Une légende persistante veut que Louis XIV n’ait pris qu’un seul bain au cours de sa vie… De nos jours, la Cour du Roi-Soleil est particulièrement décriée pour son hygiène déplorable. Il est vrai qu’au Moyen-Âge, on se lave beaucoup plus souvent que sous l’Ancien-Régime, époque qui semble afficher une régression dans ce domaine. Même si l’hygiène à Versailles nous semble légère, les courtisans sont loin d’être ces monstres de saleté ces personnages crasseux et emperruqués qui se soulagent dans les couloirs et se parfument à l’excès dans le seul but de camoufler leurs odeurs corporelles.
L’eau et la propreté sous Louis XIV
Contrairement à une idée reçue, Versailles dispose d’arrivées d’eau courante dès le règne de Louis XIII, alors que le château n’est encore qu’un modeste relais de chasse. Pour son palais des merveilles, Louis XIV exige tout ce qui est à la pointe de la technologie, y compris en terme d’installations d’hygiène. Il dépense des fortunes colossales pour faire arriver l’eau jusqu’au château : l’eau pour le parc et ses innombrables fontaines, mais aussi pour les usages quotidiens, la nourriture et les ablutions. Le Roi n’oublie pas non plus sa capitale, puisque dans les années 1680/1685, il fait installer onze fontaines permettant aux habitants d’accéder à ce que l’on appelle alors l’eau « bonne à boire ».
Rappelons tout de même qu’à l’époque louis-quatorzienne, la peur de l’eau est très présente : on trouve de nombreux traités mettant en garde contre l’eau qui, en dilatant les pores, pourrait pénétrer à l’intérieur de la peau, contaminer les organes et transmettre des maladies… On préfère donc la toilette sèche : Louis XIV est frotté régulièrement avec une serviette parfumée imbibée d’alcool, qu’un courtisan lui présente religieusement au petit lever et au petit coucher.
En outre, la propreté n’a pas la même signification qu’aujourd’hui. Elle est alors plus proche de la notion de netteté : une apparence propre qui montre que l’on respecte son entourage, un visage, des mains et des pieds impeccables.
Ce qui nous semble peu « hygiénique » de nos jours se veut pourtant à cette époque le must de la bienséance : le monarque et ses courtisans changent de chemise jusqu’à cinq fois dans la journée ! Le peuple, qui ne peut pas se payer ce luxe, se lave donc plus souvent que les courtisans…
On se lave en revanche minutieusement les dents et la bouche : la bonne haleine est un signe de beauté ! Louis XIV par exemple se frotte régulièrement les dents avec un mélange astringent qui est en fait l’ancêtre du dentifrice : racines de bois de rose, de cyprès, du romarin ou du myrte, associés à des pâtes à base d’opium parfumées de plantes aromatiques telles que l’anis, la cannelle, le thym ou la menthe… Certains courtisans persistent cependant à se laver les dents avec du tabac (que l’on croit bourré de vertus désinfectantes !) ou avec de l’essence d’urine, ainsi que le conseille Mme de Sévigné à sa fille… On retiendra la méthode de Louis XIV !
👉 À lire aussi : Le fléau de l’Ancien-Régime, la petite vérole
L’hygiène à Versailles : des couloirs nauséabonds ?
La saleté et la vulgarité supposées des courtisans sont en réalité des exceptions. Si certains grands, comme la princesse de Conti, sont connus pour leur propreté excessive, d’autres se taillent une solide réputation de malpropres peu soucieux de leur apparence. Le duc de Vendôme, petit-fils d’Henri IV, reçoit sur sa chaise percée comme au siècle précédant, puis ses valets vident la bassine et, (sans la laver !), la remplissent d’eau pour procéder au rasage…
Ces comportements sont des exceptions, car ils sont considérés comme très irrespectueux. Ainsi, lorsque François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, est surpris à « pisser par la balustrade » de la chapelle de Versailles, Bontemps, le premier valet de chambre du Roi, est aussitôt prévenu. C’est dire si l’on juge cette attitude inacceptable !
Autre mythe : l’idée reçue que Louis XIV faisait ses besoins en public. Certes, un « brevet d’affaires » donne parfois accès à ce moment très intime de la journée du souverain, mais les invitations sont rares. À partir de 1672, Louis XIV fait installer son « cabinet de la chaise » et s’y retire pour aller seul sur sa chaise de commodité. Les séances publiques disparaissent alors presque complètement.
