement leurs rapports tournent à l’orage. Elle gardera des liens avec son fils unique, mais n’éprouvera jamais de véritable amour maternel pour cet enfant. Mère plutôt sèche, elle se fait une idée peu tendre de l’enfance, et l’auteur s’attarde sur les préceptes particulièrement sévères de la Castiglione en matière d’éducation.

   C’est véritablement sa beauté qui la lance dans le monde, qui force son destin. Le goût de l’Empereur des Français pour les belles femmes étant de notoriété publique, elle est choisie par Cavour, ministre du Roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel, pour infléchir la politique de Napoléon III en faveur de la liberté italienne. Elle se présente donc à Paris secrètement porteuse d’une délicate mission politique et diplomatique. L’auteur, sans chercher à dénigrer toute influence de la comtesse, montre bien que ce n’est aucunement sur son intervention que Napoléon III se décide à passer à l’action. Et en effet, c’est plutôt l’attentat d’Orsini, survenu en janvier 1858, qui emporte définitivement l’adhésion de l’Empereur à cette politique active en faveur de l’Italie. (Découvrez ma critique de la biographie de Napoléon III par Eric AnceauNapoléon III ne se laissait nullement manipuler par les femmes dès qu’il s’agissait de politique. Il eut un jour ces mots :

Comme les esprits s’échauffent sur l’influence que l’on suppose aux femmes. (…) Cette influence ne dépasse pas la ceinture.

   Pour Virginia, il est certain en tout cas que son arrivée à Paris marque le début de cette existence mouvementée qui restera dans l’Histoire. Non seulement elle fait ses premiers pas dans la société impériale, mais elle fait aussi ses premiers essais dans l’atelier du photographe Pierson.

"Béatrice", une photographie toute en subtilités et en jeux de lumières - 1860's, Pierson
« Béatrice », une photographie toute en subtilités et en jeux de lumières – 1860’s, Pierson

 

L’étoile filante des Tuileries

   Dès ses débuts aux Tuileries, elle manifeste déjà cette volonté de se démarquer de toutes les autres femmes. Par sa toilette, par sa coiffure, par ses origines et son caractère, elle ne laisse personne indifférent. Elle exacerbe la curiosité des uns, la malveillance des autres, le désir de beaucoup d’hommes et la jalousie de toutes les femmes.

   La Cour du Second Empire est un univers fait de luxe et de profusion, mais aussi parfaitement impitoyable. La Castiglione ne sera en effet qu’une étoile filante parmi tous les astres qui gravitent aux Tuileries, tout comme elle ne sera qu’une maîtresse éphémère de Napoléon III : leur liaison s’étalera sur un peu plus d’une année. Ensuite, ce ne seront plus que des apparitions, avant la claustration et la folie.

   Nicole G. Albert régale son lecteur de descriptions fabuleuses sur la mode sous le Second Empire. C’est une immersion complète au cœur des secrets de beauté des femmes à une époque faite de contrastes, de disproportion et d’excès. L’auteur tourne souvent en dérision le style Second Empire, qu’elle décrit comme ridicule dans ses excès. C’est vrai. Mais n’oublions pas, chaque mode a ses excès, ils en sont l’essence même ! Coiffures d’une hauteur vertigineuse sous Marie-Antoinette, fantaisie voulant que les femmes s’épilent les cheveux du front sous Agnès Sorel…

Virginia est une jeune femme qui intrigue son entourage, que l’on craint et que l’on admire, parce qu’elle vit au delà des conventions. Elle étonne, elle surprend par son audace. On la critique parfois parce qu’on la méprise, surtout parce qu’on l’envie :

La Castiglione a surgi tel un diable sur la scène mondaine où elle apporte un parfum de nouveauté, des manières inhabituelles qui choquent et séduisent à la fois.

Elle est, à proprement parler, une apparition, sans origine, sans destination. Son tempérament fantasque et imprévisible se combine avec une certaine mélancolie.

   Je ne résiste pas à vous faire partager un autre extrait, infime aperçu de tout ce que cette biographie présente sur les tenues, les coiffures et les habitudes de la Castiglione :

Elle emprunte aux astres et au firmament les teintes et l’éclat de ses robes qui toujours surprennent par leur originalité comme si elle les sortait d’une malle enchantée. Elle leur consacre des après-midi entiers pour un triomphe d’une heure ou deux, laissant courir son imagination, tâtant les étoffes, mêlant hardiment les couleurs (…), se drapant dans des métrages de tissus pour juger du tomber et de l’effet, s’asseyant à sa coiffeuse tandis que la camériste, obéissant à ses instructions, coiffe, décoiffe, dénoue les grosses nattes qu’elle aime échafauder en couronne sur sa tête, comme l’Impératrice Elisabeth d’Autriche, sans se soucier des diktats de la mode qui préconise la raie et les bandeaux lisses ; elle crêpe et tresse l’abondante chevelure, y sème les poudres, y dispose les perles, y fiche les plumes et les aigrettes.

