Baccarat. Petite ville lorraine de 4 500 habitants. Sa célèbre cristallerie à la renommée internationale comprend à elle seule plus de 600 salariés, dont une vingtaine de Meilleurs Ouvriers de France. Grâce à un savoir-faire ancestral, les objets qui sortent des fours depuis le XVIIIe siècle sont de véritables joyaux de l’art de vivre à la française. Synonyme d’excellence et d’exception, le cristal Baccarat illumine le marché du luxe depuis 250 ans ! Fournissant d’abord la Cour de France en verres, lustres et candélabres, elle séduit bientôt maharadjas, tsars, sultans et empereurs…
Le cristal, une recette bien gardée
Depuis le début du XVe siècle, la Lorraine est la région française du verre par excellence. Le terrain est idéal pour l’implantation de verreries : les grands massifs forestiers alentour permettent d’alimenter les fours très gourmands en combustible. Pour demeurer à une température constante d’environ 1450°C, il leur faut des quantités colossales de bois ! Les sols lorrains sont aussi riches en silice, matière première nécessaire à la fabrication du verre.
Les ducs de Lorraine successifs favorisent l’essor de cette industrie du verre en accordant dès le milieu du XVe siècle de multiples privilèges aux maîtres verriers, les exemptant par exemple de certains impôts comme s’ils faisaient partie de la noblesse.
Les verriers gardent jalousement leurs secrets de fabrication, sans parvenir à égaler les productions exceptionnelles de Venise et de Bohême (qui règnent en maîtres sur le marché du verre depuis la Renaissance) et plus tard d’Angleterre.
Au XVIIe siècle les Vénitiens réussissent à fabriquer une sorte de verre très délicat et parfaitement transparent grâce à l’ajout de silice extrêmement pure, ainsi que d’autres composants qui font encore aujourd’hui partie de leurs secrets de fabrication : le cristallo, aujourd’hui connu sous le nom « verre de Murano ». Pour concurrencer Venise, un verrier anglais nommé Georges Revenscroft décide en 1674 d’ajouter de l’oxyde de plomb au verre. Il parvient ainsi à créer un matériau d’une incomparable brillance : le flint-glass anglais devient très vite aussi réputé que le cristallo vénitien.
Pour que la France devienne à son tour réputée sur le marché du verre et du cristal, il faut attendre l’arrivée de Jean-Baptiste Colbert. Ministre infatigable servant Louis XIV, Colbert développe des manufactures partout en France. La Manufacture royale des glaces de miroirs de Saint-Gobin, fondée en 1665, ne tarde pas à s’accaparer le savoir-faire vénitien en produisant des miroirs d’une taille exceptionnelle pour la Galerie des Glaces du château de Versailles. D’autres manufactures aujourd’hui oubliées sont créées à cette époque : « La Manufacture Royale en cristaux de Bayel » est devenue la « Cristallerie Royale de Champagne » appartenant au groupe Daum-Haviland. Elle fabrique depuis 350 ans un cristal raffiné et élégant.
Malgré les efforts de Colbert, la fabrication du verre cristallin ne progresse que lentement en France. Il faut attendre le règne de Louis XV pour voir de nombreuses cristalleries émerger, créant ainsi un réseau qui va désormais prospérer.
En 1764, Monseigneur de Montmorency-Laval, évêque de Metz, demande à Louis XV l’autorisation de créer une verrerie à Baccarat. Ce petit village de Lorraine situé près des Vosges, autrefois prospère mais ravagé par les guerres, est traversé par la Meurthe, ce qui facilite l’acheminement du bois. La requête adressée au roi est motivée :
Sire, la France manque de verreries d’art, et c’est pour cela que les produits de Bohême y entrent en si grande quantité : d’où il suit une exportation étonnante de deniers, au moment où le royaume en aurait si grand besoin pour se relever de la funeste guerre de Sept Ans, et alors que depuis 1760, nos bûcherons sont sans travail
Le roi donne son accord. La verrerie qui prendra le nom de verrerie Sainte-Anne en 1775 vient de naître. Avec son jardin, ses logements, ses quatre fours et ses immenses réserves de bois, l’entreprise est capable de satisfaire les nombreuses commandes royales. Au départ, elle fournit Louis XV en miroirs et en carreaux de vitres. Le roi offre des services de verres de Sainte-Anne à sa famille et à ses « cousins » comme le roi d’Espagne. Louis XVI fait de même.
