Anne de Bretagne c’est l’histoire d’une duchesse de caractère, pleine de charme et d’intelligence, deux fois Reine de France et qui, toute sa vie, cherchera à préserver l’indépendance de son cher duché, la Bretagne.
C’est aussi l’histoire d’une mère malheureuse : après une dizaine de grossesses, il ne lui reste aucun enfant de son premier mari Charles VIII, mort prématurément en heurtant le linteau d’une porte, et seulement deux filles de Louis XII : Claude, l’aînée, née en 1499, et Renée, née en 1510.
Claude, future Reine de France, va se trouver dès son plus jeune âge au cœur d’un vif débat entre le Roi Louis XII et sa femme, occasionnant l’une des plus grandes querelles (la seule…) entre les deux époux.
Le dilemme de l’indépendance bretonne
Même s’il ne lui en tient nullement rigueur, Louis XII doit bien voir la réalité en face : Anne de Bretagne n’a pas donné naissance à un héritier mâle qui perpétuerait la lignée des Valois. Le Roi de France n’a pas de fils capable de lui succéder ! C’est Pierre de Rohan, conseiller de Louis XII, qui apporte la solution : pourquoi ne pas marier Claude avec François d’Angoulême, duc de Valois, petit-cousin du Roi et donc héritier présomptif de la couronne ? De cela, Anne de Bretagne ne veut pas entendre parler et elle va mettre toute son énergie à contrecarrer ce projet.
Par son contrat de mariage avec Louis XII, Anne pensait parer à toutes les éventualités. En effet, ce contrat prévoyait d’exclure la Bretagne de l’héritage du futur Roi de France, et de le léguer à son frère ou, en l’absence de deuxième fils, à sa sœur. Or, Anne n’a pas de garçon. Claude est non seulement héritière du couple royal, mais c’est aussi à elle que va échoir le duché de Bretagne à la mort de sa mère : elle l’apportera dans sa corbeille de mariage !
Accepter l’union de Claude et de François d’Angoulême, c’est renoncer à tout jamais à l’indépendance de la Bretagne, qui intégrerait définitivement le royaume de France et se soumettrait à ses lois. Tant qu’Anne n’a pas donné d’héritier mâle à la couronne, elle ne peut donner son accord à une telle union, qui va à l’encontre de ce pourquoi elle se bat depuis ses onze ans, lorsqu’elle succéda à son père en 1488 en tant que duchesse de Bretagne, un pays fier de son indépendance.
Anne de Bretagne impose Charles de Gand
Alors elle cherche un autre parti. Pour convaincre Louis XII, il faut que le prétendant éclipse le petit duc de Valois. Elle jette son dévolu sur Charles de Gand, le futur Charles Quint, fils de Philippe le Beau de Habsbourg et de Jeanne de Castille, dite la Folle. Par le jeu des alliances et des morts prématurées, cet enfant se voit hériter d’un vaste Empire, constitué des provinces flamandes, autrichiennes et espagnoles. N’a-il pas en outre toutes les chances de devenir un jour Empereur du Saint-Empire germanique, en tant que descendant des Habsbourg dont cette couronne semble la chasse gardée ? Quelle meilleure destinée Anne de Bretagne pourrait-elle rêver pour sa fille chérie ?
Louis XII se rend toute de suite compte des dangers que représenterait cette union, permettant à l’ennemi d’encercler la France sur toutes ses frontières. Mais il connaît sa femme, son obstination, sa force de caractère, et il préfère ne pas l’affronter. Alors il consent, du moins en apparence : en août 1501, le Roi et la Reine signent un traité à Lyon, avec les ambassadeurs du père du fiancé, Philippe le Beau. Le 22 septembre 1504, les traités de Blois réaffirment cette volonté d’union entre Claude et Charles : si Louis XII décède sans Dauphin les deux époux reçoivent un héritage qui comprend, outre la Bretagne, Gênes, le duché de Milan, le duché de Bourgogne, l’Auxerrois, le Mâconnais, le vicomté d’Auxonne, Bar-sur-Seine et le comté de Blois !
La France est ouverte à l’est et à l’ouest à l’envahisseur, retrouve presque ses frontières datant de Louis XI et se sépare du fleuron des Valois-Orléans, la ville de Blois.
Anne se réjouit de ce projet, raisonnant avec la mentalité de ce début de XVIème siècle : comme les grands féodaux, les Rois (et Reines) se considèrent comme propriétaires de leur fief et l’utilisent pour servir des causes qu’ils jugent bonnes. Le sentiment de l’unité nationale n’existait pas encore, si l’on excepte Louis XI, d’une féroce intelligence politique et précurseur en ce domaine.
Et Louis XII ? Au fond, il est hostile depuis le début à toutes ces tractations, et cache bien son jeu. Se défiant, comme ses prédécesseurs, du séparatisme breton, souhaitant conserver à son royaume son unité et son importance géographique, mais aussi redoutant de mettre la France sous la menace de l’étranger, il prend en fait des mesures préventives dès le départ, sans en référer à Anne.
