Dans un premier article, je vous parlais des animaux exotiques des rois, de Charlemagne à Louis XIII : de la folie des lions et des léopards aux singes d’Henri IV, en passant par l’ours de François Ier ou encore l’engouement pour les oiseaux chanteurs. Dans ce second article, passons aux choses sérieuses : les tribulations des premiers jardins zoologiques.
Louis XIV et la Ménagerie de Versailles : premier Jardin zoologique
Mazarin, trop occupé à réprimer les soulèvements de la Fronde, n’a pas le temps de s’adonner à sa passion pour les animaux. Il fait construire une Ménagerie à Vincennes : c’est Louis XIV qui se charge de la peupler de bêtes féroces. On y trouve notamment une tigresse apprivoisée, apportée en 1682 par un ambassadeur du Maroc.
La bête était aussi douce et docile qu’une chienne ; elle fut amenée à la reine, dans sa chambre, à Saint-Germain, au milieu de toutes les dames de la cour qui la flattèrent et s’amusèrent longtemps avec elle.
Mais la grande création de Louis XIV est la Ménagerie royale de Versailles : c’est la première grande commande du souverain, en 1662, alors que Versailles n’est encore qu’un petit pavillon de chasse. C’est en réalité le premier Jardin zoologique, rassemblant dans un même lieu, en pleine nature, tous les animaux autrefois dispersés dans les différentes résidences royales. Les bêtes ne sont plus mélangées mais classifiées dans sept cours différentes en fonction de leur type et de leur habitat naturel : la Cour des Autruches veut par exemple reproduire le biome de l’Afrique.
Déjà en 1665, la Ménagerie abrite plus de 40 espèces d’animaux exotiques, un nombre qui s’accroit tout au long au règne. On y trouve grues de Numidie, oiseaux mouches, colibris, tangaras, perruches, perroquets, aras, flamands roses, pélicans, canards étrangers, griffons, aigrettes, aigles, blaireaux, renards, tortues, casoars, spatules, chameaux, moutons de Barbarie, gazelles, lions…
Les vedettes de la Ménagerie sont un éléphant du Congo envoyé en 1668 par le Roi de Portugal Pierre II, ainsi que trois crocodiles livrés en 1687 de la part du Roi de Siam. Ces derniers, symboles de puissance car prédateurs redoutables, sont alors très difficile à transporter et donc extrêmement rares dans les cadeaux diplomatiques. Outre les « présents » des souverains des autres cours, Louis XIV demande à ses généraux en mission de rapporter animaux rares et exotiques de leurs expéditions, et à Colbert d’envoyer des « pourvoyeurs d’animaux » en Egypte.
Pour le prestige de la couronne
La Ménagerie est un établissement d’apparat destiné non seulement à distraire Louis XIV et sa Cour mais aussi les personnalités étrangères de passage à Versailles : ils s’y rendent en frégate ou en gondole, accompagnés de musiciens.
Ce rassemblement prestigieux d’animaux exotiques et rares (provenant d’achats ou de cadeaux diplomatiques), que l’on présentait aux princes et aux ambassadeurs, participait directement à la politique de prestige et de magnificence de la couronne.
En 1682 ont lieu deux spectacles de combats avec animaux rares, un pour le Dauphin, l’autre pour l’ambassadeur de Perse. L’année suivante, c’est en l’honneur de la Reine Marie-Thérèse, puis pour le fils du Roi de Danemark. La Ménagerie permet aussi, grâce aux dissections, de faire des progrès dans l’anatomie.
En 1698, Louis XIV fait cadeau de sa Ménagerie à Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, subjuguée par cette enfant pleine de joie de vivre (avant que les héritiers de Louis XIV ne disparaissent les uns après les autres…) La duchesse de Bourgogne y passe une bonne partie de son temps, avec ses demoiselles d’honneur, et invite les personnalités en vue à la Cour dans son petit paradis qu’elle embellit de jardins, ainsi que d’une Cour des nouvelles loges pour tigres, panthères, léopards, lynx etc.
Louis XV et la folie des rhinos
Louis XV ne s’intéresse que très peu à la Ménagerie royale de Versailles. Mais il partage l’engouement des parisiens pour un rhinocéros de passage à Paris, une femelle de 3 tonnes nommée Clara.