Faux départ
Néanmoins au XVIIIe siècle, la verrerie Sainte-Anne a de nombreux concurrents, comme la verrerie royale de Saint-Louis, située dans les Vosges du nord, qui fournit elle aussi la famille royale. L’avenir de cette cristallerie semble assuré. Elle est la première à copier l’Angleterre en fabriquant le fameux flint-glass utilisé dans les oeuvres d’art en cristal.
La verrerie Sainte-Anne, de son côté, connaît quelques déboires. Tout a pourtant très bien commencé. Son développement est rapide jusque dans les années 1780 : elle engloutit dans sa production 6 000 quintaux de sable, 300 quintaux de salins, 400 quintaux de cendre et 128 000 cordes de bois ! Si elle n’a toujours pas percé le secret du flint-glass comme à Saint-Louis, la manufacture est prospère et l’évêque de Metz la revend au marchand verrier Antoine Renault. Hélas ! la Révolution marque un coup d’arrêt.
La verrerie, cantonnée à l’activité de fabrication de vitres, est en grande difficulté. Napoléon Ier et sa belle-fille, la reine Hortense, lui préfèrent la manufacture des cristaux de Montcenis au Creusot. À tel point que Sainte-Anne est obligée de fermer ses portes en 1806 !
Pour autant, la verrerie Sainte-Anne garde la réputation d’un établissement de premier ordre qui employait des maîtres-verriers très qualifiés. C’est pourquoi Aimé-Gabriel d’Artigues, propriétaire de la cristallerie de Vonêche en Belgique, décide de racheter la verrerie Sainte-Anne en 1816 et de la transformer définitivement en cristallerie. Ce sont désormais les « Établissements Vonêche à Baccarat. »
Le contexte est favorable au développement de Baccarat. Dans le XIXe siècle post-empire, l’art de la table atteint son apogée. Cette « nouvelle société composée d’une bourgeoisie entreprenante » invente un art de vivre dans lequel la convivialité et l’élégance sont au centre de tout. Dans le monde, le dressage de la table devient aussi important que ce que l’on met dans l’assiette. On prend plaisir à faire asseoir ses invités à de belles tables ! C’est aussi le siècle de la diversification des verres et des couverts. À chaque boisson sa taille de verres : verres à eau, verres à vin rouge, verres à vin blanc, flûtes à champagne…
Le cristal a toute sa place dans ces fêtes et réceptions où l’art de la table se conjugue divinement avec la gastronomie. Les verres et les lustres en cristal taillé de Vonêche à Baccarat ou de Saint-Louis ont ce brillant qui flatte l’oeil. Ils reflètent la lueur des bougies, plongeant les dîners et les soirées dans une atmosphère féérique et luxueuse.
L’Escalier de Cristal
Profitant de l’essor de l’art de la table, les établissements Vonêche à Baccarat acquièrent enfin leurs lettres de noblesse. Pour assurer la prospérité de son bébé français, Artigues décide de devenir fournisseur de cristal d’une créatrice à la mode : Madame Desarnaud-Charpentier.
Idée de génie. Marie-Jeanne Desarnaud, née Charpentier et fille d’un orfèvre, est propriétaire de sa propre maison parisienne. Fondée en 1806, elle devient très célèbre sous la Restauration : L’Escalier de Cristal. La prestigieuse boutique de Marie Desarnaud livre dès 1817 des garnitures de cheminées et des pendules en cristal à Louis XVIII ainsi qu’aux duchesses d’Angoulême et de Berry. Un an plus tard, elle reçoit le brevet de « fournisseur du garde-Meuble de la Couronne » et de « fournisseur de cristaux du Roi ».
