C’est avec curiosité que l’on passe aujourd’hui la porte des deux boutiques parisiennes de la maison de parfumerie Oriza L. Legrand. La première est située au numéro 18 de la rue Saint-Augustin. Les effluves suaves qui s’en dégagent, son décor de théâtre… Tout est imaginé pour nous plonger dans les origines royales de cette maison qui prend racine en 1720. La seconde boutique, plus récente, se tient au 85 rue des Saints-Pères. Les flacons scintillent comme des bijoux précieux dans leur écrin de bois, rappelant que la parfumerie a su transcender les régimes pour porter jusqu’à nous trois siècles de créations iconiques et de savoir-faire.
Bienvenue dans l’univers luxueusement onirique d’Oriza. L. Legrand ! Les cours royales et les élégantes s’arrachent les produits de cette grande maison qui n’a jamais cessé d’offrir la pointe de l’excellence et de la modernité. Parfumeur des rois, meilleur ami des grandes mondaines, référence cosmétique mondiale, coqueluche des Expositions universelles…
Je vous propose de retracer la délicieuse ascension de la maison Oriza. Une belle histoire qui débute par un nom, un patronyme devenu le symbole du luxe et de la délicatesse des XVII et XVIIIeme siècles dans le monde de la parfumerie : Fargeon.
1720 – 1811 : l’essor d’Oriza L. Legrand
Issus de la communauté des apothicaires de Montpellier, les Fargeon font du parfum leur spécialité dès le XVIIeme siècle. Cette famille, qui s’érige en véritable dynastie, compte plusieurs membres illustres, notamment Jean-Louis Fargeon l’Aîné : c’est lui qui nous intéresse puisqu’il est le fondateur de la maison Oriza. Attention à ne pas le confondre avec son neveu Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette, dont la vie et les créations sont admirablement détaillées par sa talentueuse biographe Élisabeth de Feydau !
La réputation de Jean-Louis Fargeon l’Aîné est assise bien avant la grande ère des parfums au XVIIIeme siècle. Il est notamment célèbre pour ses poudres blanchissantes à base de riz, ses onguents et ses eaux qui embellissent la peau et conservent la fraîcheur du teint. Des produits imaginés pour préserver la beauté et la jeunesse de la grande Ninon de Lenclos. Grâce à la célèbre courtisane et femme de lettres (son meilleur atout de communication !) Fargeon l’Aîné conquiert rapidement les dames de la Cour. Elles parlent encore de la fameuse eau ou « crème Ninon de Lenclos » quinze ans après la mort de l’épistolière en 1705 !
Si les odeurs de musc, de civette et d’ambre, à la fois sensuelles, profondes et intenses, ont la cote sous Louis XIV, le roi-soleil lui-même finit par s’en lasser, voire s’en écoeurer. Le règne de Louis XV inaugure une véritable révolution olfactive. Une vague poudrée, fraiche et fleurie emporte les courtisans dans une farandole de « bouquets » composés de jasmins, d’iris, de violettes, de roses et surtout d’oeillets, les fleurs préférées du roi.
On s’imprègne à foison de cette coquetterie indispensable, au point que l’on conseille aux courtisans d’en changer chaque jour ! Les grandes favorites du souverain, la marquise de Pompadour (elle consacre chaque année 100 000 livres en achats de parfums !) puis la comtesse du Barry montrent l’exemple.
Installé dans un enclos dit « privilégié » de la Cour du Louvre, Jean-Louis Fargeon l’Aîné devient fournisseur de cette « Cour parfumée » de Louis XV. Ouverte en 1720, sa première boutique est connue sous le nom de « Parfumerie Oriza de Fargeon-Aîné ». Pourquoi Oriza ? Il rappelle le nom latin Oryza Sativa désignant le précieux riz à partir duquel Fargeon fabrique ses poudres cosmétiques.
Courtisans puis financiers et fermiers généraux se pressent chez Fargeon au Louvre pour acquérir les nouveautés de celui qui est devenu parfumeur officiel de la Cour. Tandis qu’un talentueux neveu de Fargeon est introduit dans l’entourage de Marie-Antoinette et suit sa propre trajectoire glorieuse, le commerce de la maison Oriza prospère. À la mort de leur père, les fils Fargeon Aîné reprennent les rênes, aidés par la veuve du parfumeur. Ils ouvrent ensemble la boutique « Veuve Fargeon et Fils » au 11 rue du Roule. Un entreprise qui survit à la Révolution pour entrer dans les petits souliers de l’Empire.
