À sa mort en 511, Clovis Ier, premier souverain chrétien des Francs, divise son prestigieux royaume entre ses quatre fils : Thierry, issu d’un premier lit, et ses demi-frères Clodomir, Childebert et Clotaire. Rapidement, le roi Clotaire s’impose comme le plus fin politique et le plus ambitieux des quatre.
Clotaire Ier l’ambitieux
Après la disparition de Clodomir, qui périt les armes à la main en 524, Clotaire s’approprie sa part du royaume et épouse sa veuve, au mépris de la loi salique puisque le défunt a 3 fils. Qu’importe, Clotaire parvient à les faire assassiner (voir mon article sur l’assassinat des héritiers de Clovis). En 534, il marche sur le royaume des Burgondes avec Childebert, et les deux frères se partagent leur conquête, qui augmente considérablement la superficie du royaume des Francs. En 555, après la mort du petit-fils de Thierry, une nouvelle partie de l’ancien royaume de Clovis se trouve dépourvue de roi. Sans consulter son dernier frère survivant, le fourbe Clotaire s’empare de cette immense parcelle de territoire, étendant inexorablement son empire.
Ce nouveau royaume comprend l’instable Aquitaine, réputée peu fidèle aux Mérovingiens. Le roi Clotaire décide d’administrer une partie de la province par l’intermédiaire de son fils Chramne, aîné des cinq garçons qu’il lui reste de ses épouses successives. Il délègue donc le jeune prince sur place, avec le titre de vice-roi d’Auvergne.
Chramne n’en fait qu’à sa tête
Chramne, né aux alentours de 530, est le fils du roi Clotaire et probablement de sa seconde femme Chunsine. Rapidement, l’enfant puis l’adolescent se révèle en tout point conforme aux attentes du Roi : beau, intelligent, audacieux, courageux, sans scrupules. Digne héritier de son père, il devient vite son préféré parmi sa progéniture, car le plus apte à lui succéder… C’est donc avec une confiance absolue que Clotaire confie à ce garçon batailleur à peine sorti de l’adolescence le poste de vice-roi d’Auvergne. Nul doute que ses capacités égaleront ses qualités morales !
En réalité, Chramne va largement outrepasser ses droits. Parfait miroir de son père, il ressemble trop à Clotaire pour rester tranquille et se satisfaire d’une position de marionnette. Se comportant comme un souverain, il règne en despote sur ses sujets improvisés, qu’il écrase d’impôts. Certainement mal conseillé et encouragé dans ses dérives, il compose son gouvernement avec ses compagnons de parties fines et n’hésite pas à « employer » les plus belles filles de l’aristocratie locale pour son plaisir et celui de ses comparses.
Pire, le roitelet, toujours sous l’influence de laïcs et d’évêques hostiles au royaume franc, décide la création d’un royaume indépendant d’Aquitaine !
Il obtient sans mal le soutien de son oncle Childebert, toujours vert de rage que Clotaire se soit approprié les terres de leur défunt frère Thierry sans le consulter. Il promet à son neveu d’appuyer ses revendications à une condition : qu’il l’aide à monter une armée contre Clotaire. Encouragé par ces accords secrets, Chramne se rend à Limoges où il proclame l’indépendance de l’Aquitaine sous son égide, et fait le siège de Clermont.
Clotaire, stupéfait, ne peut tolérer une telle insolence. Chramne n’est qu’un rebelle et doit être être traité en conséquence. Mais voici que Childebert, en négociation avec les Saxons, parvient à les convaincre d’attaquer les terres de son frère. Clotaire se trouve face à un dilemme : combattre son héritier rebelle ou les ennemis qui menacent ses frontières ?
Il décide de mettre deux de ses fils à l’épreuve. Il envoie Charibert et Gontran à sa place au combat. Les deux princes, ravis de pouvoir en découdre avec ce demi-frère qu’ils détestent, entrent en Auvergne avec leur armée et prennent la route du Limousin jusqu’au lieu-dit de la Montagne-Noire, cité dans les Mémoires de l’évêque Grégoire de Tours. Ils installent leur campement et envoient un messager à Chramne : qu’il se soumette et restitue au roi leur père les territoires dont il s’est octroyé sans droit la suzeraineté. Comme il fallait s’y attendre, Chramne refuse catégoriquement. Les armées se préparent à l’affrontement, quand soudain une violente tempête détrempe le terrain et tue dans l’œuf cette guerre fratricide.