En 1819, c’est l’apothéose. Lors de la cinquième Exposition nationale des produits de l’industrie française présentée au Louvre, Marie expose plusieurs pièces extraordinaires qui lui valent une médaille d’or. L’une d’entre elles, particulièrement, fait sensation. Il s’agit d’une table de toilette avec fauteuil, entièrement faits de cristal taillé et montés en bronze doré « ciselé avec la plus grande perfection, et qui produit le plus bel effet » (L’indépendant, 2 septembre 1819). Jamais personne en France n’avait réalisé une si grande pièce en cristal. Cette prouesse démontre les possibilités infinies de ce matériau fabuleux !
Les créations de Marie Desarnaud sont l’objet « de l’examen le plus attentif » du monarque (Journal de Paris, 31 août 1819). La jeune duchesse de Berry, qui l’accompagne, est subjuguée. Elle qui meuble son château de Rosny-sur-Seine « avec tout ce que l’artisanat parisien faisait alors de plus éblouissant et de plus novateur » tombe sous le charme de la spectaculaire coiffeuse. À la fois féminin et élégant, ce meuble ne pouvait séduire qu’une princesse d’avant-garde ! Le journal Le Drapeau blanc du 22 septembre 1819 décrit avec humour ce mobilier assurément magnifique mais peu pratique :
Madame Désarnaud a exposé aussi trois objets dignes d’orner quelque palais de fées ; une toilette, un guéridon et une cheminée en cristal, taillée à facettes, dont toutes les pièces sont réunies par des ornements en bronze doré. Je n’entreprendrai pas de décrire ces objets ; leur description se trouve toute faite dans les contes de Perrault. Quant à leur utilité, je m’en rapporterai à ceux qui feront usage du guéridon, qui se coifferont devant la toilette, et qui se chaufferont à la cheminée, s’il est possible toutefois qu’on y fasse jamais du feu !
La duchesse de Berry deviendra d’ailleurs une fidèle cliente de L’Escalier de Cristal :
S. A. R. Madame, duchesse de Berry, est allée au Palais-Royal faire des emplettes au magasin de Mme Desarnaux, marchande de cristaux, à l’escalier de cristal, et chez M. Laurenceau, bijoutier ; rue Montesquieu, chez le sieur Pomerel, confiseur de S. A. R. ; elle a encore fait beaucoup d’autres emplettes dans différents magasins de Paris.
La Quotidienne (26 décembre 1825)
Madame Desarnaux est désormais une célébrité dans le monde de l’art et sa maison L’Escalier de Cristal une adresse reconnue. Lorsque l’on apprend que les cristaux façonnés par la dame proviennent des établissements Vonêche à Baccarat, c’est le début d’un succès fulgurant !
Baccarat adoubée par Charles X
Encouragé par les commandes qui affluent, Gabriel d’Artigues investit et embauche beaucoup. Trop. Les finances de l’usine étant en piteux état, Artigues vend son entreprise en pleine ascension à trois associés plus fortunés : Pierre-Antoine Godard-Desmarest, François-Marie- Augustin Lescuyer-Vespin et Nicolas-Rémy Lolot.
Louis XVIII, définitivement séduit par Baccarat qui rivalise à présent pleinement avec Saint-Louis et Montcenis, passe de nombreuses commandes. La plus notable est la création d’un service de verres complet et de carafes en 1823. Le roi habille sa table avec du Baccarat ! Toute l’aristocratie n’a désormais qu’une envie : l’imiter. Toutefois, c’est sous Charles X que Baccarat devient véritablement un incontournable dans le monde sophistiqué du cristal.
1828, grande nouvelle : Le roi, en chemin pour Lunéville, annonce qu’il se rendra en personne à Baccarat pour visiter l’établissement le 12 septembre. Aussitôt, c’est le branle-bas de combat. On prépare la venue du souverain avec un soin extrême :
La porte d’entrée était convertie en un arc de triomphe, par une double colonnade appuyée sur un soubassement et recouverte de branches de sapin. Au-dessus du soubassement, s’élevait, dans chaque arcade de la colonnade, un oranger, portant l’écusson des armes de France. On lisait sur l’attique de l’arc de triomphe cette inscription : « À Charles X, l’industrie reconnaissante. 12 septembre 1828 : nouvelle ère de la cristallerie Baccarat. »
Gazette nationale (21 septembre 1828)
Le jour J, les propriétaires sont en émoi. L’administrateur, M. Godard, est dans tous ses états. Il scrute sans cesse le ciel nébuleux et écoute avec angoisse le tonnerre qui gronde au loin. L’orage épouvantable qui inonde Baccrat et embrase l’horizon fait craindre à tout le monde que le roi ne se borne à traverser Baccarat sans s’arrêter pour rejoindre Lunéville au plus vite. Heureusement, la pluie diminue et le ciel s’éclaircit en début d’après-midi. À 3h, le souverain est accueilli dans l’allégresse générale, aux cris de Vive le roi !