Versailles est d’ailleurs équipé de près de 350 chaises percées à l’époque du Roi-Soleil : un nombre certes encore insuffisant pour la multitude de courtisans qui arpente chaque jour les couloirs de Versailles, mais qui permet de relativiser la vision cauchemardesque de l’hygiène au château… En réalité, aujourd’hui, plus que l’hygiène des courtisans, ce sont les odeurs émanant du palais qui nous dérangeraient : celles des écuries mêlées aux effluves de nourriture, auxquelles nous ne sommes plus du tout habitués.
Les bains de Louis XIV
Depuis son plus jeune âge, Louis XIV fréquente des établissements de bains, qui s’apparentent plutôt à des lieux de plaisir, où il aime se faire frictionner et parfumer. Mais le Roi-Soleil devient vite très sensibles aux odeurs, qui lui donnent des migraines épouvantables lorsqu’elles sont trop puissantes. Les courtisans le savent. En 1680, à la fin de sa relation avec Madame de Montespan, le monarque n’hésite plus à faire des réflexions à sa maîtresse, qui apprécie les parfums particulièrement forts. Louis XIV finit par les prendre en horreur.
Si la salle de bain à proprement parler n’existe pas encore du temps de Louis XIV, le souverain se baigne souvent. Il prend volontiers des « bains de rivière » en pleine nature, dans la Seine à Saint-Germain. Une habitude contractée dans sa jeunesse et qui le suivra jusqu’à la fin de sa vie. Le Roi aime s’y rafraîchir, l’été, lorsque la chaleur se fait écrasante. L’organisation est minutieuse, comme à chaque déplacement du souverain : tous ses officiers de la garde-robe et de la chambre suivent le monarque et installent une tente dans laquelle il peut se dévêtir puis se rhabiller à son aise.
Louis XIV fait également installer un superbe appartement des bains à Versailles, pour y vivre ses amours avec Madame de Montespan. C’est un lieu de divertissement et de prestige avant tout : dallage de marbres multicolores, fresques, baignoire monumentale alimentée d’eaux parfumées, chambre de repos ornée de colonnes et d’un miroir géant… N’empêche, le Roi se baigne ! À la disgrâce de la Montespan, il se fait aménager un autre appartement des bains au château de Marly, qu’il est en train de faire surgir de terre. Il prend aussi des « bains de chambre », très souvent au retour de la chasse ou après une partie de jeu de paume, ou sur recommandation des médecins.
La démocratisation du bain sous Louis XV et Louis XVI
Au XVIIIe siècle, sous Louis XV, on commence à aménager des salles de bains. Le monarque dispose d’une baignoire pour se laver et d’une autre pour se rincer, ainsi que d’une arrivée d’eau froide et d’une arrivée d’eau chaude, grâce aux cuves et des foyers installés au-dessus de la pièce. Dès qu’il s’installe à Versailles en 1722, Louis XV exige de pouvoir prendre des bains dans une baignoire en cuivre, installée dans une petite pièce fonctionnelle. Le cuivre étant brûlant, il se baigne souvent assis sur une chaise et non immergé.
En 1728, son épouse Marie Leszczynska décide l’agrandissement de ses appartements privés en y adjoignant une pièce intime qui dispose d’une baignoire individuelle amovible. Sous Louis XV, presque chaque membre de la famille royale possède sa propre baignoire, et même la favorite en titre puis amie du Roi, Madame de Pompadour, demande l’installation d’une salle de bain dans ses appartements.
C’est réellement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que le bain se démocratise et que les courtisans se mettent à en prendre eux aussi régulièrement. Sous Louis XVI et Marie-Antoinette, on rejette les perruques, les parfums trop puissants et les valeurs du Grand Siècle. On redécouvre les bienfaits de l’eau, les fragrances légères et délicates. Marie-Antoinette se lave les jambes tous les matins et tous les soirs, et elle aime aussi beaucoup prendre des bains.
La Reine possède une « baignoire sabot à couvercle », que l’on apporte dans sa chambre dès qu’elle le désire. Très pudique, elle se baigne alors vêtue d’une longue robe de flanelle boutonnée jusqu’au cou, et demande encore à ses femmes de tendre un drap, du sol jusqu’au-dessus de sa tête, pour la dissimuler des regards. L’eau est souvent parfumée, à l’amande douce, au lin ou aux racines de guimauves, et Marie-Antoinette aime prendre une tasse de chocolat chaud tout en se prélassant dans son bain.
Sur son exemple et celui du Roi, qui se baigne aussi régulièrement, les courtisans ne font plus les choses à moitié. Princes et princesses, ducs et duchesses, aristocrates qui disposent parfois de gigantesques espaces dans leurs somptueuses résidences, se font aménager de magnifiques salles de bain en marbre et dorures, disposant de baignoires immenses à la pointe de la technologie… Des salles de bain finalement plus riches et plus imposantes qu’à Versailles, où l’espace est très réduit !
