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Le Roi Jérôme – Jacques-Olivier Boudon

 Aucun biographe (ou si peu) ne s’est penché sur le personnage de Jérôme Bonaparte, devenu souverain, en 1807, de ce curieux royaume de Westphalie.

   Le mérite de tout ce que nous savons sur le plus jeune frère de Napoléon revient aux mémorialistes de tous bords, pas forcément fiables, qui nous présentent le roi Jérôme sous les traits d’un débauché trompant sa femme sans état d’âme, dilapidant sans compter son argent, un homme jouisseur, prétentieux, hautain et orgueilleux.

Qui fut Jérôme, dont l’appartenance à la fratrie Bonaparte le prédisposait à un glorieux destin ? Jacques-Olivier Boudon, un spécialiste de l’Empire, s’attaque à cette figure atypique et méconnue, par delà les clichés dans sa biographie du roi Jérôme.

Procurez vous « Le roi Jérôme » par Jacques-Olivier Boudon

Détail d'un portrait équestre de Jérôme Bonaparte, peint par Jean Gros vers 1808
Détail d’un portrait équestre de Jérôme Bonaparte, peint par Jean Gros vers 1808

Jérôme Bonaparte : une jeunesse mouvementée

   Dès les premières pages de l’ouvrage, le lecteur fait la connaissance d’un jeune garçon turbulent, volontiers autoritaire, que les études n’attirent pas le moins du monde et qui souhaite par dessus tout profiter de la vie. Il convient de se souvenir qu’il est encore très jeune lorsque la gloire rejaillit sur sa famille : les années difficiles, il les a peu connues et en a moins souffert que ses frères et sœurs. Son éducation s’en trouve hachée, et ses pensées voguent vers la capitale, où tout se joue, où toutes les fêtes se donnent, où ses frères évoluent dans la sphère du pouvoir et s’affichent de plus en plus dans les cercles mondains.

   Pour contenir ce caractère turbulent et (déjà !) dépensier, Napoléon l’envoie parcourir les mers. Une formation qu’il espère salutaire. Et quelle épopée, en effet ! Elle témoigne du goût déjà immodéré de Jérôme pour les plaisirs de la vie.

   Le séjour de deux ans du jeune homme aux Etats-Unis, est l’occasion pour l’auteur l’occasion d’offrir à son lecteur un dépaysement bienvenu. Le bref historique de ce pays en construction, en plein essor, est très plaisant. Nous découvrons la femme par qui le scandale s’abat sur Jérôme Bonaparte : Elizabeth Petterson, cette belle américaine de Baltimore qui sera son seul véritable amour. Les chapitres sont émaillés de lettres que Napoléon adresse aussi bien à sa famille qu’à ses ministres ou ses généraux, et qui montrent bien comment celui-ci conçoit les relations avec ses frères, et ce qu’ils risquent en lui désobéissant… Jérôme n’y manque pas, en épousant cette américaine sans le consentement de son aîné !

   Jérôme est encore jeune lorsque démarre la campagne de Silésie. Celle-ci est décrite avec tant de détails concernant les manœuvres militaires, les effectifs, le passé des généraux, les différentes divisions en actions, que ces chapitres  pourront en décourager certains (il en va de même lorsque l’auteur explique le fonctionnement administratif de la Westphalie). Tout est intéressant, mais tellement riche et détaillé que parfois quelque peu indigeste pour les non-spécialistes.

Jérôme Bonaparte, Roi de Westphalie, par François-Joseph Kinson
Jérôme Bonaparte, Roi de Westphalie, par François-Joseph Kinson

Jérôme, roi de Westphalie

Les chapitres relatant les négociations autour du mariage du prince Jérôme et de la princesse Catherine de Wurtemberg, ainsi que la naissance du royaume de Westphalie sont autant d’occasions d’aborder la toute puissance de Napoléon. Il peut se permettre de remanier des Etats à sa guise, d’en créer de nouveaux selon sa convenance, selon sa vision politique du monde et de la place que devait y occuper la France. En hissant sur des trônes les individus gravitant autour de sa personne, se servant d’eux pour s’intégrer aux familles royales, il consacre une brillante politique matrimoniale.