La grande cour de l’usine déjà si belle par elle-même, animée par la multitude d’ouvriers qui remplissaient les contre-allées et couvraient les gazons s’étendant le long du chemin qui suivait le roi, ornée par les drapeaux qui flottaient à toutes les croisées, par les orangers et les fleurs qui garnissaient les approches de la maison, par les dames qui agitaient leurs mouchoirs, avait pris un aspect tout nouveau et présentait un spectacle aussi animé qu’attendrissant.
Précédé de son ministre de l’intérieur, Charles X prend le plus grand plaisir à suivre la fabrication de cristaux. Devant l’air de bonté et de bienveillance qui illumine le visage du roi et de son fils, les ouvriers rivalisent d’adresse et de zèle. Le roi se porte successivement d’un four à l’autre par le moyen d’un « pont-volant qui formait la communication ». Le roi observe ainsi la fabrication de plusieurs pièces, « depuis le moment où l’on puise la matière en fusion dans les creusets, jusqu’à parfaite confection. » Devant lui, on incruste dans plusieurs pièces des camées représentant son effigie. Charles X est particulièrement frappé de la rapidité avec laquelle s’exécute ce procédé qui a l’avantage de rendre les traits inaltérables.
Gagnant le magasin, le monarque observe avec intérêt « deux vases Médicis grandioses » d’une seule pièce chacun et chargés des tailles les plus riches et les plus élégantes, qu’on lui offre. On offre aussi des cadeaux au Dauphin et à son épouse la duchesse d’Angoulême. Cette dernière reçoit notamment un thé complet en cristal composé de 18 pièces, « qui a paru non moins remarquable par la pureté de la matière et l’élégance des formes, que par le fini de la taille et le brillant du poli ».
Comme un enfant ébahi, Charles X soupèse des verres, admire la grandeur exceptionnelle de certaines pièces, pose une multitude de questions, parlant aux ouvriers et aux propriétaires sur un pied d’égalité. Il apprend par exemple que l’usine fournit du travail à 700 ouvriers environ et fait vivre près de 1 400 personnes au total dans le village !
Le roi fit remarquer combien il fallait d’adresse pour fabriquer des pièces d’un aussi grand poids, leur donner des formes aussi régulières, et les soutenir aussi longtemps à l’extrémité d’une tige de fer à laquelle elles n’étaient soudées que par une matière presque en état de fusion. Sa Majesté continuant sa visite fut frappée de l’éclat, du poli, et du fini du travail qui faisaient remarquer un grand assortiment de pièces destinées à faire des lustres.
La visite du souverain et de sa famille est une réussite totale. Consécration : la cristallerie Baccarat peut désormais se parer du titre de Manufacture Royale !
Âge d’or de la cristallerie
Dans les années 1840, Baccarat innove en étant la première cristallerie à mêler de la couleur dans le cristal. La maison imagine pour le roi Louis-Philippe un verre somptueux paré d’un bouton de cristal rouge rubis. Cette oeuvre exceptionnelle préfigure le « verre royal » commandé pour un service en cristal par Louis-Philippe en 1841. Avec son pied hexagonal large et sa géométrie parfaite, ce verre d’une légèreté incroyable est connu depuis 1925 comme le « verre Harcourt ». Un succès jamais démenti ! Depuis sa création, le verre Harcourt est l’un des intemporels de la marque, encore aujourd’hui fabriqué dans la manufacture à Baccarat et souvent réinterprété. Le pape Benoît XV, les présidents du Libéria, de la Côte-d’Ivoire, du Brésil, les ambassades de France aux Etats-Unis et en Angleterre choisissent la collection Harcourt pour leurs fastueuses réceptions !