"L'Algérienne", une photographie où la comtesse apparaît sauvage, le drapé de l'étoffe laisse deviner la nudité du modèle - 1860's Pierson
« L’Algérienne », une photographie où la comtesse apparaît sauvage, le drapé de l’étoffe laisse deviner la nudité du modèle – 1860’s Pierson

 

Précurseur de l’art de la photographie

   Cet ouvrage offre aussi une plongée dans le monde de la photographie, cet art encore balbutiant qui va servir de vie de substitution à la Castiglione. (Découvrez mon article bien illustré : La Castiglione, ses photos : fascination et modernisme)

   C’est une façon pour celle qui a été évincée trop vite de la scène mondaine des Tuileries, d’immortaliser sa beauté céleste, presque sacrée. L’auteur sait capter l’intérêt et l’attention de son lecteur, en analysant avec minutie de nombreuses photos de Virginia, les plus significatives, souvent les plus déconcertantes. Véritable artiste mais aussi actrice, elle est précurseur, à sa manière, de la photographie moderne, presque de la photo de mode. Nicole G. Albert s’attarde sur cette création artistique de la Castiglione, l’œuvre de toute sa vie, qui nous interpelle et nous choque aussi, ces photographies étant les plus fidèles ambassadrices de sa beauté de lionne statufiée, puis de sa déchéance mentale et physique.

La comtesse s’émancipe devant l’objectif, mène une vie parallèle d’héroïne romanesque dans le studio où elle échafaude des microfilms, laisse libre cours à sa fantaisie et à son narcissisme exacerbé mais blessé par sa rapide disgrâce de la cour des Tuileries. Expulsée du monde des vivants, elle descend au royaume des ombres, chassée de la lumière impériale, elle choisit l’obscurité de l’art dont elle règle elle-même les éclairages.

   La photographie occupe donc une place centrale dans l’ouvrage tout comme, reflet de sa personnalité complexe, elle fut pour Virginia une obsession, une illusion tragique, un moyen de figer pour l’éternité des instants d’une vie inventée, grâce à l’objectif de Pierson. Car sa vie, la vraie, fut désespérément vide.

"Epaules nues", 1860's - Pierson
« Epaules nues », 1860’s – Pierson

 

La Divine, mélancolique

La vanité bien connue de Virginia fait partie intégrante de son caractère mais c’est en réalité une femme psychologiquement très fragile, très instable. 

  Toute la vie de la comtesse de Castiglione, profondément mélancolique, sera finalement le drame d’une femme ambitieuse trop vite oubliée. Après avoir goûté à la faveur impériale, sa chute n’en est que plus difficile à avaler. Dès lors, elle se réfugie de plus en plus dans la photographie, et alterne apparitions sulfureuses à la Cour et prostrations qui durent de longues semaines.

   Ses rapports avec ses semblables sont analysés dans toute leur complexité. Narcissique et indifférente, Virginia n’entretient que très peu de relations féminines, qui ne peuvent la souffrir, sauf de rares exceptions. En revanche, la fascination qu’elle exerce sur les hommes est impressionnante. D’autant qu’elle leur rend cette passion de façon fugace, capricieuse, indolente, désintéressée. Jamais un homme ne parvient à la retenir. Elle les aime l’espace de quelques mois, avec sincérité, puis plus rien, la flamme s’éteint et ne se rallume jamais.

   Durant ses dernières années, la comtesse sombre véritablement dans la folie, et l’auteur s’attarde sur cette partie la plus floue et la plus mystérieuse de sa vie. Ce don de la beauté qu’elle possédait au suprême degré, qu’elle voyait se dégrader inéluctablement et qu’elle continua à immortaliser, ne lui apporta ni épanouissement ni bonheur. (voir l’article La Castiglione, ses photos : folie et obsession).

   Je conseille cet ouvrage pour découvrir avec justesse un destin atypique. Le style extrêmement soigné et très recherché de l’auteur, qui joue avec des phrases esthétiques et bien tournées, colle parfaitement au sujet : la beauté, l’art et la mélancolie entremêlés, poussés à leur paroxysme.

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Points positifs

♥ Une analyse pénétrante de l’oeuvre artistique de la Castiglione, en tant que précurseur de l’art de la photographie.

♥ Des descriptions fabuleuses de la mode sous le Second Empire et des tenus extravagantes de la comtesse.

♥ Un examen pertinent de la personnalité de Virginia, caractère difficile et complexe, son orgueil cachant une grande fragilité, la détermination se mêlant à la mélancolie.

♥ Un recours fréquents aux témoignages contemporains et un style particulièrement esthétique.

Points négatifs

♠ Rentre parfois de façon trop approfondie dans les aspects techniques de la photographie, mais voilà qui pourra en passionner certains !

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