Marie-Angélique de Scorailles de Roussille, qui devient duchesse de Fontanges en 1680, est célèbre pour avoir été la dernière favorite officielle et éphémère (1679 – 1680) d’un Louis XIV vieillissant qui épousera ensuite en secret Madame de Maintenon. Malgré la beauté (remarquée par tous les contemporains) de sa nouvelle conquête de dix-sept ans, malgré sa douceur et sa bonté, le monarque quadragénaire se lasse rapidement de son manque d’esprit et de culture. Lorsque la duchesse de Fontanges décède prématurément à l’abbaye de Chelles en 1681, elle laisse en héritage une mode tenace qui affole les dames : la coiffure « à la Fontange » ! Plongée dans les recherches nécessaires à la thématique du mois de septembre dans l’espace membre du Cabinet Secret intitulée « À vos cheveux, prêtes… coiffez ! », je déborde de trouvailles !
J’ai donc décidé de partager avec vous sur Plume d’histoire des anecdotes sur la naissance et l’adoption (contre vents et marées) de cette fontange qui fait fureur pendant toute la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle.
Quand la duchesse de Fontanges se recoiffe
Le comte Roger de Bussy-Rabutin, célèbre courtisan, libertin, écrivain et satiriste (cousin de la non moins célèbre marquise de Sévigné) nous raconte la naissance de la coiffure à la fontange dans son Histoire amoureuse des Gaules. Sans doute au mois de septembre 1679, en forêt de Fontainebleau, Marie-Angélique participe à une chasse en compagnie de son royal amant. Bussy-Rabutin nous décrit la suite :
Elle était vêtue ce jour-là d’un justaucorps en broderie d’un prix considérable, et la coiffure était faite des plus belles plumes qu’on eût pu trouver. Il semblait, tant elle avait bon air avec cet habillement, qu’elle ne pouvait pas en porter un qui lui fût plus avantageux. Le soir, comme on se retirait, il s’éleva un petit vent qui obligea mademoiselle de Fontange de quitter sa capeline. Elle fit attacher sa coiffure avec un ruban dont les noeuds tombaient sur le front, et cet ajustement de tête plut si fort au roi, qu’il la pria de ne se coiffer point autrement de tout ce soir. Le lendemain, toute les dames de la cour parurent coiffées de la même manière.
Histoire amoureuse des Gaules
Autrement dit, se trouvant sans couvre-chef pour retenir sa belle chevelure qui se répand sur ses épaules, la favorite opte pour une solution très spontanée : elle ramasse ses cheveux au-dessus de sa tête et attache le tout en forme de coque à l’aide d’un ruban dont les extrémités retombent avec nonchalance sur ses joues. L’anecdote se propage, on murmure que Louis XIV a trouvé cette audace très séduisante. C’est ainsi que toutes les femmes adoptent les cheveux noués au-dessus de la tête avec un ruban. Cependant, ce n’est qu’après la mort de Marie-Angélique que la coiffure « à la Fontange » devient une véritable mode… et prend des proportions inédites !
La fontange prend de la hauteur !
La princesse Palatine, devenue duchesse d’Orléans par son mariage avec le frère de Louis XIV, écrit le 10 juin 1687 à sa tante la duchesse de Hanovre :
Ce ne serait pas étonnant du tout que vous ne portiez déjà des fontanges, car tout le monde en porte depuis les petites filles de sept ans jusqu’aux vieilles de quatre-vingts ans, avec cette différence que les jeunes en portent de toutes les couleurs, tandis que les personnes d’un certain âge n’en mettent que des noires ou d’une autre couleur foncée.
Qu’est-ce qu’une fontange exactement ? La fontange désigne les rubans de couleur que l’on met dans les cheveux mais aussi une coiffure très recherchée qui n’a plus rien à voir avec la simple coque de cheveux improvisée par Marie-Angélique de Scorailles de Roussille ! Depuis la mort de la favorite, la fontange a été revue, modifiée… et amplifiée.
On ne se contenta pas d’une touffe de boucles, on les augmenta peu à peu jusqu’à ce qu’elles fissent sur le haut de la tête, un véritable monument.
Histoire de la coiffure féminine par la comtesse Marie de Villermont
Les boucles portent un nom différent en fonction de leur position autour du visage. Les « passagères » : des touffes bouclées près des temps. Les « confidentes » : de petites boucles près des oreilles. Les « crève-coeurs » : de petites boucles plaquées sur la nuque. Les « tignons » : des torsades de boucles qui descendent de chaque côté du visage, parfois jusque sur les épaules et dans le dos.
