[usr=6] Coup de ♥
Procurez vous Juger la Reine, d’Emmanuel de Waresquiel !
Le procès de Marie-Antoinette, qui se déroule les 14 et 15 octobre 1793, est un moment charnière dans l’histoire de France. Il représente le point d’orgue de la Révolution dans son opposition à la Monarchie. Cependant, Emmanuel de Waresquiel démontre que loin d’être l’apogée de cette période, il en est au contraire le chant du cygne. Victime, témoins, juges ou jurés, tous finissent broyés par l’engrenage infernal de cette machine impitoyable.
L’héroïne
À ces révolutionnaires qui considèrent le meurtre de la reine comme l’accomplissement de leur devoir de citoyen, l’histoire opposera une fin de non recevoir. On reprochera pour toujours cette barbarie inutile à la Révolution. Ce n’est pas l’image de la harpie débauchée et traîtresse, enfin humiliée et châtiée, qui s’imposera. Tous se souviendront de Marie-Antoinette dans ses années de splendeur, ses robes luxueuses, son charme aérien, son sourire ravageur.
Ce sourire avait été pour toute une génération une promesse de bonheur. Une invitation. Comme le reflet fragile de cette douceur de vivre dont parle si bien Talleyrand à propos des dernières années de leur jeunesse. C’est cela qu’ils reprochent à la Révolution. En tuant Marie-Antoinette, elle a tué la jeunesse et la beauté.
L’auteur offre une relecture intéressante de la personnalité de Marie-Antoinette. Il la présente non pas comme une écervelée mais comme une femme qui manque cruellement de confiance en elle. Elle fuit Versailles pour Trianon, se fuyant elle-même en s’étourdissant de plaisirs, se protégeant derrière une carapace de Reine de la mode. Puis, tandis que son mari perd pied, Marie-Antoinette se trouve enfin dans l’adversité.
Cette fuite, cette volonté d’entretenir un cercle d’intimes, prête le flanc aux critiques et constitue son plus grand crime aux yeux des révolutionnaires. Une vie secrète est forcément une vie licencieuse ! Et comme les femmes adultères sont des femmes dépensières, on peut être sûr qu’elle a dilapidé les caisses de l’État ! Le plus grand défaut de Marie-Antoinette, est d’être une femme moderne, dont les aspirations ne correspondent pas à ce que l’on attend d’une Reine au XVIIIème siècle.
Sans occulter les défauts de cette femme au destin hors du commun, Emmanuel de Waresquiel en réfute certains et met l’accent sur plusieurs qualités admirables : une grande lucidité (certes à contretemps) qui déserte Louis XVI, un immense courage qui lui donne la force de supporter les pires infamies (notamment l’accusation invraisemblable d’inceste avec son fils) et un sens de l’honneur, qui l’a toujours habitée, et se déploie en ces heures dramatiques dans toute sa puissance.
L’auteur rappelle aussi son grand amour des enfants, à commencer par les siens, mais aussi ceux de ses domestiques, qu’elle gâte et câline. Cette femme digne et profondément gentille sait susciter parmi ses plus proches serviteurs une loyauté et une fidélité qui en conduit beaucoup à risquer (et à payer) leur vie pour tenter de l’arracher aux griffes des révolutionnaires. Certains vont jusqu’à orchestrer des tentatives d’enlèvement rocambolesques. En fouillant dans les archives, l’auteur fait à ce sujet des découvertes passionnantes…
La scène du crime et les bourreaux
Par ses descriptions minutieuses et détaillées, l’auteur nous plonge dans l’ambiance feutrée de ce huit clos. Le lecteur a l’impression saisissante de se tenir au milieu du tribunal et d’assister au procès en même temps que les protagonistes.
Tout en retraçant le parcours de l’archiduchesse, Dauphine puis Reine, l’auteur s’interroge. Qu’a-t-elle vécu dans sa cellule de la conciergerie, cette « antichambre de la mort » ? À quoi ressemble Marie-Antoinette au moment du procès ? Où est placé le fauteuil de l’accusée ? Qui lui fait face ? Qu’a-t-elle pu ressentir ? Qui a-t-elle reconnu ? Pour répondre à ces questions difficiles, il interroge les archives les plus fiables, remontant aux sources. Les quelques lignes sur le dernier portrait connu de la Reine sont passionnantes.
Chose qu’aucun biographe de Marie-Antoinette ne prend jamais la peine de faire : s’intéresser au profil de chacun des jurés, et non pas seulement de l’accusateur public tragiquement connu. Si Fouquier-Tinville ne peut échapper à un portrait au vitriol, le lecteur fait connaissance avec d’innombrables personnages secondaires mais essentiels, notamment les juges.
Certains suscitent notre pitié par leur bêtise ou leur faiblesse, d’autres vont si loin dans l’absurde, l’injure et la bassesse que l’incompréhension nous saisit. Parmi eux, Hébert remporte la palme de la violence gratuite.
Chacun de ses articles est un appel au meurtre. On se lasserait à les citer tous. Quelques lignes suffisent. La Reine déchue y est montrée tour à tour enjôleuse, fourbe, violente et lâche. C’est dessiner par petites touches son portrait en creux, noir et grinçant. On y retrouve tous les poncifs masculins sur la femme dominatrice, subversive et dangereuse telle que la Révolution voulait la voir.