La presse sous la Monarchie de Juillet et sous le Second Empire témoigne du succès désormais bien assis de la maison Baccarat :
Baccarat est toujours le brillant phare qui éclaire le monde des cristaux. Il varie, il étend, il perfectionne sans cesse sa production. Lustres, vases, ornements, tout serait à mentionner.
Gazette nationale (21 août 1849)
Sous le second Empire, la cristallerie connaît l’un de ses âges d’or. Sous l’impulsion de Napoléon III, la France amorce un essor spectaculaire de l’industrie et du commerce. Marqué en 1851 par l’Exposition universelle de Londres, au Crystal Palace, il rivalise avec l’Angleterre avec celle de Paris en 1855 : 5 millions de visiteurs, parmi lesquels des invités prestigieux comme la reine Victoria et son époux le prince Albert. 12 ans plus tard, nouvelle Exposition, d’une splendeur jusque-là inégalée. Baccarat rafle les médailles d’or, une habitude conservée dans toutes les expositions jusqu’à nos jours !
En 1878, pour la troisième Exposition universelle, Baccarat réalise une folie baroque à l’histoire rocambolesque : le Temple de Mercure. Ce kiosque d’inspiration florentine culmine à 4,70 mètres pour un diamètre de 5,25 mètres et abrite une statue de Mercure en bronze argenté. Cette merveille est composée de 1 920 pièces en cristal, montées comme des éléments d’architecture ! C’est la première fois qu’un objet en cristal de cette envergure est réalisé dans le monde. L’objet, exposé pendant 14 ans dans la boutique Baccarat, est convoité par des maharadjahs et par le chah de Perse. Finalement, c’est le roi du Portugal Charles Ier qui l’acquiert pour son palais de Sintra. Malheureusement, le roi est assassiné en 1908. Le Temple de Mercure disparaît alors pendant de longues années. Malgré les recherches, on ne parvient pas à en retrouver la trace. Coup de théâtre en novembre 2004 : un mystérieux Espagnol contacte Baccarat pour la restauration… du Temple de Mercure ! Le propriétaire souhaite rester anonyme. L’expert envoyé sur place pour s’assurer de l’authenticité de l’objet est émerveillé lorsqu’il pénètre dans la grande propriété sur la Costa-Brava :
C’est dans le parc que je le découvre, au milieu du plan d’eau, offert sans doute depuis un siècle aux intempéries, exactement comme sur le daguerréotype que j’ai emporté avec moi.[…] On avait l’impression de voir un diamant au milieu d’une pièce d’eau. Ça scintillait sous le soleil. On a démonté le temple en numérotant toutes les pièces, en emballant tout.
Le chef-d’oeuvre Baccarat que l’on croyait à jamais disparu vient d’être retrouvé ! Cette beauté estimée à 10 millions d’euros fait peau neuve dans les ateliers Baccarat avant de retourner chez son propriétaire.
Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, les 2 000 ouvriers français du petit village de Lorraine reçoivent des commandes du monde entier. Parmi leur clientèle privilégiée : les Russes.
Des tsars aux maharadjahs : folie et démesure des commandes Baccarat
Les Romanov, grands amateurs d’art et d’orfèvrerie (ce sont pour eux que sont imaginés les oeufs Fabergé) passent de somptueuses commandes chez Baccarat. Tout commence en 1867, lorsque le tsar Alexandre III de Russie demande un guéridon en cristal, une fontaine et un candélabre en cristal Baccarat pour son épouse.
Exposé cette même année lors de l’Exposition Universelle de Paris, le candélabre impressionne par sa hauteur : 2,15 mètres ! L’objet est aujourd’hui connu sous le nom « Candélabre de la tsarine ». La fontaine aussi émerveille les visiteurs : 7,30 mètres de hauteur avec une vasque de 3,30 mètres de diamètre ! L’abondance de têtes couronnées présentes à cette exposition (du tsar Alexandre à Guillaume de Prusse, en passant par François-Joseph d’Autriche, Léopold de Belgique, Louis II de Bavière, les rois de Grèce, du Portugal, du Wurtemberg, le khédive d’Egypte et une dizaine d’autres têtes couronnées) qui fait dire aux frères Goncourt « Il pleut des rois ! » contribue à accroître le prestige de la cristallerie.
