Chambord, l’un des plus célèbres châteaux français, est un fleuron du bord de Loire. Il incarne à lui tout seul l’éclat de la Renaissance. Pourtant, sa construction reste enveloppée de mystères. La retracer est moins évident qu’il n’y paraît. Qu’avait en tête François Ier lorsqu’il fit construire Chambord ? Est-il vraiment à l’origine du projet ? Comment se sont déroulés les travaux ? Qui œuvrait sur le chantier ? Et que dire de l’influence de Léonard de Vinci, mort avant le début des travaux ?
Chasse et châteaux
Sensibilisé dès l’enfance à l’art et à l’architecture par sa mère Louise de Savoie, François Ier est un initiateur et un homme de goût qui vit avec son temps, prenant la mesure des bouleversements qu’amène la première Renaissance. Il est le roi de France qui aura fait bâtir et remanier le plus de châteaux : pas moins de 11 rien qu’en Île-de-France et dans le Val-de-Loire !
Incontestablement, il dépense des fortunes pour ses palais : jusqu’à 100 000 livres tournois. Sommes qui paraissent pourtant dérisoires lorsque l’on sait qu’une armée en campagne pendant une année peut coûter 6 millions de livres. En réalité, 1 % seulement du budget de l’État sous François Ier est consacré à la politique architecturale du roi, qui reste pourtant fondamentale dans l’histoire de France.
La passion du monarque pour l’art cynégétique l’entraîne des jours durant au plus profond des forêts. Ses terrains de chasse favoris bordent la Loire, autour des résidences royales où il a passé son enfance. Rapidement, il se met en quête d’un emplacement pour édifier, selon ses termes, « un bel et somptueux édifice ». En 1516, il choisit le lieu-dit de Chambord. Choix qui peut surprendre car le site est marécageux. Mais le site n’est pas vierge : les découvertes archéologiques et les recherches dans les archives révèlent la présence d’un château fort avec au moins deux tours et un pont-levis.
Or, François Ier et sa petite bande baignent dans cette culture médiévale chevaleresque incarnée par les romans de Lancelot du Lac. On imagine aisément le roi, au détour d’une partie de chasse, apercevoir les tours médiévales du vieux château se découper dans la brume… Le monarque porte en lui l’idée du château idéal qui s’inscrira dans la continuité médiévale.
Un caprice ?
Continuité qui ne l’empêche pas de tout faire raser ! La première phase des travaux commence en 1519 et s’étend jusqu’à la défaite de Pavie en 1525. Durant la captivité du roi, le chantier est presque aux arrêts pendant une année et reprend ensuite jusqu’en 1538. Une seconde phase de travaux se déroule de 1538 aux environs de 1550. L’édifice n’est même pas complètement achevé à sa mort. Jamais François Ier n’abandonne la construction. Pourquoi une telle obstination ? Que veut-il faire concrètement de ce palais alors perdu au milieu des marais ?
Chambord n’est pas destiné au séjour d’agrément mais bien, dans un premier temps, aux parties de chasse. François Ier charge ses conseillers de négocier avec les locaux pour agrandir le domaine : de 1 500 hectares il passe rapidement à 2 500 hectares. Le roi décide ensuite de le clore d’un mur pour conserver le gibier. Cette enceinte entoure alors un territoire grand comme Paris intra-muros ! Depuis les terrasses du château, qui offrent une vue somptueuse sur la forêt giboyeuse, le monarque et ses compagnons peuvent regarder courir les cerfs et les sangliers.
Mais pourquoi édifier un édifice aussi monumental si sa fonction doit être celle d’un relai de chasse ? Avec ses 440 pièces, ses 15 escaliers et ses milliers de m2 de combles et de greniers, le palais est surdimensionné. Ses proportions sont absurdes : certaines chambres dépassent les 100m2 et ne sont pas faites pour être occupées. En outre, François Ier ne passe que 62 nuits tout au long de son règne à Chambord. Tout cela ne coïncide pas.
De retour de son année de détention en 1526, François Ier se sédentarise à Fontainebleau, qui devient sa résidence favorite. Il n’a alors plus tellement l’utilité de Chambord. Pourtant il continue à y faire de courtes visites et à donner des directives, modifier, améliorer les plans du château. De brusques changements qui forcent les maçons à des adaptations parfois délicates. Le roi veut manifestement maîtriser la construction et lui impulser ses propres idées…
Comment ce qui devait être un simple château de chasse est-il devenu l’un des plus étonnants et féériques palais français ? Brantôme le qualifie de « miracle du monde » et le diplomate vénitien Giovanni Soranzo considère que c’est un édifice si magnifique que « dans le monde entier il n’y en a pas de plus beau. » Quant au poète Alfred de Vigny, il le qualifie de « songe réalisé. »
C’est que Chambord est en effet à la fois l’aboutissement d’un rêve et la réalisation d’un symbole.