Retrouvez cet article considérablement retravaillé et enrichi de nombreuses anecdotes comme l’un des chapitres phares de mon nouveau livre : Anecdotes Insolites de la royauté !
🗝 Votre appétit pour l’Histoire est insatiable ? Comblez-le grâce au Cabinet secret : chaque mois, 4 nouveaux contenus en exclusivité pour les membres (podcast, grand format illustré, vidéo, et des surprises !).
👉 Je découvre les avantages du Cabinet secret
Sources
♦ Vivre à Versailles : Derrière la façade, la vie quotidienne au château de William Ritchey Newton
♦ Louis XIV vérités et légendes de Jean-François Solnon
♦ Canal Académie : À la découverte du château de Versailles, hygiène et confort au château
♦ Communiqué de presse de la Société des Amis de Versailles : La pièce des bains de Marie-Antoinette
Excellent article comme toujours. Votre façon d’écrire est entrainant mais ne manque jamais de sources sures ^^
Merci
Merci pour ce commentaire encourageant 🙂
Très intéressant article, merci !
Merci à vous 🙂
Petite faute de frappe sur l’eau courante à Paris : j’imagine qu’il faut lire 1685 et non 1885… Très bon article bien écrit, bien documenté : bravo !
Ah oui en effet ! C’est gentil de me le souligner, certaines fautes passent à la trappe malgré mes nombreuses relectures 😉
magnifique : on s’y croirait tant votre style est vivant. merci
Merci pour ce compliment !
Un livre dernièrement publié sur l’état de la question peut éventuellement vous intéresser !
– CASTELLUCCIO Stéphane, Eclairage, chauffage et eau sous l’Ancien Régime, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2016, 240 p.
En effet, merci 🙂
C’est toujours un plaisir de lires les us et coutumes du Grand Siècle Français
Excellent article qui vient à l’encontre des idées reçues sur l’hygiène à Versailles!
Dans le film « Que la fête commence » avec Jean Rochefort, on voit un intendant et des serviteurs se promener avec des seaux dans les jardins du château, prêts à les tendre aux gentilshommes présents pour leur permettre de se soulager. Vous n’en parlez pas: fantaisie du scénario du film ou réalité?
Je n’ai lu ce procédé nul part, alors dans le doute, je préfère ne pas en parler 🙂
Juste une petite question, d’où vient le terme Hammam..? Saviez-vous qu’à l’époque ou l’Europe vivait dans l’insalubrité et luttait contre les fléaux de la peste, les musulmans se lavaient et vivaient en bonne santé. Pourquoi n’avez vous pas fait allusion aux bains et aux toilettes Turcs importé en Occident par l’empire Ottoman.. Cela aurait été honnête d’en parler.
Tout simplement parce qu’on ne peut pas penser à parler de tout dans un article 😉
Excellent article. Très bonne historienne. Effectivement, on ne peut pas parler de tout dans un article.
Par exemple, au Moyen-Âge, contrairement aux idées reçues, la propreté était de rigueur. De nombreux manuels sur l’hygiène corporelle de l’époque, qui va du 12ème siècle au 15ème sont à votre disposition à la Bibliothèque Nationale de France, très intéressants à parcourir.
Mariska Khametovich Nureyev
Tellement de sujets à aborder 🙂
Très intéressant ……
Merci !
merci pour cet eclairage qui dissipera à coup sur certains prejugés
vous me faites aimer l’histoire par ces fenêtres de « vie privée » passées ordinairement sous silence. C’est riche d’enseignement. Merci
J’aime ces fenêtres sur l’histoire 🙂
Dans son appartement des bains Louis XIV disposait même d’une petite piscine hexagonale récupérée au XXeme siècle au couvent des Carmélites de Saint Denis. Cette grande vasque faisait en effet partie de la « dot » de Madame Louise-celle des filles de Louis XV qui s' »y était retirée. Elle est visible actuellement dans l’orangerie du château.
Merci pour cette information !
Très bel article et bien écrit
Merci !
Je hâte à te lire. Votre style est incomparable bravoooo!!!
Merci !!
Article très intéressant faut avouer que j’ai été pris a contre pied concernant l’hygiène a cet époque mais la j’y vois plus claire Merci.
Merci à vous !
Super merci pour votre article et merci de dépoussiérer les idées reçues
Merci à vous 🙂
J adore l Histoire de France, et c est toujours agréable de lire vos articles historiques, de vraies pépites!! 😀 Continuez toujours!!