Baccarat va faire encore mieux pour le petit-fis d’Alexandre III : Nicolas II. Lorsque le tsar visite Paris en 1896 avec la tsarine Alexandra, il commande à son tour plusieurs candélabres. L’un des plus impressionnants est une pièce de 3,85 mètres de haut, équipée de 79 lumières
et composée de 3 320 pièces de cristal ! Il s’agit du premier luminaire Baccarat électrifié. Une création que chacun peut admirer aujourd’hui au Musée Baccarat dans la manufacture ancestrale, grâce à un exemplaire de 800 kilos qui n’a pas pu être livré à Saint-Pétersbourg : la Révolution russe vient d’éclater.
Nicolas II ne s’arrête pas là et commande également tout un service au décor à « pointes de diamant et palmettes », baptisé « Service du Tsar » et rapidement adopté par toute la Cour impériale. Les aristocrates russes, qui ont l’habitude de fracasser les verres pour le plaisir après avoir bu, sont des clients rêvés : tandis que les domestiques balaient les morceaux de cristal qui gisent au sol, les riches familles passent à nouveau commande auprès de la maison Baccarat pour remplacer verres et carafes !
Khrouchtchev est le dernier dirigeant communiste que l’on ait vu casser son verre après y avoir bu, au cours d’un dîner au ministère des Affaires étrangères à Paris. Brejnev ne l’imita pas ; mais lorsqu’il offrit un déjeuner au président de la République, Giscard d’Estaing, dans la nouvelle ambassade d’URSS, la cristallerie reçut une très importante commande de verres Capri. Ce fut le dernier geste fastueux du gouvernement soviétique.
Revue des Deux-Mondes
Entre temps, les produits français de l’industrie du luxe se sont ouverts à un autre marché lucratif suite au voyage triomphal de l’impératrice Eugénie à Constantinople et au Caire pour l’inauguration du canal de Suez : le Proche-Orient ! Rien n’est trop grand, ni trop beau (ni trop cher) pour les souverains orientaux. Le premier sultan à voyager en Europe est Abdülaziz, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867. Ayant contracté la folie des grandeurs, le sultan fait édifier des palais gigantesques qu’il veut rutilants et étincelants de lumière. Celui de Dolmabahçe, à Istanbul, est presque un musée Baccarat ! Lustres immenses, bougeoirs, services de table et vases sont spécialement façonnés pour lui.
Une véritable « mégalomanie du cristal » s’empare du shah de Perse, du sultan de Turquie et du khédive d’Égypte. Dans cette course effrénée à la lumière, les maharadjahs se surpassent. La palme d’or revient au maharadjah de Gwalior. Dans les années 1930, il commande à Baccarat un lustre d’exception d’une taille prodigieuse. Pour servir d’écrin à cette oeuvre d’art colossale baptisée « Hall Oriental », il fait édifier un palais exprès ! À peine le lustre est-il suspendu que le plafond s’écroule sous le poids de cet amas de cristal… Le maharadjah n’est pas à un palais près ! Il en fait aussitôt construire un autre, plus robuste. Mais cette fois-ci, pas question de se laisser surprendre. Pour tester la résistance du palais, il fait hisser au moyen d’un grue le plus lourd de ses éléphants. Le pachyderme déambule sur le toit sans qu’aucun incident se survienne : test réussi ! Un nouveau lustre est immédiatement commandé puis accroché sans encombre.
En 1933, c’est au tour du maharadjah d’Indore de s’offrir une folie très différente. Ce dandy oriental tourné vers le surréalisme et l’Art déco se fait édifier un palais avant-gardiste. Pour le garnir, il commande le service Paraison, moderne et épuré.