Un mystère d’architectures
« Le plan de Chambord est le plan d’un château français », affirme Eugène Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française. Et de décrire en effet l’habituation seigneuriale au centre, le donjon flanqué de quatre tours aux angles, la cour fermée et la suite de pièces composant les appartements. Il en décrit ensuite l’aspect extérieur :
C’est une multitude de combles coniques et terminés par des lanternes s’élevant sur les tours, des clochetons, d’immenses tuyaux de cheminée richement sculptés et incrustés d’ardoises, une forêt de pointes, de lucarnes de pierre ; rien enfin qui ressemble à la demeure seigneuriale italienne, mais, au contraire, une intention évidente de rappeler le château français muni de ses tours couvertes par des toits aigus, possédant son donjon, sa plate-forme, sa guette, ses escaliers à vis, ses couloirs secrets, ses souterrains et fossés.
Chambord est en fait une demeure paradoxale : marquée par les idées italiennes, elle est en même temps celle qui rappelle le plus la grande architecture princière médiévale que l’on peut admirer dans les riches Heures du duc de Berry. L’ensemble offre une vision presque futuriste du château de la Renaissance, dans une fusion artistique idéale et magnifique.
Chambord unit la puissance de la forteresse médiévale, la magie des miniatures médiévales, la vigueur du gothique flamboyant, la rationalité milanaise et la monumentalité romaine.
Ce sont des ouvriers formés au savoir-faire français qui œuvrent à Chambord, des artisans passés maîtres dans l’art de réinterpréter les modes italiennes. Si les carrés et les disques en ardoise qui couvrent les toits sont typiques des toitures milanaises, comme la Chartreuse de Pavie, le travail avec la pierre de tuffeau, matériau de qualité propre au Val-de-Loire, incarne le talent des sculpteurs locaux.
Fait de symétrie et d’asymétrie, de mélanges de styles et de bizarreries architecturales, Chambord est une énigme. Dès l’entrée, un escalier monumental brouille les perceptions, puis la répétition de formes géométriques semble en contradiction avec l’aspect extérieur du château : les façades ne se ressemblent pas, alternant sans cohérence loggia et fenêtres à meneaux… Le palais est construit d’une multitude d’aberrations, pas forcément visibles au premier regard. De telles anomalies s’expliquent en partie parce que le plan d’origine du château n’a pas été respecté.
Influence de Léonard de Vinci ?
Léonard de Vinci arrive en France en 1516, sur invitation de François Ier. Le maître, déjà âgé de 64 ans, décède trois ans plus tard alors que le chantier de Chambord n’a pas encore commencé. Pourtant, il serait à l’origine de sa construction… Il est certain que le génie de l’homme, qui incarne l’audace italienne, semble combler l’appétit de nouveautés qui dévore François Ier et sa mère Louise de Savoie. Cette-dernière fait d’ailleurs appel à lui pour un projet pharaonique sur sa ville de Romorantin, qui ne verra jamais le jour.
L’énigmatique escalier à double révolution de Chambord fait partie des curiosités du château et vient prouver l’implication de Léonard de Vinci dans le plan primitif du palais. Alfred de Vigny décrit cet escalier en ces termes :
La base de cet étrange monument est comme lui pleine d’élégance et de mystère ; c’est un double escalier qui s’élève en deux spirales entrelacées depuis les fondements les plus lointains de l’édifice jusqu’au-dessus des plus hauts clochers, et se termine par une lanterne ou cabinet à jour, couronnée d’une fleur de lis colossale, aperçue de bien loin ; deux hommes peuvent y monter en même temps sans se voir.
L’escalier est la concrétisation architecturale des études de dynamiques et du mouvement giratoire si chères à Léonard de Vinci. En outre, dans les manuscrits et dessins du maître, on retrouve l’idée d’un escalier avec des montées multiples, à quadruple révolution, placé au centre d’un bâtiment : ce sont exactement les caractéristiques de l’escalier de Chambord, qui vient donner un centre au plan en croix du château.
C’est le triomphe d’une idée sur les besoins réels d’une Cour.
Les projets de Léonard de Vinci, aussi fascinants soient-ils, ne sont pas tous réalisables et ne correspondent pas toujours à ce que recherche exactement François Ier. C’est certainement après la mort de Léonard que les plans sont modifiés, pour construire une œuvre à la gloire du roi : il veut une chapelle, une enceinte basse pour les domestiques et une aile réservée à ses appartements.
L’utopie des débuts impulsée par le maître italien a cédé le pas aux nécessités.