Le rusé Chramne, qui n’a pas la moindre intention de risquer à nouveau la bataille, élabore alors un stratagème pour se débarrasser de ses encombrants demi-frères et poursuivre le plus vite possible la conquête de l’Auvergne : il fait répandre la terrible nouvelle de la mort de Clotaire Ier, tué par les Saxons.
Tandis que Gontran et Charibert retournent en panique à Metz, Chramne conquiert Châlons, échoue à faire le siège de Dijon, puis descend la vallée de la Loire et atteint Orléans. Comme si son insubordination et sa rébellion envers Clotaire ne suffisaient pas, notre tête brûlée y ajoute la désobéissance en se passant du consentement de son père pour ses noces. Foudroyé d’amour, il se marie avec Chalda, l’une des deux filles du comte d’Orléans. Pendant ce temps, Gontran et Charibert découvrent avec stupeur leur père bien vivant, rentré victorieux de sa campagne sur le Rhin !
L’oncle Childebert, instruit du retour de son frère, mobilise ses armées pour lui faire face et assurer les arrières de Chramne. Hélas, Childebert a la mauvaise idée de mourir à ce moment précis, après quarante-sept années de règne. Il laisse Clotaire, seul fils de Clovis encore en vie, roi légitime des Francs… et Chramne sans le moindre appui.
Le pardon du père ?
Privé des forces indispensables de son oncle, qui se retournent contre lui puisque désormais inféodées à Clotaire, le rebelle implore la clémence de son père. Contre toute attente, ce-dernier pardonne… Nous sommes en 559, quatre ans après le début de la rébellion de Chramne. Son père lui demande de regagner Paris avec sa femme et leurs deux petites filles, et fait placer tout le monde sous surveillance.
Clotaire est-il alors vraiment sincère ? Est-il capable de pardonner réellement à son fils préféré sa trahison ? Joue-t-il la comédie ? Chramne, en tout cas, doute fort de la pérennité de ce retour en grâce inespéré et de la bonne foi de son géniteur : il est allé trop loin.
Cette paix entre le père et le fils fut de courte durée. L’un et l’autre vivaient dans une juste défiance, et se connaissaient trop bien pour ajouter foi à quelques démonstrations d’amitié, dont ils déguisaient mal la fausseté.
La décision de Chramne est prise. Une nuit d’automne, il fausse compagnie à son père, emmenant avec lui Chalda et ses fillettes. Où trouver refuge ? La famille pousse jusqu’en Bretagne (Armorique), où règne le roi Conomor. Ce-dernier a épousé la sœur de Chalda et se trouve donc être le beau-frère de Chramne.
Apprenant la désertion de son héritier, Clotaire Ier entre dans une colère noire. Il met sur pied une armée considérable et marche avec son fils Chilpéric contre les beaux-parents de Chramne et Conomor : le comte et la comtesse d’Orléans. Acculés, ces-derniers croient trouver refuge dans la basilique Saint-Martin de Tours, lieu d’asile inviolable. Mais rien n’arrête les armées de Clotaire qui, sur son ordre ou bien outrepassant ses consignes, y mettent le feu. La basilique et ses victimes partent en fumée…
Voilà qui arrange les affaires de Clotaire. Chramne et Conomor ne peuvent laisser passer un tel crime et sont obligés de sortir de leur terrier pour lever à leur tour une armée et affronter celle du roi des Francs. La bataille a lieu non loin de la côte, afin d’offrir une porte de sortie à Chramne et Conomor si les choses tournent mal, ce dernier possédant aussi des territoires en Angleterre.
Les Bretons sont rapidement mis en déroute, et Conomor y laisse la vie. Chramne sait que la bataille est perdue et qu’il ne lui reste qu’une seule solution : la fuite. Les vaisseaux l’attendent à proximité du champ de bataille, prêts à mettre les voiles. Mais pas question de partir sans sa femme et ses filles, arrêtées par l’armée de Clotaire. Il fait alors un détour pour aller les secourir. Reconnu et cerné par les soldats francs, il n’a pas le temps de regagner le port et est fait prisonnier avec les siens puis livré au roi.
La vengeance de Clotaire
Le châtiment, d’une rare violence, est à la hauteur de la déception de Clotaire, trompé par cet héritier en qui il plaçait toutes ses espérances. Il ne peut pardonner une seconde fois. Après avoir fait torturer Chramne à mort devant sa femme et ses filles, il enferme son fils à l’agonie dans une chaumière. Tant qu’à faire, autant se débarrasser de sa bru et de ses petites-filles, qu’il fait également ligoter à l’intérieur. Après avoir fait condamner toutes les issues, il ordonne à ses soldats de mettre le feu à la masure. Chramne et sa famille sont ainsi brûlés vifs sans aucune pitié.