« C’est la première fabrique de Paris sous tous les rapports » commente l’Almanach des gourmands au mois de janvier 1808. « Veuve Fargeon et Fils » vient en effet d’être récompensé pour ses talents par le brevet de Parfumeurs de l’Impératrice ! Poudres, pastilles à brûler, Eau de Cologne, pommades fines aux douces senteurs… On y trouve de tout, et des produits de qualité.
L’Europe royale se parfume chez Oriza !
La maison connaît une période d’ascension spectaculaire dès le début du XIXeme siècle. En 1811, la maison « Fargeon-Aîné » et sa boutique « Veuve Fargeon et Fils » passent entre les mains d’un repreneur : Louis Legrand. Talentueux apprenti du fils Fargeon, Legrand a de grandes ambitions pour la maison. Il ouvre une boutique au 319 rue Saint-Honoré puis fonde officiellement la « Parfumerie Oriza de L. Legrand » en 1858 au 207 rue Saint-Honoré.
Entre temps, Louis Legrand assoit la réputation d’excellence de sa marque en usant des premières (et seules) ressources à sa disposition : les Cours royales. Développant de nombreux produits dérivés aux senteurs suaves et raffinées, cet artiste-entrepreneur donne toute son ampleur à Oriza L. Legrand en « démarchant » lui-même les rois d’Europe ! On sait notamment qu’il fait plusieurs demandes pour devenir fournisseur officiel de la Cour de Russie, statut qu’il parvient à obtenir à force de persévérance, présentant des produits toujours plus créatifs et qualitatifs. Le parfum « Violettes du Czar », décliné tout au long du XIXe siècle, fait fureur. C’est le début d’une véritable Orizamania dans toute l’Europe !
Il faut que la supériorité de la parfumerie Oriza soit bien constatée pour que les gracieuses souveraines des Cours d’Europe recherchent ces produits à l’exclusion de tous les autres.
La Vie moderne – 16 juillet 1881
C’est ensuite Marguerite de Savoie, reine d’Italie, qui ne jure plus que par la maison Oriza L. Legrand, ses fragrances à l’Héliotrope et ses cosmétiques fleuris :
Retenez bien ces deux noms, Mesdames, car ce sont deux talismans : l’Oriza lacté et la Crème-Oriza. La reine d’Italie ne laisse pénétrer dans son royal cabinet de toilette que l’Héliotrope blanc, tant en extrait qu’en eau de toilette ; l’Oriza Savon incolore, à la violette blanche ou à la rose thé ; l’Oriza poudre veloutée, qui ne se devine même pas, tant elle est adhérente et diaphane ; et l’Oriza-Lys, la fleur des fleurs embaumées. L. Legrand est fournisseur de la cour de Russie et d’Italie, et les secrétaires tiennent correspondance suivie avec le 207 de la rue Saint-Honoré.
La vie Moderne – 9 juillet 1881
Les journaux ne cessent de rendre hommage à cette grande maison qui sait séduire les narines les plus exigeantes et prendre soin des peaux les plus délicates :
Les Cours de Russie et d’Italie ont adopté définitivement les parfums de la maison Legrand, 207, rue Saint-Honoré. C’est un hommage éclatant rendu à la supériorité de la parfumerie française et au mérite incontesté de M. Legrand. Le fait est qu’il est impossible de rien trouver qui vaille l’Oriza lacté pour rendre la peau diaphane et transparente, rien qui conserve mieux la jeunesse que la fameuse crème Oriza de Ninon de Lenclos, rien qui soit plus délicieux à respirer que l’essence d’Oriza à l’héliotrope, rien qui soit plus fin que l’Oriza lys et que l’Oriza bouquet.
La Vie moderne – 5 février 1881
Le même journal renchérit quelques mois plus tard :
Le prince de Galles, ce grand mondain plus Parisien qu’Anglais, ne vient jamais à Paris sans aller rendre visite à M. L. Legrand, à qui il fait toujours d’importants achats, ne trouvant nulle part d’aussi délicieux produits et des parfums aussi suaves.