   Le royaume de Westphalie, son fonctionnement et la façon dont Jérôme s’attèle à sa nouvelle tâche est une partie essentielle de l’ouvrage. Son pouvoir est finalement limité, et il doit obéir à Napoléon sous peine de se voir sermonner. Et Napoléon, quand bien même Jérôme soit un membre de sa famille, ne prend jamais de pincettes pour lui faire savoir le fond de sa pensée ! La condescendance avec laquelle l’Empereur s’adresse à son frère transparaît très souvent dans le courrier qu’ils entretiennent presque quotidiennement. Il ne cesse de se montrer mécontent de ses actes et de ses paroles, le mépris même perce parfois. C’est surtout l’irritation qui ressort, la déception de Napoléon : il s’aperçoit que son frère ne possède nullement les mêmes capacités militaires ou diplomatiques que lui. Il est vrai que Jérôme commet parfois des fautes, des inconséquences de débutant. Ce qu’il est !

   Pourtant Jérôme y met de la bonne volonté, et c’est avec dépit et même avec colère qu’il subit le rattachement du Hanovre (la plus riche province de son royaume) à l’Empire. Pourtant, il continue à manifester une volonté indéfectible à servir l’Empereur, à suivre ses instructions, malgré une certaine amertume relevant de son incapacité à pouvoir prendre lui-même les décisions importante pour son royaume. Au fil des années, des mois même, il se glisse dans le rôle de souverain « fantoche », ce qui l’exaspère. Mais il demeure fidèle à Napoléon jusqu’au bout, conscient, à l’image de sa sœur Elisa, qu’il lui doit tout, ou presque. Cependant, il n’est pas le seul à ressentir parfois cruellement le joug de Napoléon. Il en va de même pour Joseph en Espagne, Elisa en Toscane, Louis en Hollande, Caroline à Naples…

   En revanche, certaines informations font défauts. La politique et la diplomatie, le fonctionnement des institutions tiennent une telle place dans l’ouvrage, que l’auteur néglige d’autres dimensions du règne. Le couple royal était-il apprécié de ses sujets ? Quels liens s’étaient tissés entre le peuple de Westphalie, hétéroclite, et le jeune couple souverain ? De même, la description des résidences royales est très succincte. J’aurais aimé en savoir plus sur la disposition des pièces, des jardins, du mobilier, les embellissements réalisés par Jérôme et Catherine, leurs habitudes…

Détail d'un portrait équestre de Catherine de Wurtemberg, épouse de Jérôme, par Jean Gros
Détail d’un portrait équestre de Catherine de Wurtemberg, épouse de Jérôme, par Jean Gros

Le Roi Jérôme et sa famille

Cet ouvrage, pourtant imposant, manque d’analyse sur la personnalité de Jérôme. L’auteur passe bien vite sur ses maîtresses, sur ses aventures. J’aurais apprécié un examen plus approfondi des rapports qu’entretenaient Jérôme et sa femme Catherine. Ont-ils des activités communes, mis à part les bals, cérémonies et autres grands divertissements de Cour ? Et Catherine, à quoi occupe-t-elle son temps libre ? N’a-t-elle vraiment eut aucun rôle politique ? Est-ce parce qu’il était jaloux du peu de pouvoir qui lui était accordé que Jérôme tenait sa femme dans l’ignorance des affaires publiques ou parce qu’elle-même ne cherchait absolument pas à occuper une place à part entière dans ce domaine ? En revanche l’ouvrage démontre bien l’énergie dont sait faire preuve Catherine, pour le salut de son couple, lorsque tout s’écroule autour d’eux comme un château de cartes.

   Un gros regret : nous ne savons absolument pas quelle mère fut Catherine en refermant cet ouvrage. Le couple ayant été stérile de nombreuses années, le sujet est, pour moi, à aborder absolument. Seule une citation de la princesse Mathilde (seule fille du couple) nous met l’eau à la bouche en suggérant qu’elle ne fut pas une mère très présente. Elle parle de sa nourrice : « Je l’ai aimée mieux que ma mère, que je connaissais peu ».