À partir des années 1695 – 1700, la fontange prend tellement de hauteur qu’il faut désormais soutenir l’édifice de boucles par une structure de fils de fer dissimulée sous d’élégantes dentelles. Cette coiffe de dentelles est elle-même mise en valeur par la diversité des rubans qui la décorent !
Cet échafaudage subtil, qui exige le recours à des coiffeurs ou coiffeuses expérimentés, permet d’édifier, en général à l’aide de faux cheveux, tout un assemblage de boucles et d’accessoires aux noms aussi variés que précieux.
Histoire de la coiffure et des coiffeurs
Selon la forme et la hauteur de la structure de fer et de dentelles, cette coiffure sophistiquée (et peu pratique) porte des noms différents : la « duchesse », la « firmament », la « dixième ciel », la « tête-à-tête », la « mousquetaire » ou encore la « palissade »… Les épingles à tête de brillant utilisées pour faire tenir les boucles entrelacées sont des « guêpes » ou des « papillons » :
Ce qu’on nomme aujourd’hui guêpes et papillons,
Ce sont les diamants du bout de nos poinçons
Qui, remuant toujours, jetant mille flammes,
Paraissent voltiger dans les cheveux des dames.
Comédie de Boursault intitulée Des Mots à la Mode – 1692
Ces fontanges avec structure de fer et de dentelles sont surtout portées pendant les audiences et les nombreuses soirées d’appartement en petit comité. Pendant les grandes fêtes et les bals d’apparat, les dames privilégient « la Grande Coiffure » … autrement dit une fontange « en cheveux ». Exit la dentelle : on construit l’échafaudage uniquement à l’aide de postiches en faux cheveux qui valorisent les pierreries, les perles et les fleurs dont les élégantes adorent recouvrir leur chevelure ! Cette variante de la fontange est baptisée « la monte au ciel » ou « l’altière » lorsqu’elle atteint la même taille que les plus hautes fontanges avec structure de fer et de dentelles !
Par ses excès de hauteur et ses différentes variantes, la mode de la fontange fait beaucoup penser à celle des hennins au Moyen-Âge (je vous raconte cette mode scandaleuse initiée par la reine Isabeau de Bavière dans le Cabinet Secret). Les fontanges préfigurent aussi les impressionnants poufs sous Marie-Antoinette !
La fontange devient la cible des satiristes
Comme toujours, la mode féminine est jugée ridicule et excessive par des satiristes, hommes de lettres et mémorialistes. Le fameux Saint-Simon moque ainsi la coiffure à la fontange, ce « bâtiment de fil d’archal, de rubans, de cheveux et de toutes sortes d’affiquets, de deux pieds de haut qui mettait le visage des femmes au milieu du corps. Pour peu qu’elles remuassent, le bâtiment tremblait et menaçait ruine. »
Dans ses Caractères, La Bruyère n’épargne pas la fontange dans son chapitre intitulé De la mode :
L’on condamne [la mode] qui fait de la tête des femmes la base d’un édifice à plusieurs étages dont l’ordre et la structure changent selon leurs caprices, qui éloigne les cheveux du visage, bien qu’ils ne croissent que pour l’accompagner, qui les relève et les hérisse à la manière des bacchantes et semble avoir pourvu à ce que les femmes changent leur physionomie douce et modeste en une autre qui soit fière et audacieuse.
Dans sa Satire X. sur les femmes, publiée en 1694, Boileau n’y va pas de main morte :
Combien n’a-t-on point vu de belles aux doux yeux,
Avant le mariage anges si gracieux,
Tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages,
Vrais démons apporter l’enfer dans leurs ménages,
Et, découvrant l’orgueil de leurs rudes esprits,
Sous leur fontange altière asservir leurs maris !
En avril 1691, Mme de Sévigné remarque que les fontanges semblent passées de mode du jour au lendemain :
C’est la défaite des « fontanges » à plate couture ; plus de coiffures élevées, jusqu’aux nues ; plus de « casques », plus de « rayons », plus de « bourgognes », plus de « jardinières » : les princesses ont paru des trois-quarts moins hautes qu’à l’ordinaire ; on fait usage de cheveux comme on faisait il y a dix ans. Ce changement a fait un bruit à Versailles qu’on ne saurait vous représenter. Chacun raisonne sur cette matière et c’était l’affaire de tout le monde…
En réalité, ces hautes fontanges tant décriées alternent entre de courts déclins et de longs succès. À chaque fois que des contemporains annoncent leur mort, elles renaissent avec encore plus d’éclat, tel une invincible hydre de la mode ! Le roi en personne ne peut en venir à bout.