D’abord propriété du directeur de la compagnie des Indes orientales, Clara est vendue à l’un de ses capitaines, Van der Meer, qui lui fait faire le tour de toutes les capitales européennes. Le Grand Tour de Clara est largement commenté par la presse : c’est la première fois que des européens voient un rhinocéros !
En 1749, elle arrive à Paris, et est conduite à la Ménagerie royale de Versailles, nourrissant écrits scientifiques et mondains, ravissant des curieux venus en masse admirer cet animal à la peau comme une cuirasse. Estampes, gravures, rubans, harnais, bonnets, perruques, et coiffures « à la rhino » font le tour de la capitale. Louis XV souhaite acheter le rhinocéros Clara, mais y renonce devant le prix exorbitant réclamé par le capitaine : cent mille écus ! Il finira néanmoins par faire l’acquisition d’un autre rhinocéros, du Cap, que l’on peut admirer au Muséum d’histoire naturelle de Paris aujourd’hui.
Sous Louis XVI, la Ménagerie est extrêmement mal en point. Versailles étant progressivement déserté par les courtisans, elle perd de son intérêt et n’est pas restaurée. Pourtant, deux éléphants indiens, un phoque mâle, un couagga et un autre rhinocéros figurent parmi les nouveautés !
Ménagerie nationale de la Révolution
Sous la Révolution, beaucoup d’animaux de la Ménagerie royale de Versailles sont tués pour nourrir le peuple qui crie famine, tandis que d’autres sont relâchés dans la nature. Le rôle d’objets « d’instruction publique » des animaux rares et exotiques s’intensifient, et 1794 est créé la Ménagerie nationale du Museum. Mais c’est Napoléon qui « officialise » la Ménagerie nationale du Muséum, et la repeuple : singes africains, lémurs, panthères (dont une panthère noire de Java), hyènes, gnous, zèbres, kangourous, casoars, tortues, ainsi que des lions reçus de la part du dey d’Alger.
Malmaison : bijou du Premier Empire
De 1799 à 1814, Joséphine de Beauharnais, femme du Premier Consul puis Impératrice des français, fait de sa demeure de la Malmaison un véritable paradis sur terre, savant mélange de faune et de flore. À l’intérêt des collections botaniques, s’ajoute la séduction vivante, mobile, des collections zoologiques.
La collection de Joséphine est impressionnante : elle fait don de nombreux animaux rares au Museum. Mais les visiteurs préfèrent venir admirer les animaux directement dans le petit château de l’Impératrice, dont elle fait elle-même l’honneur de la visite : oiseaux des îles dans la Volière, faisans dorés de Chine et paons dans la Faisanderie… La Ménagerie abrite des animaux inconnus en Europe, la plupart importés d’Afrique, d’Amérique ou d’Australie, comme les fameux cygnes noirs. En liberté ou parqués à leur aise, canards de Caroline, de Chine et de Barbarie, gazelles, kangourous, zèbres, casoars et singes s’ébattent gaiement. Sans oublier les impressionnants moutons mérinos, importés d’Espagne : le troupeau comprend 403 brebis et 115 béliers en 1807, et s’accroit jusqu’à 2 167 têtes en 1812 !
Pour s’attirer les bonnes grâces de l’Impératrice, rien de mieux qu’un animal en guise de cadeau. Le gouverneur des Indes française offre à Joséphine un jeune orang-outang femelle apprivoisée, qu’elle fait manger à sa table : l’animal se régale de navets, maniant à la perfection couteau et fourchette ! Sa belle sœur, Pauline Borghèse-Bonaparte, lui fait également cadeau d’un ours noir rapporté d’Amérique.
La girafe de Charles X
Sous la Restauration, Charles X continue à favoriser les voyages de naturalistes pour entretenir la population déjà présente du Muséum. Mais surtout, il décide d’établir une collection impressionnante de reptiles : ainsi nait le premier terrarium, qui comprend alors 80 animaux de 24 espèces différentes (batraciens, poissons et insectes).
Mais c’est une girafe, la première de France, qui sera la star du pays pendant près de 20 ans.
