En 2023, un rarissime portrait représentant la reine Tudor Catherine Parr réapparaît miraculeusement : on le croyait détruit dans un incendie depuis une centaine d’années ! Lors d’une vente aux enchères qui se déroule au mois de juin de la même année chez Sotheby’s, il s’envole pour 4 millions d’euros (quatre fois plus que son estimation !) Quelle est l’histoire de ce mystérieux portrait dont le modèle n’a d’ailleurs pas été identifié au départ comme étant Catherine Parr ? Pourquoi est-il si rare ? Comment la sixième et dernière épouse du roi Henri VIII Tudor a-t-elle finalement été reconnue ? Je vous propose de plonger dans une enquête historique et artistique fascinante !
Les tribulations d’un portrait
L’origine exacte de ce portrait est inconnue. Le premier propriétaire certain est John Dent. Sacré personnage ! Député, franc-maçon oeuvrant comme grand trésorier de la Grande Loge Unie d’Angleterre, membre de la Royal Society et de la Royal Society of Antiquaries, c’est aussi un grand bibliophile : il est l’un des membres fondateurs du Roxburghe Club qui rassemble encore aujourd’hui l’élite des bibliophiles. En mars et mai 1827 se déroulent plusieurs ventes des collections de John Dent : au milieu des ouvrages de son impressionnante bibliothèque apparaît le fameux portrait. Ni l’artiste ni le modèle ne sont indiqués. Après la vente, le tableau tombe entre les mains de Thomas Baylis, antiquaire collectionneur de meubles de l’époque Tudor et de l’époque élisabéthaine, avant de trouver sa place dans la collection du duc Richard de Buckingham.
Ce curieux personnage, lui aussi député et membre de la Royal Society of Antiquaries, marque les esprits par son divorce avec Mary Campbell en 1850. Il est surtout connu pour sa faillite retentissante : criblé de dettes (qui s’élèvent à plus d’un million de livres), il est obligé de vendre en 1848 les collections de sa demeure de Stowe House dans le Buckinghamshire. C’est l’une des ventes de collections privées les plus importantes de l’Histoire !
Lady Sarah, comtesse de Jersey, rachète le mystérieux portrait (que rien ne relie pour l’instant à Catherine Parr) et l’installe dans son domaine de Middleton Park, une vaste demeure entourée de plusieurs hectares, dans l’Oxfordshire. Le 23 mai 1861, Sir George Scharf, premier directeur de la National Portrait Gallery de Londres, dessine le tableau dans un carnet lors de sa visite. Sous le croquis est inscrit « Princess Mary. Holbein. » En effet, le cadre du tableau présente à l’époque un écusson (sans doute ajouté lorsqu’il était exposé chez le duc de Buckingham) qui identifie le modèle comme étant la princesse Mary Tudor, fille d’Henri VIII et Catherine d’Aragon, devenue la reine Mary Ière en 1553. C’est elle, surnommée Bloody Mary, qui précède la reine Elizabeth Ière sur le trône d’Angleterre. D’ailleurs, ne la confondez pas avec une autre Mary Tudor, soeur cadette d’Henri VIII, éphémère reine de France puis duchesse de Suffolk ! Quant au peintre identifié, bien qu’il s’agisse d’un artiste très réputé à l’époque, rien ne le prouve.
Le tableau est ensuite transféré à Osterley House, à l’ouest de Londres, l’une des autres nombreuses propriétés des comtes de Jersey. En 1949, le neuvième comte de Jersey prend la décision de faire don d’Osterley House et de son parc au National Trust d’Angleterre. Il vide alors la propriété et décide de stocker ses oeuvres d’art d’une valeur inestimable dans un entrepôt sur l’île de Jersey. Plusieurs incendies criminels désastreux ravagent l’entrepôt : de nombreux biens des Jersey partent en fumée. Le portrait qui nous intéresse est alors présumé détruit par les flammes.
Jusqu’à ce que le tableau, en possession d’un collectionneur privé, réapparaisse soudainement en 2023 ! On découvre alors qu’il avait en fait été mis en sécurité par le comte de Jersey dans une autre propriété de famille, le Radier Manor situé au sud-est de l’île.
Mary Tudor, Jane Grey ou Catherine Parr ?