Déjà fournisseur des Cours de France, d’Angleterre, de Russie, d’Italie, Oriza séduit encore la Belgique, par l’intermédiaire de la fantasque Elisabeth de Wittelsbach, reine des Belges. Grande coquette toujours au fait des dernières nouveautés en matière de mode, arpentant les boutiques parisiennes à chacun de ses déplacements, elle adopte le parfum « Violette Prince Albert » de la Parfumerie L. Legrand sans hésitation :
Nul n’ignore que l’un des parfums préférés de la gracieuse souveraine des Belges est la Violette Prince Albert. L’habillage de ce parfum est, du reste, aux armes de la maison royale de Belgique.
Comoedia illustré – 15 juin 1910)
Les Parisiennes s’arrachent la fragrance préférée de cette souveraine qui est une icône de l’élégance et de l’avant-gardisme : « Violette Prince Albert rivalise avec Double Gardenia sans l’emporter sur lui, et, neuf fois sur dix, dans l’impossibilité de choisir, les mondaines prennent l’un et l’autre. En quoi elles ont bien raison, l’incomparable parfumerie de L. Legrand n’étant jamais du superflu. » (Le Journal – 15 décembre 1899)
Une parfumerie d’excellence qui inonde le « high-life »
Les créations originales Oriza sont en réalité portées à un impressionnant niveau de commercialisation grâce à l’associé puis successeur de Legrand, Antonin Raynaud. Ce fils de boucher né à Grasse en 1827 ne tarde pas à révéler une âme d’industriel à la fois génial et philanthrope. Arrivé à Paris sans le sou, formé dans les établissements Violet, il se fait remarquer pour son intelligence, son activité et sa débrouillardise. Parti de rien et déjà à la tête d’une petite fortune, il inspire la confiance de Louis Legrand qui le prend comme apprenti avant d’en faire son associé. Choix judicieux !
Dès l’année 1860 et jusqu’en 1903, Antonin Raynaud est seul aux commandes d’Oriza L. Legrand, dont il conserve bien sûr le nom pour profiter de l’aura d’excellence incontestée qui entoure la marque depuis les démarches éclairées de son prédécesseur. Quarante années pendant lesquelles la maison est portée à son apogée ! Si Oriza reste le parfumeur des rois et des princes, la marque est désormais recherchée par toute la bonne société : la boutique du 207 rue Saint-Honoré devient « le lieu de rendez-vous naturel des plus élégantes Parisiennes » et ses produits s’exportent dans le monde entier.
Bénéficiant des nouvelles formes de communication qui explosent à l’ère industrielle et devenu expert dans l’art de les manier, Raynaud inonde les journaux de publicités pour faire connaître les produits variés et dont il enrichit chaque année Oriza, imaginant d’innombrables nouveautés susceptibles de tenir en haleine ses clients :
La parfumerie Oriza de la maison L. Legrand voit chaque jour augmenter son succès dans le high-life parisien et cosmopolite. Les savons-Oriza, la poudre-Oriza, la crème-Oriza, le dentifrice-Oriza et l’Oriza-lys, qui parfume le linge et le mouchoir, sans jamais tacher, font partie des soins que toute personne délicate doit prendre d’elle-même. Il n’y a pas dans la toilette de point plus délicat que celui du choix des objets de parfumerie que l’on doit employer. La parfumerie Oriza […] charme et retient. On ne s’en lasse et on ne s’en fatigue jamais, pas plus que d’une conversation imprégnée d’essence d’esprit et de grâce. Elle exhale des caresses, au rebours de ces vinaigres et de ces cosmétiques grossiers qui sont de vrais coups de poings.
Le Jockey – 8 février 1879
L’une des idées de génie de Raynaud est l’élaboration d’une brochure écrite intitulée La Beauté éternelle, précieux conseiller destiné aux dames et distribué à toutes les clientes en même temps qu’une « botte de parfumerie Oriza » qui comprend les savons, les vinaigres, les pommades et les crèmes, parmi lesquelles la fameuse et indémodable crème de Ninon de Lenclos… En somme, les clientes repartent avec « un arsenal à défier les traits du temps, les baisers du soleil et les brises de la mer ». Elles n’ont ensuite plus qu’une hâte : revenir, acheter, offrir, essayer les parfums et admirer les boutiques pour le plaisir…
En août 1881, un journaliste affirme que le directeur d’Oriza L. Legrand est « assailli par les demandes, à tel point qu’il peine à suffire pour les expéditions des produits de sa maison. » Déménagement révélateur de ce triomphe, Raynaud quitte le faubourg Saint-Honoré pour s’installer dans le quartier qui est alors le temple du luxe et de l’excellence : une boutique voit le jour au 9 boulevard de la Madeleine… une autre au 11 place de la Madeleine !