Louis XII reprend le dessus
Dès le 30 avril 1501, il signe à Lyon une déclaration secrète : toute autre union pour sa fille que celle avec François d’Angoulême est considérée comme nulle. Il réaffirme cette volonté en février 1504.
S’il laisse faire sa femme, c’est que Louis XII ne s’engage fondamentalement pas à grand-chose. En 1504, Claude n’a pas encore cinq ans, et Charles de Gand est à peu près du même âge. Des années s’écouleront avant qu’ils ne soient en âge de convoler en justes noces, et d’ici-là, tout peut changer.
Mais une grave maladie contractée en avril 1505 le fait réaliser le danger de cette situation et changer brusquement de stratégie. Il a failli mourir. S’il mourait vraiment, demain, dans un mois, dans un an, que deviendrait le royaume ? Il dicte son testament et annule tout projet de mariage de Claude avec Charles.
Guéri, il témoigne de la même détermination, et en fait part cette fois ouvertement à sa femme. La fière bretonne s’indigne, s’agite, proteste avec énergie. Mais rien n’y fait, le Roi est plus résolu que jamais. Le 31 mai 1505, il signe les lettres patentes en faveur du mariage de Claude avec François. Battue, furieuse, Anne quitte la Cour et gagne la Bretagne, seule. Elle doit donner son accord pour les lettres ? Eh bien elle ne le donnera pas !
Louis XII est obligé d’envoyer un de ses conseillers en Bretagne pour la supplier de rentrer, la secouant un peu en lui assurant non sans humour qu’elle se donne en spectacle et que son honneur est en jeu. Anne n’a d’autre choix que de regagner Blois, toujours aussi déterminée.
Pour la faire céder, Louis XII imagine un stratagème ingénieux. En mai 1506, il convoque un semblant d’Etat généraux, voulant donner l’illusion que l’idée du mariage français émane de la volonté populaire. Non seulement il fournirait ainsi une excuse recevable au père de Charles de Gand pour avoir manqué à sa parole, mais il obligerait sa femme à plier, sous peine de se heurter à l’hostilité de son propre peuple.
Une comédie jouée d’avance en réalité, habilement orchestrée par Louis XII : des rumeurs hostiles à Charles de Gand, cet étranger, cet inconnu, circulent comme par hasard dans toute la capitale. Evidemment, la réponse est favorable à François d’Angoulême. Ceci obtenu, et pour que son épouse ne puisse plus rien tenter, Louis XII fiance Claude et François quarante-huit heures après, le 21 mai 1506. Anne s’incline, mais ne s’avoue pas vaincue…
Anne de Bretagne, jusqu’au bout, espérera donner à la France un Dauphin viable, veillant jalousement sur sa fille. Des fiançailles ne valent pas un mariage, et pourront toujours être rompues…. Pour combler les vœux de son mari, du peuple français, mais aussi pour ôter toute raison d’être au futur mariage de Claude avec François d’Angoulême et préserver l’indépendance de son duché, elle souhaite par-dessus tout donner naissance à un garçon. Mais ses espoirs sont déçus. Lorsqu’elle meurt prématurément et de façon soudaine, le lundi 9 janvier 1514, à l’âge de trente-sept ans, elle n’a toujours pas donné d’héritier à Louis XII. Toujours la mort aura fait échouer ses projets.
François d’Angoulême épousera bien Claude de France. Il intégrera donc la Bretagne au royaume en devenant, au début de l’an 1515, le Roi François Ier.
Sources
♦ Anne de Bretagne, de Philippe Tourault
♦ Les Reines de France au temps des Valois, de Simone Bertière : Le beau XVIeme siècle
♦ N°63 de la collection Atlas « Rois de France », sur Anne de Bretagne.
Excellent article! Merci
Merci à vous 😉
Est-ce que Claude de France aurait -été plus heureuse avec Charles Quint ? On ne le saura pas , François 1er l’a assez bien traitée, il avait des égards pour elle mais ses maternités vont la faire mourir à petit feu à 25 ans .
Charles Quint quant à lui , formera avec sa femme Isabelle de Portugal un couple uni et amoureux jusqu’à la mort de celle-ci …
» Anne se réjouit de ce projet, résonnant avec la mentalité de ce début de XVIème siècle « : Cela raisonne dans mes oreilles! Sinon excellent article. Merci
Merci d’avoir vu cette coquille !
erreur, françois 1er fit signer à claude un pouvoir pour gérer le duché de Bretagne. Mais les états généraux de Bretagne continuaient à délibérer et gérer en se heurtant très souvent aux rois de france (notamment louis XIV et surtout la révolte du papier timbré : les bonnedou ruz). Le parlement de Bretagne fut dissout le 3 février 1793 par les pseudo révolutionnaires français. Donc juridiquement, cette dissolution n’ayant jamais été approuvé par le parlement Breton, nous sommes toujours indépendants !! Bevet Breizh !! Kentoc’h mervel eget bezan saotred !!
C’est assez incroyable car des Bretons me soutiennent que la Bretagne n’a, en fait, jamais été indépendante, et d’autres qu’elle l’est toujours !
Anne avait été fiancée au grand père de Charles, Maximilien .. l’histoire se recoupe 😉