Avant même que le tableau revienne sur le devant de la scène en 2023 (mettant le monde des arts et de l’Histoire en émoi !) les experts bataillent pour trouver la véritable identité de la femme représentée. Il s’agit incontestablement d’une reine, d’une princesse ou d’une dame de la très haute aristocratie. En témoigne la taille du portrait (près d’un mètre de haut), la toilette extrêmement luxueuse et raffinée du modèle et la grande qualité d’exécution du tableau. Il suffit de regarder la précision des bijoux et le détail du tissu des sous-manches : des taches de peinture reproduisent l’effet du fil métallique brodé avec une exactitude extrême…
Si l’écusson indique qu’il s’agit de Mary Tudor, l’attribution est douteuse : la femme peinte n’a pas une grande ressemblance physique avec la princesse puis reine Tudor dont plusieurs portraits sont connus. Après avoir été un temps considéré comme un portrait de l’éphémère reine d’Angleterre Jane Grey, l’identification revient sur Mary Tudor. Jusqu’à ce que l’experte Susan James parvienne à résoudre l’énigme en 1996 : il s’agit de la reine Catherine Parr !
Si les analyses réalisées en 2023 permettent en effet de dater le portrait des années 1547-1548 environ, et si la coiffe « à la française » avec les bords qui remontent vers les pommettes est aussi caractéristique de la décennie 1540, c’est en réalité l’un des bijoux portés par le modèle qui permet à Susan James d’identifier avec certitude Catherine Parr dès la fin du XXe siècle.
Les bijoux d’une femme de goût
Né en 1512 et devenue en 1543 la sixième et dernière épouse du roi Henri VIII Tudor, Catherine Parr est l’une des femmes les plus puissantes, les plus influentes et les plus riches de l’Angleterre du XVIe siècle. Si elle n’est pas d’une grande beauté, elle a néanmoins du charme avec ses cheveux tirant sur le roux, ses yeux gris, sa vive personnalité et ses talents de danseuse. Elle est surtout une femme forte qui acquiert la confiance d’un roi encore capable de discerner les qualités de personnes qui composent son entourage. Catherine est réputée pour sa finesse diplomatique, ses grandes capacités intellectuelles, son soutien habile à la réforme protestante modérée… et son amour des belles choses. Outre un goût pour les arts, elle aime (comme le roi) les toilettes somptueuses et les bijoux, en particulier les diamants.
Grâce aux revenus tirés des terres de plusieurs manoirs hérités de ses deux premiers mariages, ainsi qu’un ensemble de propriétés anglaises (sa dot en tant que reine), Catherine dispose d’un revenu privé considérable. Peu avant sa mort, Henri VIII prévoit dans son testament que sa veuve recevra une allocation annuelle de 7 000 livres (ce qui correspond à environ 3,5 millions de livres sterling d’aujourd’hui !)
Avec autant de ressources, Catherine a les moyens de ses ambitions : elle se fait aménager de nouveaux appartements magnifiques à Hampton Court, pensionne des artistes, entretient sa propre troupe de théâtre, collectionne les médailles, aménage des jardins à Greenwich et chez elle à Chelsea… Mais ce sont ses bijoux qui nous intéressent ici.
Plusieurs inventaires des bijoux de Catherine Parr mentionnent la présence d’une broche distinctive avec tête de couronne, si singulière qu’elle est impossible à confondre. L’inventaire de 1550 réalisé après la mort de la reine précise qu’il s’agit d’une broche en forme de « fleur avec une couronne contenant deux diamants, un rubis, une émeraude ; la couronne étant garnie de diamants, le pendentif de trois perles. » C’est exactement le bijou qui orne le corsage de Catherine sur le tableau de Jersey ! Cette broche souligne le caractère royal du modèle tout en permettant une attribution précise.
L’artiste qui a réalisé le portrait est inconnu : les experts hésitent entre « Maître John », auteur de nombreux portraits à l’époque, et William Scrots qui peint aussi Edward VII, la princesse Mary et la princesse Elizabeth. Il pourrait bien s’agir d’une commande groupée de Catherine Parr qui est très proche des enfants d’Henri VIII et qui est à l’origine des premières commandes de portraits représentant les enfants royaux. Quoi qu’il en soit, l’artiste de talent a accordé un soin tout particulier aux bijoux, notamment à cette broche : les pierres sont représentées avec un soin et une exactitude extrêmes !
On sait que la reine Elizabeth Ière Tudor hérite de cette broche. Un inventaire des bijoux de la reine daté de 1587 précise que la couronne est « garnie de quinze petits diamants » qui se détachent en effet très distinctement sur le portrait de Catherine. Le portrait de Jersey est une oeuvre exceptionnelle par sa qualité et aussi sa rareté : en effet, il est l’un des deux seuls portraits contemporains de la reine ayant survécu aux affres du temps.