C’est aujourd’hui qu’a lieu l’inauguration des splendides magasins de la parfumerie Oriza, maison L. Legrand, 11, place de la Madeleine. M. Antonin Raynaud, propriétaire actuel de cette maison universellement connue, profite de cette circonstance pour faire de la philanthropie, et donnera la recette totale de la vente du 20 mai au profit des pauvres du huitième arrondissement.
Le Matin – 20 mai 1890
Le beau monde parisien court à la vente de charité de la parfumerie pour acquérir les dernières créations spécialement imaginées pour cette inauguration dont on parle aussi dans L’indépendance belge le 1er juillet 1890 : « Outres les produits Oriza aux Violettes du Czar, qui sont adoptés par toutes les élégantes parisiennes, on a beaucoup goûté les nouvelles essences Oriza au mimosa, au lilas blanc, et enfin le Bouquet Lympia, parfum exquis pour le mouchoir. »
Pour décorer les boutiques, Raynaud dévalise les jardins et les serres de sa somptueuse Villa-Oriza qui domine la baie de Nice, véritable laboratoire de création baigné de soleil et planté d’essences les plus rares. Les Parisiennes enchantées ressortent les bras chargés de paquets emballés dans des carrés de soie, rêveuses, les cheveux imprégnés de senteurs, les yeux encore éblouis des couleurs veloutées des innombrables pétales de fleurs.
Les mondanités n’ont aucun secret pour Antonin Raynaud. En parallèle de son activité florissante d’industriel-parfumeur, de la création d’une société s’étant donné la mission de protéger les marques industrielles françaises et de la construction du célèbre hôtel de la Riviera Excelsior Regina qui accueille durant plusieurs années la reine Victoria, il mène une carrière publique remarquable. Élu conseiller municipal en 1867 puis élu maire de la commune de Levallois-Perret en 1888, il n’accepte ces nouvelles responsabilités que pour pouvoir mettre sa fortune et ses relations au service du bien commun. Le journal l’Évènement résume magnifiquement le 27 juin 1888 :
À Levallois, avant-hier, M. A. Raynaud, chef de la parfumerie Oriza, fêtait à la fois ses noces d’argent, sa nomination de maire, et la bénédiction de l’archevêque de Paris donnée à l’asile de retraite que le parfumeur vient de construire à côté de ses usines. Se dépouiller de son vivant de plus de deux millions pour fonder un hospice de cent lits destinés aux vieillards sans asile est chose assez rare pour mériter un encouragement. M. A. Raynaud a dirigé lui-même la construction de l’établissement qui est spacieux, bien aéré, pourvu d’un grand jardin pour se promener l’été, et d’une vaste véranda vitrée pour se tenir l’hiver.
Des flacons Baccarat au parfum solide : l’innovation au service du prestige
Talentueux et perspicace, Antonin Raynaud donne à Oriza L. Legrand les moyens de ses ambitions en investissant avec originalité et intelligence. Une industrialisation réussie (et une fortune qui se compte désormais en millions) grâce notamment à une usine centralisant toute la production.
Implantée à Levallois-Perret, cette usine force l’admiration des contemporains. Lorsqu’il reprend seul les rênes de la parfumerie en 1860, l’industriel acquiert en même temps près de deux hectares de terrain à Levallois, échappant ainsi aux travaux du baron d’Haussmann qui forcent les ateliers à s’exporter hors de la capitale.
Il construit sur ce terrain gigantesque (du jamais vu pour une entreprise à cette époque) une usine immédiatement équipée avec du matériel dernier cri, notamment une machine à vapeur. L’usine passe de 70 employés au milieu du XIXe siècle à plus de 200 à l’orée du XXeme ! Elle tourne à plein régime, mêlant avec succès qualité et quantité, exportant 90% de sa production.