   La correspondance abondante entre Jérôme et Napoléon est exploitée à la perfection. En revanche, peu d’informations sur les relations que Jérôme entretient avec les autres membres de sa famille, hormis quelques lettres, notamment à sa sœur Elisa. Qu’en est-il des autres ? (Découvrez la vie de Pauline Bonaparte, la soeur de Jérôme, une beauté scandaleuse)

   Autre chose m’a frappé durant ma lecture, l’indifférence avec laquelle l’auteur nous apprend la mort de Catherine, puis la mort du fils aîné de Jérôme. Nous ne savons rien des sentiments qui habitèrent le frère de l’Empereur au moment de ces drames, ni les circonstances exactes de leurs derniers instants. De même, l’auteur insiste tout au long de l’ouvrage sur les rapports étroits entre Jérôme et sa sœur aînée Elisa, de qui il se sentait très proche. C’est exact, mais alors pourquoi ne pas mentionner sa mort, sachant qu’il était à ses côtés lorsque l’ex Grande-Duchesse de Toscane rendit son dernier soupir ?

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Le dernier frère survivant de Napoléon

Jérôme Bonaparte, Maréchal de France sous le Second Empire, photographié par Pierson
Jérôme Bonaparte, Maréchal de France sous le Second Empire, photographié par Pierson

   L’exil, très long, de Jérôme Bonaparte et de sa famille est très bien reconstitué. Le caractère dépensier de Jérôme devient très frappant : éternel solliciteur, auprès de ses frères et sœurs notamment, il est toujours à court d’argent car il dépense allègrement. Cette situation n’a pas semblé préoccuper Catherine, probablement car née véritable princesse, elle a été, dès sa naissance, habituée à ne manquer de rien.

   Sous le Second Empire, nous suivons les tentatives malheureuses de Jérôme, qui s’évertue à se tailler une place au sein du régime de son neveu Napoléon III. La distance qui s’installe entre le père et la fille, qui ne manque pas de surprendre, ne l’y aide pas. Il est vrai que la personnalité de Mathilde Bonaparte différait en bien des points de celle de son père. Contrairement à lui, elle sait se forger un rôle de premier plan sous le règne de son cousin (je conseille le très bon ouvrage de Jean des Cars sur la vie de cette princesse : La princesse mathilde – l’amour, la gloire et les arts)

   Une contradiction dans le caractère de Jérôme étonne : âme à la fois extrêmement sensible et généreuse, il est capable de s’entêter de façon absurde concernant tout ce qui touche à l’argent, allant jusqu’à se brouiller avec ses frères et sœurs et mêmes avec ses propres enfants. En revanche, à travers les yeux de Jérôme, c’est un regard riche d’informations sur le Second Empire qui s’offre au lecteur. Dernier frère survivant de Napoléon, il est le seul à vivre le retour des Bonaparte au pouvoir, véritable revanche sur la vie !

   En conclusion, l’auteur réhabilite Jérôme, en insistant notamment sur son rôle dans l’élaboration de réformes politiques et administratives, ainsi que, curieusement, sur son influence dans la vie culturelle et artistique de son royaume. Artistique et culturelle ? Ces derniers points n’apparaissent pas dans la biographie !

   Dans l’ensemble la lecture est agréable, malgré quelques répétitions. La très grande érudition de Jacques-Olivier Boudon se ressent. Je recommande cet ouvrage à tous ceux qui s’intéressent au XIXème siècle !

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Points positifs

♥ La découverte d’une Amérique en construction au travers les escapades de Jérôme, chapitre dépaysant.

♥ L’auteur déchiffre dans le détail le fonctionnement de ce royaume de Westphalie, complexe et surprenant.

♥ Une exploitation judicieuse de la correspondance entre Napoléon et son jeune frère, riche d’informations.

♥ Un bon examen du comportement de Jérôme en tant que souverain de Westphalie, sa façon de gouverner, son irritation croissante face à la tutelle de Napoléon.

Points négatifs

♠ Des omissions importantes concernant la vie intime de Jérôme, et du personnage de sa femme, Catherine de Wurtemberg.

♠ Des énumérations parfois un peu longues, au détriment de l’analyse.

♠ Le mécénat artistique et culturel de Jérôme laissé de côté.

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Cette publication a un commentaire

  1. Athenais

    Il n’y a pas que le personnage de Catherine de Wurtemberg qui manque , Jérôme s’est marié une première fois avec une américaine, on ne sait pas ce qu’elle est devenue (divorce, mort ), s’ils ont eu de enfants ensemble etc …

    En tout cas à part Napoléon, les autres frères n’ont eu un destin que grâce à lui mais aucun n’a brillé par lui-même …

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