Merci beaucoup
bonjour, je suis enseignante en CP, et je souhaite parler de Versailles et de son Roi à mes élèves. Parmi les thémes que j’ai retenus, il y a bien entendu celui de la propreté. Or, jusqu’à présent, tout ce que j’ai trouvé était trop succint ou inadapté…. Alors un grand merci pour cet article très complet et très interessant. Aussi, je me permets de vous demander si vous n’avez pas sous le coude ( ou la main….) un article sur la vie des enfants à la cour de Louis XIV.
Bonjour, je suis ravie que vous trouviez mon article à votre goût ! Concernant les enfants à la Cour de Louis XIV, je vous conseille le livre de Pascale Mormiche, « L’éducation des princes sous l’Ancien régime ».
Bonsoir merci pour votre commentaire ,
article très instructif qui remet les choses en place
Merci 🙂
L’habit féminin nécessitait pas moins de 25 mètres de tissu avec une traîne dont la longueur variait en fonction de l’importance de celle qui le portait. Les dames devaient passer les portes de profil. Et ne pouvaient guère s’asseoir sur une chaise percée. Elles faisaient…. debout. Les longues heures de protocole debout entraînaient que ces dames faisaient là où elles étaient.
Certes le vêtement féminin est extrêmement handicapant à cette époque et causait aussi de graves problèmes de santé en déformant le corps !
Bonjour
J’aime votre façon d’aborder l’Histoire avec de la « légéreté dans le sérieux » ! En ce temps-là, on allait « à la garde-robe »… une belle exxpression, non ?
Une expression en effet pleine de poésie
Les ouvrages de Simone Bertière, célèbre historienne, parlent de la vie quotidienne au sein des familles royales. Ils sont détaillés et passionnants.
Le livre de Françoise de Chandernagor intitulé « L’Allée du Roy », (très bien adapté pour la télévision en deux versions, courte ou longue) pourrait aussi vous intéresser.
Philippe Ariès a écrit un livre concernant ce sujet :
« L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. »
Cordialement
Simone Bertière, la première historienne de ma bibliothèque ! Celle qui m’a donné le goût de l’Histoire !
Viendrez-vous au Québec nous entretenir d’histoire?
Oh j’aimerais beaucoup un jour !!!
Vos articles sont très bien documentés. Cela doit vous demander un énorme travail ! Concernant le peuple, dans l’Ancien Régime, non seulement il se lave, mais il change régulièrement de chemise. La chemise est le premier linge que l’on porte. Les semainiers, sont des meubles où l’on dispose du linge pour chacun des jours de la semaine. La chemise est un élément très important dans toutes les couches de la société. Chez le peuple, elle est plus rustique, et dans l’aristocratie plus fine, tellement que l’on fait des crevés dans les vêtements pour afficher sa finesse, et on lui ajoute des passements, de la dentelle qui se mue par la suite en collerettes, jabots, etc. La blancheur du linge de corps (de la chemise) est donc un signe d’hygiène aussi.
Merci pour votre messages et pour votre précision sur l’utilité des chemises et son côté esthétique Et oui bien sûr c’est du travail mais je suis très heureuse de le réaliser
Merçi pour cette article qui évince des legendes parfois tenace
J’aime beaucoup faire des recherches pour remettre un peu les pendules à l’heure
Heureuse d’avoir lu cet article. Et moi qui croyais, pour l’avoir entendu dire, que Marie-Antoinette avait déclaré : « Je me lave une fois tous les trois mois, que cela soit nécessaire ou pas »… Finalement, je réalise que j’étais complètement à côté de la plaque !
🙂
Et qu’en est-il de Napoléon, qui aurait dit à Joséphine : « Ne te lave pas, j’arrive ! » ? (Bon, on n’est plus à Versailles, mais n’empêche, je suis curieuse : est-ce un apocryphe également ?)
J’ai TOUJOURS pensé que c’etait un mythe sur le Versailles malsaine, je sais aussi que l’hygiéne a l’epoque etait plus biologique qu’aujourd’hui et la nourriture aussi c’est mon avis
Tout à fait intéressant . Ils ne disposaient pas des technologies facilitant l’accès à l’eau et savaient aussi l’économiser; notion fondamentale que nous avons oublié aujourd’hui et qui fait des ravages …
Oui vous avez raison !
Je suis professeur d’histoire en Belgique et il me semble que vous n’êtes pas très honnête sur cet article…
L’occident a importé l’hygiène au sens propre via l’empire ottoman.
En quoi ne suis-je pas honnête ?