L’usine de Levallois-Perret, que nous avons parcourue, renseigné et guidé par son intelligent directeur, se compose d’une vaste cour qui donne accès aux laboratoires, ateliers et magasins. En face sont situées la pilerie, la tamiserie et les machines qui sont mises en mouvement par la vapeur. C’est là que sont réduites en poudre et tamisées les substances telles que l’iris, l’ambre, le musc, la vanille et autres ingrédients employés dans la parfumerie. À côté est placée la savonnerie avec ses vastes cuves, ensuite se trouvent les laboratoires avec leurs fourneaux et leurs bains-marie. Après ce qui constitue l’usine, on trouve les ateliers où les produits sont habillés et étiquetés dans des boîtes et flacons élégants, dernière main-d’oeuvre où se révèle encore le goût et les instincts artistiques du maître. Enfin, sur un magnifique jardin, on trouve les salles qui servent de magasins d’attente à la marchandise prête et le cabinet du directeur.
L’Univers Illustrée – 10 février 1872
Travailleur infatigable, l’esprit toujours traversé d’idées lumineuses, Raynaud noue des partenariats avec les plus grandes marques du temps, notamment la cristallerie Baccarat qui imagine des flacons uniques pour les éditions prestigieuses de parfum. Antonin Raynaud doit même faire la chasse aux imitations de flacons dans toute l’Europe, déposant sa marque à l’étranger pour protéger ses créations originales.
En recherche perpétuelle d’innovations, Raynaud est toujours à l’avant-garde des créations dans la parfumerie et la cosmétique, déposant d’innombrables brevets. L’un des plus révolutionnaires est le parfum solidifié dit « concret », sortes de pastilles magiques renfermées « dans des cassolettes en ivoire, en cristal, gaines forme crayons, etc., tous modèles portatifs ».
Vous passez le contenu de la cassolette sur vos mains, vos bras, votre linge, vos fleurs artificielles, et instantanément la baguette de fée agit ; car l’objet touché s’imprègne du parfum désiré ; par conséquent, plus de flacons brisés, plus d’inquiétude pour les robes de bal et de soirée, plus de taches à craindre.
Apogée, déclin… et renaissance de la Maison Oriza. L. Legrand !
Les Expositions universelles viennent récompenser à intervalles réguliers l’énergie déployée par Antonin Raynaud. Dès l’année 1867 à Paris, la maison Oriza. L. Legrand obtient une médaille de bronze, suivie d’une médaille de mérite à Vienne en 1873, d’une médaille d’Argent à Paris en 1878 et d’une Médaille d’or à nouveau dans la capitale française en 1889.
La vitrine Oriza L. Legrand de l’année 1878 détrône par son originalité ses principaux concurrents (Piver, Violet, Pinaud et Guerlain) ; les journaux lui consacrent des descriptions enthousiastes :
On y remarque une superbe Renommée en savon de diverse nature et de couleur, à laquelle la critique de l’art n’a rien à reprocher. […] Pour réaliser cette sculpture, il avait fallu donner au savon la dureté du marbre et le rendre d’une homogénéité de pâte telle, qu’elle puisse résister au ciseau. Il paraît que la chose n’était pas facile, et c’est un vrai tour de force de machine et de manipulation. La Renommée, admirable de forme et de tenue, a réellement l’air, avec trompette en savon transparent, d’attirer par des sons l’attention des visiteurs. Autour de cet objet d’art fort curieux, se trouvent mille merveilles, produits de l’Oriza : des parfums, eaux de toilette, pommades, etc. La maison Legrand peut réellement s’appuyer sur sa jolie Renommée, en train de faire le tour du monde, et en être fière. J’ai vu dans la même vitrine un autre objet également curieux […]. C’est un vase étrusque de 70 cm de haut et creux, à l’intérieur épais de 2 cm, fait en savon transparent de miel. J’engage l’amateur à se rendre à cette classe 28, à la vitrine N°11, parfumerie Oriza, il lui sera offert un magnifique album illustré, avec sachet à la violette ; il aura donc à sa disposition un catalogue de tous les produits avec leur prix ; il obtiendra aussi des parfums pulvérisés à l’orizalis ou au foin fraîchement coupé.