Toutes les têtes couronnés et les chefs d’État du XXe siècle commandent désormais chez Baccarat. Pour le prince de Galles, futur Edouard VIII, passionné de navigation ? Le service « Yacht » en forme de tulipe directement sur un pied, ce qui le rend ainsi plus stable et plus approprié pour des dîners mondains en mer ! Pour Émile Loubet, élu Président de la République en 1899 ? Le service « Juvisy » gravé aux initiales de la République Française, encore aujourd’hui utilisé lors des déjeuners et dîners de gala à l’Éysée.
Des flacons à cognac de Grace et Rainier de Monaco au service de Joséphine Baker, en passant par le célèbre flacon « Abeille » réalisé pour Guerlain en 2010, la magie du cristal oeuvre sans cesse ! Pour notre plus grand plaisir, les Cristaux de Baccarat chez Vessiere continent à faire étinceler la perfection à travers les siècles !
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Sources
♦ On a retrouvé le Temple de Cristal – Laurence Picot – Le Monde – Décembre 2006
♦ Baccarat ou la perfection – Jean-Louis Curtis – Revue des Deux-Mondes – 1993
♦ Le bicentenaire des cristalleries de Baccarat – Le Monde – 29 mai 1964
♦ La mondialisation à table – Jean Vitaux – Presses Universitaires de France 2009
♦ De nombreux articles de presse du XIXe siècle à nos jours
Quel dommage que cette célèbre cristallerie est placée sous tutelle judiciaire depuis le mois de septembre! Je suis en colère par autant de négligence : la situation financière calamiteuse des acquéreurs chinois est connue…
Oui c’est triste mais il faut continuer à valoriser le savoir-faire de Baccarat !
Très intéressante histoire de Baccarat! Au-delà du savoir-faire extraordinaire de ces maîtres-verriers, ce qui me frappe c’est l’orgueil et l’obsession permanente et démesurée du paraître chez ces puissants jusqu’à encore une époque récente. Des sommes folles dépensées, souvent au détriment du peuple!
La folie et la démesure dans la nouveauté ce sont de grands principes qui régissent le monde de l’art, de la mode, du luxe… ☺️
Baccarat est au bord du règlement judiciaire, si ce n’eSt déjà fait. Dommage qu’un des fleurons de l’art français en arrive là.
C’est malheureux en effet !
il y a quelques années a eu lieu au Petit Palais à Paris une magnifique exposition Baccarat – c’est le cas de dire que le décor brillait de mille feux – j’ai toujours le livret de l’expo et je vais le ressortir pour revoir ces merveilles
J’aurais vraiment adoré la voir cela devait être splendide !
Hello Plume d’Histoire !
Merci pour cet article. Je suis ton blog depuis quelques années maintenant. Ce sont des gens comme toi – et bien d’autres, encore ! – qui m’ont donné envie de me lancer à mon tour et de raconter l’Histoire : https://anecdoteshistoriques.com/
J’ai lancé le site il y a peu, il en est à ses balbutiements mais j’espère l’étoffer rapidement !
J’aimerais d’ailleurs ouvrir une section pour des interviews avec des acteurs de l’Histoire sur Internet bientôt. C’est encore à l’état de projet, mais j’espère t’envoyer une demande formelle bientôt pour ce projet ! 😀
Excellente continuation,
Merci pour ce commentaire ! Bravo pour l’éclosion de votre beau projet, je suis toujours ravie de rencontrer d’autres passionnés d’histoire prêts à se lancer de leur côté ! Au plaisir d’avoir de vos nouvelles
Merci pour ton message et tes encouragements ! 😀
Je découvre votre site. Il est très joli ! L’esthétique est très propre et agréable.
Baccarat avait une verrerie à Trélon (département 59) de 1922 à 1923 à la demande du Prince de Mérode du château de Mérode aussi à Trélon. Cette verrerie avait été racheté à mes ancêtres Pailla et Collignon puis Clavon qui fabriquaient des bouteilles de champagne pour Veuve Clicquot, Henriot, Bollinger, Krug et Moët et Chandon. Après rachat par Parent, elle fabrique des flacons pour les parfums Dior, Chanel, Guerlain et Lancôme. C’est par ma mère Divry que je descends de Pailla et Collignon ainsi que de Clavon. Brigitte Pestel brigittedivry@yahoo.fr