L’autre très beau portrait de Catherine peint de son vivant (légèrement antérieur à celui de Jersey car datant de 1545) est conservé à l’incontournable National Portrait Gallery. Pour l’anecdote, il s’agit de la première représentation connue en pied et grandeur nature d’une femme de la royauté anglaise. Sur le corsage de la reine est déjà piquée cette broche qui devait décidément tenir une place particulière dans l’impressionnante collection de Catherine Parr ! Après Elizabeth Tudor, ce bijou extraordinaire est transmis à Anne de Danemark, épouse de Jacques Ier. On sait qu’en 1609, les deux gros diamants de taille triangulaire se détachent. La broche est alors morcelée, les joyaux retirés et l’or utilisé « pour la confection de plaques ».
Une reine douairière encore puissante
D’après les analyses, ce portrait de Catherine Parr est donc peint entre la mort du roi en janvier 1547 et la propre mort de Catherine en septembre 1548. Elle est alors reine douairière d’Angleterre. Encore très riche et bénéficiant des honneurs dus à une souveraine, elle supervise l’éducation de la future Elizabeth I. Elle est donc représentée dans toute sa gloire, ruisselante de ses bijoux éblouissants, glissée dans une robe de velours noir. Sachez que la couleur noire n’est pas forcément la couleur du deuil à l’époque ! C’est surtout l’une des couleurs les plus à la mode dans les hautes sphères. Le noir intense est particulièrement difficile à obtenir et à fixer sur les étoffes, donc très onéreux. Les nobles et les princes s’arrachent cette couleur qui détrône toutes les autres, symbole absolu de richesse et donc de puissance !
Le noir n’est donc pas anodin et participe à la ségrégation par le vêtement qui fait rage depuis le bas Moyen-Âge :
Chacun doit porter celui de son sexe, de son état et de son rang. Tout est réglementé selon les classes et les catégories socio-professionnelles : le nombre de vêtements, les pièces qui-les composent (une attention particulière est accordée aux manches), les étoffes dont ils sont faits, les couleurs dont ils sont teints, les fourrures, les bijoux et tous les accessoires du costume. Certaines couleurs sont interdites à telle ou telle catégorie sociale […] parce qu’elles sont obtenues au moyen de pigments trop précieux, dont le commerce et l’emploi sont rigoureusement contrôlés. Ainsi, dans la gamme des bleus, les robes paonacées (bleu foncé profond), teintes avec un extrait d’indigo particulièrement coûteux. Ainsi également toutes les robes rouges dont les riches couleurs sont tirées du kermès ou de la cochenille. Cette morale économique et sociale de la couleur vestimentaire favorise à grande échelle, dans l’Occident de la fin du XIVe siècle et du XVe siècle, la promotion du noir. Cette couleur, jusque là exclue du vêtement d’apparat — notamment parce qu’on ne sait pas la faire dense et lumineuse — devient une couleur à la mode. […] Désormais, les teinturiers multiplient les prouesses techniques et chimiques pour fabriquer des noirs intenses et vifs, des noirs à reflets bleus ou bruns très lumineux, des noirs qui tiennent profondément sur les draps de laine et sur les soieries aussi bien que sur les fourrures. Toutes choses dont ils ont été incapables pendant des siècles et qu’ils parviennent à réaliser en deux ou trois décennies !
MICHEL PASTOUREAU, Du bleu et du noir : éthiques et pratiques de la couleur à la fin du Moyen-Âge
On comprend mieux l’importance de la couleur de la robe dans ce portrait de Catherine Parr, exceptionnel à plus d’un titre. Si le tableau se trouve aujourd’hui de nouveau dans la collection d’un particulier, il a néanmoins pu être montré et photographié entre temps. Et l’important est de savoir qu’il existe toujours !
🌹 Pour connaître les secrets et la véritable personnalité des six épouses du roi Henri VIII, je vous invite à écouter la série de podcasts que je leur consacre sur ma nouvelle chaîne Plume d’histoire ! 🎙️ Une chaîne à retrouver sur toutes vos plateformes d’écoute habituelles : n’oubliez pas de noter l’émission si elle vous plait et de vous abonner pour recevoir l’alerte à chaque nouvel épisode ! 🔔
Je constate avec grand plaisir que vous restez à l’affût de toute nouveauté en matière d’histoire et de sa déclinaison en peinture, et que vous nous en faites profiter. Vous le soulignez dans l’article, mais le détail du portrait de Catherine Parr montre en effet l’extrême minutie avec laquelle l’artiste a réalisé ce tableau.
Merci Marie pour l’histoire des épouses du roi HENRI VIII
Merci à vous !