L’escalier à quadruple révolution est bien évidemment abandonné au profit d’un escalier à double révolution, déjà gigantesque. Mais l’idée d’un château fait pour marquer son temps et impressionner n’est pas abandonnée, loin de là.
Chambord est conçu par le roi comme un manifeste. Un discours politique, dynastique, artistique et philosophique. Les messages cachés abondent dans le décor. Si nous avons perdu ce cheminement spécifique de l’esprit à travers l’architecture, les contemporains de François Ier y étaient très sensibles…
Le manifeste de François Ier
Les emblèmes du roi, le F couronné et la salamandre, se répètent en alternance, inlassablement. Dans nul autre château la salamandre n’est aussi visible : elle courre sur les murs et les plafonds, s’incruste au dessus des cheminées. Mais attention, aucune n’est identique ! Tantôt ailée, couverte d’étoiles ou crachant du feu, elle incarne François Ier et raconte une histoire. Son histoire. Tantôt elle représente les vertus du bon gouvernement, tantôt elle reflète les qualités du roi comme l’éloquence.
Une valeur que l’on retrouve partout et qui signifie que le verbe est plus fort que les armes. D’ailleurs, la salamandre est l’animal de la concorde, valeur à nouveau incarnée par le nœud (le chiffre 8) qui symbolise la paix et qui est omniprésent dans le décor.
Les références et messages codés du château, fait pour être montré et commenté, ne s’arrêtent pas là. À l’intérieur, ce sont des couronnes à l’impériale, référence à Charlemagne. Sur les façades extérieures, on peut admirer les couronnes ouvertes, référence à Saint-Louis. Et enfin la couronne au sommet du château, surmontée d’une fleur de lys et sans référence connue, deviendra l’un des symboles de la monarchie française… François Ier, qui accède au pouvoir sans avoir été fils de roi, vient marquer à la fois la rupture et la continuité dynastique de son règne.
Quant à la célèbre lanterne du château, elle s’apparente à une église et recèle une ultime surprise : son escalier ne mène nul part ! Une façon de montrer que le monarque est avant tout un roi chrétien et incarne la monarchie de droit divin.
Chambord est donc avant tout la réalisation de François Ier. Le château est né dans son esprit peuplé de désirs de gloire, d’imaginaire médiéval, façonné par ses goûts artistiques variés et la conscience de son rôle de roi. C’est lui qui tire les ficelles du chantier jusqu’à sa mort.
Chambord fascinera par la suite les romantiques au même titre qu’il nous fascine aujourd’hui. Je laisse le mot la fin à Alfred de Vigny, qui décrit avec une prose délicieuse le château en 1826 dans Cinq-Mars :
À quatre lieux de Blois, à une heure de la Loire, dans une petite vallée fort basse, entre des marais fangeux et un bois de grands chênes, loin de toutes les routes, on rencontre tout à coup un château royal ou plutôt magique. On dirait que, contraint par quelque lampe merveilleuse, un génie de l’Orient l’a enlevé pendant une des mille nuits, et l’a dérobé aux pays du soleil pour le cacher dans ceux du brouillard avec les amours d’un beau prince. Ce palais est enfoui comme un trésor ; mais à ses dômes bleus, à ses élégants minarets, arrondis sur de larges murs ou élancés dans l’air, à ses longues terrasses qui dominent les bois, à ses flèches légères que le vent balance, à ses croissants entrelacés partout sur les colonnades, on se croirait dans les royaumes de Bagdad ou de Cachemire.
Encore un excellent article qui nous révèle bien des choses sur Chambord!
Comme d’habitude les puissants croient tout savoir. Alors qu’il aurait dû laisser s’exécuter le plan de l’architecte (après l’avoir approuvé, ou procéder à des changements après s’être mis d’accord avec lui) François 1er est venu modifier la construction à plusieurs reprises,…pour en faire un château plein d bizarreries.
Mais, après tout, c’est peut-être cela qui fait son charme aujourd’hui…
Je pense en effet que c’est la marque de François Ier qui fait tout le charme du château 🙂
colin valon:Bonjour Marie cet article est tres interessant et complete mes connaissances.Je t avais laisse un mail il y a quelques jours.A plus
Bonjour,
Je découvre avec plaisir votre blog !
CHAMBORD, une merveille d’architecture et un mystère encore aujourd’hui sur bien des points…
j’ai eu le grand plaisir d’y aller plusieurs fois, pour des bals renaissance, dans les années 2000 ….500 à 600 danseurs en costumes autour du grand escalier…et la musique de la Compagnie Outre Mesure……un e belle ambiance « d’époque »
Bonne journée
Merci pour votre commentaire ! Ah les soirées immersives d’époque… C’est formidable !