Louis XIV s’agace des excès de cette mode
Dès lors que les fontanges commencent à prendre de proportions démentielles, Louis XIV s’en agace. Sans doute influencé par le goût austère de Madame de Maintenon, il prend en horreur ces coiffures avec lesquelles les femmes de Versailles osent défier son autorité. Saint-Simon se souvient :
Le roi, maître jusque dans les plus petites choses, ne pouvait les souffrir. Elles duraient depuis des années, sans qu’il eût pu les changer, quoiqu’il eût dit ou fait pour en venir à bout.
Mémoires de Saint-Simon – tome 10 – chapitre 14
Dans son Journal, le marquis de Dangeau note que Louis XIV annonce officiellement aux dames de la cour, à l’occasion d’une promenade le 23 septembre 1699, que les « grandes coiffures » qu’elles portent depuis si longtemps lui déplaisent fort. Mais la contrariété du monarque n’a pas l’effet escompté. C’est en voyant la reine d’Angleterre (qui séjourne alors à Versailles et assiste à la promenade) prendre l’initiative d’abaisser sa coiffure pour faire plaisir au roi, que les femmes délaissent temporairement la haute fontange.
La mode revient ensuite en force jusqu’en 1701 où l’abbé Chaulieu, poète libertin, croit assister à la chute définitive de ces échafaudages et s’en fait l’écho ironique :
Paris cède à la mode et change ses parures,
Ce peuple imitateur, ce singe de la cour,
A commencé depuis un jour
D’humilier enfin l’orgueil de ses coiffures.
Mainte courte beauté s’en plaint, gémit, tempête.
Et pour se rallonger, consultant les destins,
Apprend d’eux qu’on retrouve, en haussant ses patins,
La taille que l’on perd en abaissant sa tête.
Pour autant, des années 1700 jusqu’à (quasiment) la mort du roi, la mode des fontanges persiste. Elle n’a même jamais été autant en vogue ! Selon Saint-Simon, ce n’est qu’en 1713 que la France se débarrasse de la fontange. Mais l’histoire est assez étonnante. Tous les historiens sont d’accord pour dire qu’aucune autre source connue n’en fait mention :
Où le monarque s’était montré impuissant, le goût et l’exemple d’une étrangère opérèrent avec la rapidité la plus surprenante. Des coiffures exagérément élevées, les élégantes passèrent aux coiffures exagérément basses. Cette révolution aurait été l’oeuvre de la duchesse de Shrewsbury, ambassadrice d’Angleterre, laquelle, le jour de sa présentation à la Cour, portait une coiffure basse, de forme nouvelle. Aucun document ne nous renseigne sur cette coiffure sensationnelle et dans la suite de l’histoire de la mode, rien ne précise ce qu’elle fut.
L’art de la coiffure féminine : son histoire à travers les siècles
Quoi qu’il en soit, force est de constater que les pyramides de cheveux à la fontange tombent enfin sous la Régence pour laisser place à des coiffures plus basses et plus naturelles ! Les mystères de la mode…
🗝 J’ai beaucoup d’autres histoires fascinantes sur la mode capillaire féminine à travers les siècles à vous raconter en ce mois de septembre dans le Cabinet Secret ! Pour rejoindre la famille de mordus d’anecdotes de l’Histoire, c’est par ici 😉
👉 Vous aimerez aussi l’histoire de la mode des fraises sous les Valois ou bien celle des mouches sur le visage !
Sources
Oeuvres complètes de Jean de La Bruyère
Mémoires du duc de Saint-Simon
Journal du marquis de Dangeau
Histoire de la coiffure et des coiffeurs par Paul Gerbot
Marie-Angélique de Fontanges, la dernière passion du Roi-Soleil par Patrick Daguenet
Histoire de la coiffure féminine par la comtesse Marie de Villermont
Exposition au MAD de Paris, Des cheveux et des poils
Mesdames nos aïeules- Dix siècles d’élégances par Albert Robida
Ah! Ces femmes de la Haute qui n’avaient d’autre souci que de plaire par tous les moyens: cette fontange qui nous paraît aujourd’hui tellement ridicule (mais aussi à certains observateurs de l’époque comme le relève si bien Marie), sans oublier cette mode des mouches sur le visage qui apparaissent en même temps sur les illustrations…ces dernières venant à l’occasion cacher les traces de « petite vérole » – la variole – qui était courante et dévastatrice en ces temps-là.
Beau récit historiographie qui fourmille de détails contextualisés. Très agréable à lire en sus d’être enrichissant. Merci pour ce billet .