L’animal est offert en 1826 au Roi Charles X par le Pacha d’Egypte Méhémet Ali. Capturée au Soudan à l’âge de deux ans et demi, elle remonte le Nil en felouque, avant d’embarquer à Alexandrie sur un brigantin : bien trop grande pour l’embarcation, on perce le pont afin qu’elle puisse passer son long cou ! Brebis et antilopes l’accompagnent pour lui tenir compagnie et lui fournir du lait.
Elle arrive à Marseille le 23 octobre 1826, avant de gagner à pied la capitale : un périple de plus d’un mois, 880 kilomètres ! Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, éminent professeur de zoologie du Muséum et ancien de la campagne d’Egypte, accompagne sa protégée. Il lui fait fabriquer un costume imperméable pour la protéger des intempéries, et lui assure de longues promenades quotidiennes.
Acclamée place Bellecour à Lyon, mais aussi à Aix et à Avignon, la girafe arrive à Paris le 30 juin 1827 : c’est un véritable triomphe. Le Roi installe sa précieuse créature dans la Rotonde de la Ménagerie royale de Versailles.
C’est une véritable « girafomania » qui s’empare de France : durant le seul été 1827, 600 000 personnes se déplacent pour venir l’admirer ! Montrée à tous les invités de marque, rehaussant le prestige de la Monarchie, la girafe est bichonnée en permanence, entourée nuits et jours par des soigneurs : l’un d’eux a pour seule mission de « l’étriller ». Un peignage intensif plutôt inutile, qui aurait donné naissance à notre expression « se peigner la girafe » lorsque quelqu’un effectue un travail long mais peu efficace…!
Morte le 12 janvier 1845, celle que l’on nommera bien plus tard Zarafa était appelée, du temps de Charles X, « le bel animal du Roi ».
Jardin d’acclimatation sous le Second Empire
Après le règne de Louis-Philippe, qui reçoit du Roi du Maroc un lion et une panthère, mais aussi un couple de gazelles et deux autruches pour peupler la Ménagerie du Muséum, Napoléon III se désintéresse quelque peu de l’établissement.
Sous le Second Empire, mondains et aristocrates s’intéressent à la science, à l’ethnologie et aux voyages, tandis que les classes populaires ont un grand besoin de divertissements. C’est ce qui décide l’Empereur Napoléon III à offrir aux parisiens un jardin d’agrément mêlant nature, flore luxuriante et animaux exotiques. Il choisit comme emplacement le Bois de Boulogne. Inauguré le 6 octobre 1860, en présence de Napoléon III et de son épouse l’Impératrice Eugénie, le Jardin d’acclimatation est un succès immédiat.
Outre un hippopotame (cadeau extrêmement prestigieux offert par le vice-roi d’Egypte à Napoléon III en 1853), animal qui fait fureur car premier de cette espèce à fouler la terre française, sont installés au Jardin d’acclimatation quantités d’espèces : ours, girafes, kangourous, chameaux, éléphants, autruches, un élan du Cap, chèvres sauvages d’Espagne, etc… On y trouve même un bassin pour otaries ainsi qu’une singerie.
À partir de 1870, lors de la guerre avec la Prusse puis de l’écroulement du Second Empire, les visiteurs désertent le Jardin d’acclimatation. Pour palier la famine qui s’abat sur Paris, les pensionnaires du Jardin sont sacrifiés afin de nourrir la population. Le Jardin est ravagé par l’armée prussienne.
À la fin du XIXème siècle, relevé de ces péripéties, le jardin devient parc de loisirs, avec cirque et manèges pour enfants… Une attraction cocasse propose promenades en calèches tirées par des zèbres, des hippopotames, des autruches ou encore des chèvres à cou noir… Et oui, les Rois ne sont plus, mais la mode des animaux exotiques, elle, reste d’actualité ! Le XXème siècle, soucieux du bien être des animaux, abolit ces pratiques bien peu recommandables… Le Jardin d’acclimatation existe encore de nos jours. Rassurez-vous, il ne propose plus que des ballades à dos de poney !
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Sources
♦ Histoire des animaux célèbres, de Marie-Hélène Baylac
♦ Zoos. Histoire des jardins zoologiques en occident (XVIe-XXe), de Éric Baratay
♦ Le Grand Livre des « pourquoi ? », de Anne Pouget
♦ Histoire des ménageries de l’antiquité à nos jours, de Gustave Loisel
très intéressant louis 11 avait lui aussi une ménagerie au château de plessis les tours ,on l a oublié !