Cet acte barbare, plus que l’assouvissement d’une vengeance, est surtout un avertissement lancé par le roi Clotaire à ses fils survivants, coupant court à toute velléité d’indépendance… Qu’ils ne s’avisent pas de jouer, ils perdraient ! Cette fin horrible, qui détonne dans l’histoire pourtant sanglante des Mérovingiens, a-t-elle pesée sur la conscience de Clotaire ? Nous ne le saurons jamais. Toujours est-il que ce forfait contribue certainement à hâter sa propre mort : le roi décède en 561, un an seulement après avoir fait mettre à mort son fils et sa famille. Il était âgé d’environ soixante-trois ans. Coïncidence, coup du destin ? Qui sait. Chramne, loin d’être un Saint, ne méritait sans doute pas une fin si atroce… Et que dire des trois pauvres innocentes qui n’avaient rien demandé à personne et payèrent pour la rébellion de leur mari et père ?
Sources
♦ Clotaire Ier, fils de Clovis, de Ivan Gobry
♦ Frédégonde : Epouse de Chilpéric Ier, de Anne Bernet
Une partie de notre Histoire de France sans doute bien méconnue.
Encore un article bien écrit, dans un style alerte qui donne envie d’aller jusqu’au bout, bravo!
Merci 🙂
Merci pour ce morceau d’histoire. Passionnant.
Un épisode assez méconnu 🙂
Toujours très intéressant de vous lire. Merci.
Merci !
Bonjour, une croix se trouve derrière chez mes parents… et une stèle disant « bûcher de chramme ». C’est au Pouliguen à côté de la baule! C’est bien lui?! Ce serait vraiment le lieu de la chaumière??
Merci de votre réponse
Oh c’est fort possible à priori !
Je découvre et j’apprécie beaucoup de découvrir ces passages de l’histoire de France .
Merci beaucoup cher Bernard !
Je vois que tu as utilisé dans tes sources Frédégonde, d’Anne Bernet. Je viens justement de le finir ! C’est le deuxième livre de cette auteure que je termine à propos de cette époque, après Saint Grégoire le Grand. Malgré le catholicisme traditionnel (pour ne pas dire réactionnaire) qui imprègne certaine partie de son récit, ces biographies se dévorent car son style est très vivant et l’histoire captivante. On sent aussi qu’elle fait preuve d’une grande honnêteté dans son travail.
Cette époque est comme une « zone grise » dans notre Histoire, complexe et méconnue. C’est ce qui rend ces évènements fascinants, malgré cette violence omniprésente qu’on a grand peine à concevoir. La Francia des Mérovingiens n’a pour aussi dire rien à voir avec la France d’aujourd’hui ou même avec celle du Moyen Age: la langue, les prénoms, l’environnement des forêts et des villes, la culture, la justice, et même la religion… tout est différent ! On a en réalité plusieurs sociétés qui se superposent les unes: les Celtes, les Romains, les Francs…
La férocité inouïe du roi Clotaire est ainsi à replacer dans le contexte d’une aristocratie où l’instinct de survie prime sur tout le reste, y compris les liens familiaux. Soliman le Magnifique, près de dix siècle après, n’hésitera pas lui aussi à faire exécuter deux de ses fils pour des motifs assez fragiles. A noter aussi que les sources sur cette époque sont extrêmement rares: toutes nos informations ou presque reposent sur le récit de l’évêque Grégoire de Tours, dont on sait qu’il était parti pris dans les évènements de l’époque.
La rareté des sources rend justement cette époque particulièrement intrigante à mon avis, même s’il est vrai qu’elle ne facilite pas toujours le travail de l’historien 🙂
J’ai lu cet article d’une traite tellement il est intéressant et très bien écrit… Ah ces Mérovingiens…
Il y a de quoi faire sur le sujet
Très intéressant, j’apprends beaucoup plus de chose que ce que j’en savait. C’est un moment de l’histoire que je trouve très intéressant…mais cruel. P.S.. Est-ce que vous en savez plus sur sa femme Chalda et sur sa mère Chunsine.
Malheureusement non on ne sait que très peu de choses sur elles
J’habite à la Baule et j’aime tout ce qui touche à l’hitoire. Cet après midi, je suis passée au POULIGUEN; Une croix assez haute se dessinait sur le sol de pelouse. Il y avait sculpté sur un panneau « ici en 568 fut brulé vir Chramme et sa famille. C’est assez triste de voir ce site abandonné, et non signale dans la rue.
Merci pour cette émouvante précision !