L’Univers illustré – 2 novembre 1878
Oriza L. Legrand connaît son apogée à l’Exposition universelle de 1900. Présentant ses produits dans des vitrines de bois laqué au coeur d’un salon Louis XV isolé par d’élégants paravents et des tentures de soie, la maison est récompensée pour ses deux siècles de savoir-faire par le Grand Prix de l’Exposition universelle. Après cette consécration, Antonin Raynaud peut partir tranquille. Il s’éteint en 1903 dans sa Villa-Oriza à Nice.
Sa veuve Marie Raynaud (sa seconde épouse) reprend l’affaire avec talent. Durant plus d’une décennie, les dernières créations L. Legrand continuent de déchaîner l’enthousiasme, notamment « Jardins d’Armide » que tous les journaux conseillent d’offrir à une femme de goût (sans-faute assuré !), mais aussi « Oeillet Louis XV » en hommage aux origines royales de l’entreprise ou encore « Relique d’Amour », « bouquet d’une subtilité rare, tel un souvenir précieux voué au culte de la mémoire. » Décidément, la maison Oriza ne semble mettre aucune limite à l’excellence !
Les dernières créations de la maison Legrand, l’Oeillet Louis XV et la Relique d’Amour, dépassent, s’il est possible, par leur qualité précieuse et leur parfum exquis, les meilleurs produits de cette maison, qui a toujours à coeur de reculer les limites de la perfection en se surpassant elle-même.
Le Journal – 7 juin 1910
C’est aussi l’époque des magnifiques affiches publicitaires et des dessins d’emballages réalisés par les plus grandes artistes du style Art Nouveau, notamment Alphonse Mucha, Cesare Saccaggi qui illustre par exemple le parfum « Jardins d’Armide » ou encore Louis Icart qui imagine le graphisme du parfum « Fin Comme l’Ambre » en 1913.
Rachetée cette même année par l’associé de Marie Raynaud, Edmond Schuhl, puis passant de main en main, la parfumerie Oriza L. Legrand continue à écouler ses produits jusqu’à la crise de 1929, période dramatique pour l’économie des grandes maisons de luxe. Oriza L. Legrand, l’une des plus prestigieuses maisons de notre Histoire, disparaît alors complètement, incapable de redresser la barre après la Seconde Guerre mondiale.
Elle aurait pu tomber définitivement tomber dans l’oubli… C’était sans compter la détermination et la passion de deux entrepreneurs indépendants, Hugo Lambert et Franck Belaiche, qui tombent amoureux de ce patrimoine exceptionnel à la fois industriel, historique et artistique. En 2012, c’est décidé : Oriza la Grande doit renaître de ses cendres ! À force de travail acharné et après plusieurs années de recherches dans les archives, force est de constater que ce pari au départ très risqué est un incontestable succès.
La maison est aujourd’hui de nouveau sur pied, pour notre plus grand bonheur. Courrez y chercher l’évasion, la sensation délicieuse d’un voyage à travers les siècles. Toutes les créations (des parfums historiques de nouveau commercialisés aux nouveautés qui font honneur à l’esprit d’innovation d’Antonin Raynaud) soulèvent des émotions puissantes, réveillées par une palette très riche de fragrances, chacune d’une rare subtilité. J’ai définitivement adopté « Jardins d’Armide » (1909), élixir tentateur qui libère la puissance d’une chaude journée andalouse et la douceur poudrée des plus délicates essences… Un hommage à la féminité assumée, fière et séductrice, mystérieuse et élégante !
Merci à Hugo et Franck pour cette incroyable découverte, pour leur disponibilité et leur confiance. Bravo à eux pour cette énergie mise au service d’une si belle passion, la résurrection de la maison Oriza L. Legrand ! Merci également à Elisabeth de Feydau pour son enthousiasme, son temps et ses conseils avisés.
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Sources
De très nombreuses archives de presse
L’herbier de Marie-Antoinette d’Elisabeth de Feydau
Les trouvailles d’Hugo et Franck durant leurs années de recherches
Le luxe à la française, dès le début du XVIIIe siècle! Excellent article !
Un symbole de l’excellence
Merci chère marie pour tous ces détails passionnants sur un sujet vraiment original et qui m a ravi .
Merci Isabelle, heureuse de vous faire découvrir cette belle maison
Très bel article pour un sujet original. Merci
Merci Annie pour votre message enthousiaste