Que reproche-t-on réellement à Marie-Antoinette ? Rencontre tragique entre deux mondes incapables de cohabiter et de se comprendre, ce procès en comprend en réalité trois. C’est bien sûr la Reine que l’on juge, mais aussi la femme, et la mère.
L’auteur développe sa pensée point par point et, tout en restant au plus près de la réalité historique, il montre bien la déchéance pleine et entière de cette femme malade que l’on cherche à humilier jusqu’au bout. Elle est seule face à ces hommes aveuglés par une puissance nouvellement acquise, celle qui grise et qui rend sourd, celle des rôles inversés.
Le dénouement : une tragédie grecque
Ce qui frappe dans cette histoire, c’est la haine implacable et disproportionnée dont Marie-Antoinette est victime.
Jamais aucune femme, à aucune époque, n’a été poursuivie par autant de haine. On hait tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle touche.
Une haine qui prend racine dans la misogynie bien palpable de la Révolution, et une hostilité instinctive pour tout ce qui est étranger, pour « l’Autrichienne » que l’on rend responsable de tous les maux du royaume. Comme l’exprime si bien l’auteur, « Louis XVI n’avait que le tort d’incarner la Monarchie, la reine en personnifie le crime ».
Emmanuel de Waresquiel rapproche le procès de Marie-Antoinette du drame antique. Tous les ingrédients sont réunis. L’héroïne tragique, l’unité de lieu, le caractère inéluctable de l’acte final… Malgré l’absence de preuves et la façon dont l’accusée s’est elle-même brillement défendue, tout est joué d’avance. Les défenseurs de la reine ont à peine eu le temps de prendre connaissances des pièces d’accusation. La scène est pathétique. Le lecteur se surprend au fil des pages à espérer un dénouement différent de celui qu’il sait pourtant inéluctable…
Je conclus avec une nouvelle citation de l’auteur, dont la plume savoureuse ne cesse d’émouvoir au fil des pages :
On n’en finira jamais avec les obscurités de la vie. On n’en finira jamais de démêler la pâte humaine, de savoir ce qui fait céder l’homme à la violence par peur ou par lâcheté. Ne cherchez pas à comprendre le mal, écrit quelque part Saint-Augustin, ce serait comme vouloir regarder la nuit ou entendre le silence.
Procurez vous Juger la reine, d’Emmanuel de Waresquiel !
Points positifs
♥ Une relecture perspicace de la personnalité de Marie-Antoinette.
♥ Des recherches sérieuses et précises sur les protagonistes et le déroulement de ce véritable drame antique.
♥ Une réflexion intéressante sur la Révolution en général, et l’importance de cet événement (le procès de la Reine) dans son histoire.
♥ La plume de l’auteur, dont la prose pleine de digression est aussi réaliste et dynamique, avec une touche de romantisme et de tragique qui la rend délicieuse.
♥ Le recours fréquent aux lettres de Marie-Antoinette et de ses proches, qui permettent de connaître son état d’esprit lors des évènements qui précèdent son procès.
Points négatifs
♠ Aucun !
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Une barbarie de plus, qui sera suivie de bien d’autres. L’être humain, c’est à désespérer?
Hélas oui, la plus grande catastrophe sur cette terre, c’est l’homme. Capable de toutes les bassesses, il est capable de tuer et de détruire pour le plaisir.
Par peur et par faiblesse, aussi…
Le régicide crime enfoui dans la conscience collective, une barbarie non avouée
A quand un procès en réhabilitation ?
Question sans réponse j’imagine :/
oh, ça donne vraiment envie de le lire!Ce que je vais m’empresser de faire. Bravo pour votre site que j’ai découvert hier
Merci beaucoup 🙂
En fait , l’ Homme ne change pas, ses côtés les plus vils sont plus forts que le reste et la haine , la barbarie , la méchanceté se répètent au fil des siècles. Meme en 2019 quand on voit se qui se passe en France . Propos , actes , tags et j’ en passe ! Quel dommage et surtout quelle triste constat .
Très beau billet empli de douceur, de chaleur et d’empathie. A l’issue de la lecture de cet article, je me suis procuré le livre d’Emmanuel de Waresquiel. Je pense que je vais adorer !
Encore merci pour votre passion que vous savez si bien partager 🙂
Cdlt.
Je viens de terminer la lecture de « Juger la Reine ».
Très bel ouvrage, particulièrement fouillé et documenté. Les notes de fin sont pléthoriques et témoignent de la qualité et du travail de recherche et du sérieux de son auteur.
Parfois, peu aisé à suivre, (les personnages y sont très nombreux), ce livre [à la limite du document de travail] est rédigé à l’aide d’un vocabulaire riche et – parfois – soutenu.
Le procès de Marie-Antoinette y est abordé avec passion, empathie et – me semble-t-il – justesse.
Le quatrième et dernier chapitre est particulièrement émouvant.
J’en recommande chaleureusement sa lecture.
Merci beaucoup Marie de m’avoir fait découvrir ce très bel ouvrage que j’ai dévoré passionnément.
Cdlt,
Philippe.